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    On peut se poser la question de l'impact des démonstrations sur l'augmentation des inscriptions dans les clubs. Je pense que si les campagnes publicitaires, les démonstrations nous font connaître du grand public, l'essentiel des adhésions se fait par le biais du bouche à oreille. Je n'ai guère obtenu de nouveaux adhérents après une démonstration.
    Quand j'étais débutant et naïf, c’est plutôt le music-hall qui m’inspirait et mon numéro favori consistait à faire passer un partenaire par-dessus mon dos. C'est ça qui plaisait au public et mes premiers élèves venaient pratiquer l'Aïkido Yoseikan pour pouvoir un jour faire passer quelqu'un par-dessus leur dos !
    Avec l'âge, le travail, la réflexion et... l’amélioration de la technique, les notions d’esthétique et d’efficacité se sont imposées dans mes démonstrations, construites avec un souci pédagogique, synthèses de conférence et de spectacle.
    Peu d'inscriptions nouvelles malgré tout. Ceux qui ont franchi le pas et sont restés m'ont raconté que ces démonstrations étaient certes convaincantes, très spectaculaires et très belles mais donnaient au public l’impression que c'était trop difficile pour le commun des mortels ! Ça pouvait même faire peur, ça paraissait dangereux...
    En fait, je prends les démonstrations comme un passage nécessaire. Nous n'avons pas, comme d'autres Arts Martiaux, le test de la compétition pour savoir ce que nous « valons » réellement. La démonstration est une bonne façon de se confronter à un adversaire redoutable : le public. Il s'agit de le séduire, d'abord, de le convaincre ensuite.
    Mais je crois qu'il ne faut pas dévoyer notre Art. On ne fait pas de démonstrations n'importe où et devant n'importe qui. Nous ne venons pas distraire mais instruire.
    Le meilleur « adversaire » est le public averti : pratiquants ou spectateurs habitués des grandes compétitions. Là, pas moyen de tricher, leur regard est expert. J'ai fait la plupart de mes démonstrations au cours de compétitions de Judo et celle dont je conserve le souvenir le plus intense s'est déroulée à l’occasion de l’organisation, à Rouen, des championnats de France toutes catégories. Je n'y ai pas récolté de nouvelles adhésions mais les applaudissements de la foule, les félicitations des champions m'ont donné l’énergie nécessaire pour continuer à suivre ma Voie.
    Pour illustrer mes propos, j’ai mis bout à bout des notes que j’avais conservées et ma mémoire a guidé ma main. J’y raconte quelques-unes de mes démonstrations les plus marquantes. Souvenirs...
    J’ai longtemps hésité à les publier, de crainte que mes propos soient mal interprétés. J’ai simplement tenté de décrire ce que j’éprouvais au moment même où les événements racontés se déroulaient. Ce ne sont que des impressions, éphémères, en aucun cas des convictions.
    Après avoir mis cet article en ligne la semaine passée, je l’ai supprimé au bout de quelques heures car le texte avait besoin d’être repris, simplifié, éclairé pour ne pas prêter à confusion.
    C’est donc avec beaucoup de précautions que je me décide à le proposer à la lecture.
     

    Saison 1966/1967

    En ce temps-là, il n’existait que deux couleurs de ceinture : la blanche et la marron. Toutefois, nous avions le droit de porter un hakama blanc à partir du 3ème kyu. Nous étions très émus le jour où nous les avons mis pour la première fois !
    Nous avions l'air de ridicules premiers communiants, ou de moines sans tonsures. Mais nous étions fiers comme des poux*, certains, dorénavant, de faire partie de l'aristocratie des Arts Martiaux.
    En toute modestie, avec mon complice Daniel, nous avions décidé de mettre au point un programme de démonstration et commencé à réaliser un film à au format double-huit, le format du cinéma d’amateurs à l’époque. Nous ne doutions absolument pas de son intérêt et envisagions une diffusion à grande échelle. Après la première projection, nous n’étions plus vraiment persuadés de la nécessité de dévoiler nos secrets...
    Une des figures de cette démonstration, très hardie, mimait un duel au bâton long. Je n’ose parler de Bo Jutsu au vu de notre expertise dans la manipulation de cet objet... Lors d'une phase de notre numéro, mon partenaire me désarmait, alors je saisissais son bâton entre ses mains, l’obligeais à pivoter en tournant sur moi-même et le faisais passer par-dessus mon dos.
     

    acrobatie en hakama blanc

    Ce fut notre mouvement fétiche. Il remporta à chaque fois un énorme succès et nous valut même des inscriptions, car il semblerait que beaucoup de gens rêvent de faire passer quelqu'un par-dessus leur dos. Beaucoup se sont inscrits dans l'espoir d'y parvenir rapidement et se sont découragés quand ils ont compris que, avant d'espérer devenir un virtuose, il fallait sacrifier des heures et des heures de loisirs à monter et descendre des gammes...
    Aussi, quelle ne fut pas ma surprise, il y a quelques années, quand je visionnai la cassette d’un spectacle de Bercy, qui présentait le Nec Plus Ultra parmi les experts internationaux des Arts Martiaux, de voir exécuter quasiment, devant des milliers de spectateurs, nos balbutiements d'il y a près de quarante ans ! Les farouches Ninja, les redoutables Dayaks, les féroces adeptes de machin Silak ou de Hong Kong Fou Fou entrechoquent leurs grands bâtons à qui mieux mieux, comme dans les vieux films de Robin des Bois, se désarment et se font passer par-dessus le dos, et le très initié public de la grande parade des Arts Martiaux les applaudit à tout rompre.
    Cette cassette m'a plongé dans un trouble profond : étais-je donc déjà, en ces temps lointains, un expert international en hakama blanc sans le savoir, et quel niveau avons-nous donc atteint près de quarante ans plus tard ?

    Juin 1970

    Ce fut ma première démonstration au titre de mon premier club, l’Amicale de Malaunay. C’était à Montville, devant un important public de sportifs, à l’occasion d’une démonstration de Judo organisée par de brillants jeunes loups déjà 4ème dan avec lesquels je sympathisai et fis un petit bout de chemin sur la voie de l'amitié et des Arts Martiaux. J'avais introduit une nouveauté : le Kobudo ! En effet, Hiroo Mochizuki avait sorti en janvier 70 un petit livre : Les Arts Martiaux Traditionnels, où étaient présentés succinctement, mais avec de jolies photos, le Iaï Do, le Naginata Jutsu, le Bo Jutsu, le Tanto Jutsu.
    Nous fûmes particulièrement séduits par le Naginata Jutsu et notre décision fut immédiate : nous allions travailler ce Kata et le présenter en démonstration.
    Daniel, qui était fort habile, entreprit de fabriquer un Katana et une Naginata. Il ne nous manquait que les dimensions. Un ami possédait un ouvrage en anglais, donnant les côtes du Katana, en pouces, bien sûr. Il suffisait d’effectuer les conversions en millimètres.
    Il semblerait qu'il y ait diverses sortes de pouces, car il sortit de nos calculs un énorme cimeterre en acier inoxydable, avec tsuba assortie en bronze et manche en rondelles de cuir. La lame de la Naginata était dans les mêmes proportions. Qu'importe, nous présentâmes notre numéro et le public fut impressionné, surtout quand l'énorme Katana se planta lourdement dans le plancher suite à une fausse manœuvre, ou quand la redoutable lame de la Naginata me frôla la gorge !
    Un de mes jeunes disciples commentait nos exploits. Bien que son travail fût de qualité, je pris l'habitude par la suite de commenter moi-même mes démonstrations. Je fus souvent obligé de tirer un micro jusqu'au centre du tatami et de me livrer à diverses acrobaties pour ménager la précieuse électronique. Une démonstration est un dialogue avec le public. Je démontre, j'explique. Le public répond par l'ensemble des émotions qu'il me renvoie. Par contre, je suis incapable de commenter une démonstration faite par quelqu’un d’autre que moi.

    21 novembre 1970

    À vingt-et-une heures se tenait, dans la salle omnisports de Malaunay, notre premier Gala des Arts Martiaux. Nous avions invité la section de Judo de Malaunay et la très forte section de Karaté de Petit-Quevilly.
    La presse invitait le public à venir admirer « la subtilité et le cérémonial du Judo, l'insoupçonnable puissance contrôlée du Karaté et l'efficacité déconcertante de l’Aïkido Yoseikan... »
    Mais les karatékas se firent attendre et ne vinrent pas.
    Mais le professeur de Judo avait mal au genou et ne put monter sur le tatami.
    Mais les Malaunaysiens avaient oublié de se déplacer et le public était constitué des parents des acteurs et de quelques personnes qui s'étaient trompées de date et croyaient que c'était la démonstration des majorettes.
    La nervosité faisant son effet, il y eut un couac dans notre démonstration soigneusement mise au point, mon partenaire tourna à contresens. Il y eut un claquement sec. J'y laissai le ligament de l'épaule droite et gagnai un baromètre perpétuel, appelé vulgairement subluxation acromio-claviculaire, qui vous annonce la pluie longtemps à l'avance, ce qui n'est pas difficile, direz-vous, dans notre bonne Normandie. Ce n'est pas pour rien que, chez nous, le soleil est signe de pluie !

    La presse locale fit toutefois un compte-rendu élogieux et n'hésita pas à écrire que « pour les Malaunaysiens, ce fut une nouvelle occasion de faire connaissance avec différentes disciplines sportives ».

    28 novembre 1970

    J'avais promis une démonstration au club de Judo de Caudebec-lès-Elbeuf... Avec mon épaule immobilisée, ça n'allait pas être très facile !
    Ma foi, la naïveté aidant, je n'hésitai pas à m'exhiber avec le bras en écharpe ! Notre spectacle enthousiasma le public et bon nombre de judokas, et en inquiéta aussi bon nombre parmi les professionnels, qui voyaient là une discipline toute neuve et attrayante, propre à leur ôter de la clientèle...

    Quoi qu'il en soit, nous étions connus ! Et la presse saluait notre jeune talent : « L'équipe de Malaunay fit une démonstration particulièrement spectaculaire d’Aïkido qui a sans doute dû raviver l'espoir de voir naître une semblable section au R.C.Caudebec. L’Aïkido est en tout cas, pour une soirée de ce genre, un gage certain de réussite ». Par contre, « On regretta l'absence inexpliquée et inexcusée des clubs de Karaté... ». Tiens, voyons, comme c'était curieux !

    Saison 1970/1971

    Avec l'aide d’un ami, maire adjoint, nous avons implanté l’Aïkido Yoseikan à Bois-Guillaume. Malgré l'échec de celui de Malaunay, nous avions décidé de récidiver dans l'organisation d'un Gala d'Arts Martiaux le samedi 20 mars !
    Le matraquage publicitaire fut énorme, grands articles dans la presse et annonce à la TV régionale. Je devais, paraît-il, démontrer « la mystérieuse et déconcertante (encore !) efficacité de l’Aïkido du groupe Michujuki »... Malgré les avis des Cassandre de tous bords, ce fut un succès total. Le gymnase était comble et il fallut apporter des dizaines de chaises pour installer tout le monde.
    Notre Aïki, passant après le Judo et le Karaté, tira royalement son épingle du jeu. La foule apprécia notre démonstration spectaculaire. Nous étions remontés à bloc !
    La presse parla de « chef-d’œuvre de violence » ! Il est vrai que nous étions déjà loin de l'ancienne définition de l’Aïki : « Donne-moi ta main que je te fasse mal ! ».
    Je participai à toutes les rencontres organisées par mes jeunes (et certains moins jeunes) amis profs de Judo : 

    28 / 02 : démonstration aux championnats de Normandie toutes catégories
    14 / 03 : démonstration à la rencontre interclubs d’Elbeuf
     

    Ce fut la démonstration dont je garde le meilleur souvenir, ou du moins celle qui s'est déroulée dans les meilleures conditions possibles. Un petit tatami, et le public assis tout autour, tout près, le rêve pour un myope. Démonstration, conférence, causerie, cours, tout à la fois, devant deux cents personnes intéressées et intéressantes.

    20 / 03 : Gala d'Arts Martiaux à Bois-Guillaume
    03 / 04 : démonstration à la rencontre interclubs de Darnétal

    Ici, il y eut un petit problème : le public local était particulièrement mal élevé, et la rencontre était arbitrée par un vieux barbon avec qui j’avais eu un... désaccord au cours d’une réunion de la Ligue. Il manœuvra si bien que je commençai ma démonstration dans un charivari indescriptible et il se plaignit au micro que notre prestation, à peine commencée, durait trop longtemps ! Je quittai la scène avec fracas, promettant de ne plus jamais revenir dans ce pays qui avait bien mérité autrefois son surnom de terre maudite ! Et j'ai tenu ma promesse... Non, je ne suis pas rancunier.

    04 / 04 : démonstration à la rencontre interclubs d'Évreux
    17 / 04 : démonstration à la rencontre interclubs de Saint-Étienne-du-Rouvray
    08 / 05 : démonstration à la rencontre interclubs de Karaté à Grand-Couronne
    20 / 05 : démonstration à Bois-Guillaume
    20 / 06 : nouvelle démonstration à Évreux.

    On parlait de nous, nous étions appréciés, nous étions jeunes et heureux ! Je faisais le clown sur scène avec ma petite fille de trois ans, et je m'amusais comme un fou. Un jour, mal lunée, elle se sauva en hurlant et je me fis traiter de bourreau d'enfant !
    Le 4 Janvier 1972, l'ORTF me consacra plusieurs minutes au journal télévisé régional ! C'était l'aboutissement d'un long travail de fond, d'apprentissage des relations publiques. Les démonstrations, les articles dans la presse locale, un courrier à FR3 Normandie, portaient enfin leurs fruits. Rendez-vous avait été pris et une équipe technique vint prendre possession du tatami de Bois-Guillaume un samedi après-midi de décembre 1971. En cette fin d’un trimestre agité, j'avais eu un passage à vide révélé par un herpès à peine cicatrisé. J'avais les cheveux longs et le visage émacié, mais toujours une foi inébranlable.
    Le tournage dura plus de trois heures, alternant séquences d’Aïki et de Kendo. Puis enregistrement de l'interview pendant de longues, très longues minutes. Il en sortit un « magazine » remarquablement monté, avec illustration musicale à la harpe japonaise, le commentaire des images étant assuré par ma voix en surimpression. J'eus droit à quelques gros plans, notamment nouant le Tenugui (écharpe portée sous le casque dans la pratique du Kendo), ou pour de brèves explications, où j'avais l'air écrasé de fatigue !
    Ce fut un gros succès et la séquence fut reprogrammée l'année suivante. Cela me valut aussi un important courrier et le début d'une série de cours d'Arts Martiaux à Bernay, dans l'Eure.

    Saison 1971/1972

    La Ligue de Normandie de la FFJDA inaugurait son Dojo départemental au Grand-Quevilly,  en sous-sol d'un très bel ensemble, avec un tatami de deux cents mètres carrés bordé de gradins dans une belle salle d'entraînement et de spectacle, et nous étions conviés à présenter notre Art au gotha du Judo.
    Le président de la Ligue avait jadis passé le 1er dan d’Aïkido à l’Aïkikaï de Tokyo, en 1960, je crois, et a priori, il aurait préféré que la démonstration soit faite par l'équipe du Mans menée par un prof de Judo élève d’André Nocquet, donc dans la tradition Ueshiba. Et puis je n’avais pas que des amis dans le Comité Départemental... qui avait pourtant préféré ma participation, puisque j'étais de la région rouennaise, et que mon passage à la télévision avait impressionné pas mal de monde.
    J'avais une sorte d'examen à passer, et on m'attendait. Nous rentrions tout juste d’un stage de trois jours avec Alain Floquet. Le temps de descendre de voiture et je commençai ma démonstration en prévenant les spectateurs de notre état de fatigue et leur demandai de nous pardonner la modestie de notre présentation.
    Nous avions décidé de commencer sobrement, techniquement. Un public de connaisseurs a tendance à porter les acteurs. C'est ce qui se passa. Les querelles furent oubliées pendant une heure, les vingt minutes traditionnellement allouées ne suffisant pas à satisfaire les spectateurs.
    La démonstration finit dans l'euphorie. Le président tint à me féliciter publiquement. Il venait de découvrir les qualités de l’École Yoseikan, dont il ne connaissait que les on-dit. Nous n'étions pas les brutes statiques qu'on lui avait décrites.
    Quelques jours plus tard, je fus prié de bien vouloir assurer la formation Aïkido des candidats de la Ligue au brevet d’État de professeur de Judo. J'allais désormais avoir une place réservée à toutes les manifestations officielles en Normandie.

    23 mars 1973

    Championnats de Normandie de Karaté. Je suis invité à présenter une démonstration d’Aïki et de Kendo dans la salle Wallon au Petit-Quevilly. La vedette sera le maître Taichi Kase, 8èmedan de Karaté.
    On nous avait installé un petit tatami à la droite du public, le centre étant réservé aux combats. Ça ne me plaisait pas trop, mais il faut faire avec ce qu'on a. Avec mes acolytes, Jack et Jean-Marc, nous avions des séquences très au point, techniques à mains nues, bâton, tanto. Le public était connaisseur. Bien que nous fussions mal placés, le contact s'établit. Nous nous surpassâmes, ce soir-là, et les dix minutes allouées se transformèrent en une demi-heure, sans cesse rappelés par un public debout. Le cameraman de l'ORTF ne cessait pas de filmer.
    Seconde pause dans les combats, je me plaçai au centre de la salle pour ma démonstration de Kendo. Frappes de base, frappes enchaînées, éducatifs, frappes en position accroupie, combats enflammèrent de nouveau le public.
    Quand le maître Kase vint présenter ses katas de Karaté, il passa presque inaperçu et... le cameraman n'avait plus de pellicule vierge ! Aux actualités télévisées, pour illustrer les prestigieux championnats de Normandie de Karaté, on vit un peu d’Aïki, pas mal de Kendo et un coup sauté au visage mal contrôlé... Il se passa quelques années avant que la Ligue de Normandie de Karaté ne m'invite !

    Saison 1973/1974

    Un club de Judo du Havre m'invita à participer à une démonstration en compagnie de « maîtres Japonais du sabre ». On nous demandait de prévoir une vingtaine de minutes de spectacle. Va pour Le Havre.
    Nous devions passer en « vedettes américaines » et chauffer le public pour les grands maîtres. Le tatami, en paille, était de bonne qualité et nous présentâmes très tranquillement notre spectacle bien rôdé. Comme d'habitude, nous avions tendance à déborder largement sur le temps imparti, mais personne ne semblait protester.
    Une pause. Je vais m'agenouiller pendant que Jack et Jean-Marc font leur numéro de Bo Jutsu. Un officiel s'approche de moi et me glisse dans l'oreille : « Pourriez-vous faire durer votre démonstration? Les Japonais sont en retard ! ».
    Va pour une prolongation. L’Aïki dura bien une heure ! Et les maîtres Japonais qui n'étaient pas encore là. Va pour une demi-heure de Kendo ! Je fis éclater un shinaï sur la tête de Jack et les maîtres Japonais du sabre, nous les attendons encore.
    Nous avons donc fait la totalité du spectacle et le maire du Havre nous remit la coupe de la ville, c'est le moins qu'il pouvait faire !

    Septembre 1976

    Alain Gallais me demanda de l'accompagner en RFA pour les échanges Caudebec-Nettetal. Il y avait projeté une démonstration d’Aïki et comptait sur moi pour impressionner nos cousins germains. Mais qui dit démonstration dit chuteur. Il me proposa deux de ses élèves qui s'entraînaient depuis un an. « Christian et Raymond sont, m'affirma-t-il, passionnés par l’Aïki et n'ont qu'un défaut, ils bloquent volontiers et sont raides comme des bouts de bois ! ».
    Nous convînmes donc que je passerais trois jours à Caudebec pour préparer notre numéro. Je ne connaissais pas ces deux gaillards et eux ne me connaissaient que de réputation. Avant mon arrivée, Alain leur glissa dans l'oreille que j'étais un violent et qu'ils pouvaient numéroter leurs abattis...
    À la première séance d'entraînement, ils n'étaient pas très rassurés et, constatant qu'ils étaient vraiment raides, je ne les ménageai pas. Il fallait tout leur apprendre en trois jours : la distance, les attaques et les chutes !
    Pendant deux ou trois heures, je les jetai sans complaisance et, peut-être, avec une petite pointe de provocation. Des costauds contestataires? On allait voir qui avait le plus mauvais caractère.
    Fourbus et moulus, ils me demandèrent tout de go : « Tu travailles toujours comme ça? », car ils tutoyaient volontiers, et ça aussi, ça me défrisait les moustaches.
    « Non, ici je me contrôle, mais en démonstration, j'ai toujours le trac. J'ai parfois tendance à appuyer les techniques... » Ils repartirent angoissés, mais revinrent le lendemain et le surlendemain, matin et après-midi. Et ils parvinrent à chuter presque aisément.
    Je pensais me munir essentiellement de mon Keikogi et de mon Hakama, mais ma femme me suggéra d’emmener une tenue convenable. J'emballai donc mon unique costume, en velours côtelé, et elle plia soigneusement une robe « habillée ».
    Nous prîmes la route du Nord. Nettetal est situé à la frontière de l’Allemagne et de la Hollande, tout près de Maastricht. Quelques heures d'une route tranquille, et nous arrivâmes au point de rendez-vous. Je ne connaissais évidemment pas un chat, et c'est une situation que j'abhorre ! Je restais donc dans mon coin, ruminant que si j'aurais su, j'aurais pas v'nu... Un grand jeune homme, blond aux yeux bleus, accompagné d'une petite femme aussi brune qu'il était blond, se dirigea vers moi.
    « Je suppose que vous êtes André Tellier? », me dit-il dans un français impeccable, avec juste ce qu'il faut d'accent allemand pour faire penser à une coquetterie. Il avait jaugé la foule et déduit que ce ne pouvait être que moi qu'il cherchait.
    C'est ainsi que je fis connaissance du brillant Günther. Diplômé de Harvard, parlant couramment Anglais, Français, Espagnol, se débrouillant fort bien en Suédois, Portugais et Japonais ! Directeur commercial d'une multinationale spécialisée dans le velours de haute couture (ça existe vraiment), il passait six mois par an à sillonner la planète avec sa collection et ses mannequins.
    Il était œnophile distingué et le buveur de Badoit que je suis fut mis en difficulté quand il me demanda conseil sur les vins à servir avec la délicate cuisine française que Christa, sa femme, avait préparée. Elle revenait d'un séjour de trois mois aux Indes, où elle avait suivi un stage d'épices... Günther lui avait fait construire, derrière leur maison, un atelier de poterie avec salle d'exposition, pour les jours où elle s'ennuierait.
    Cette année-là, il avait fait chaud, très chaud en Europe. La sécheresse de 1976 est restée dans les mémoires. Aussi avait-il fait installer une piscine dans sa pelouse, un modeste bassin de quinze mètres, avec moteur à vagues !
    Le soir, réception à l'Hôtel de Ville, avec soirée dansante. Christa va demander à ma femme quelle robe elle mettrait de façon à assortir leurs toilettes. Et Günther me demanda quel costume je porterais... Je bredouillai que, limité par la place, je n'avais pris que mon « velours » qui, comme chacun sait, ne souffre pas dans une valise. Il jugea mon choix très sage et ne mit pas son smoking.
    Et ce fut la démonstration tant attendue. Les Allemands ne connaissent guère l’Aïki. Ils aiment les sports de contact, sont brillants en Judo, réussissent moins en Karaté qui impose trop de contrôle, et pratiquent une forme antique de Ju Jutsu. Mais c'est un public de connaisseurs et ils réagissent très bien si on ne les trompe pas.
    Je commençai donc mon numéro, commentant en Français, Günther traduisant dans la foulée. Le public était bon. Mes partenaires chutaient à point. Mouvements au ralenti ou accélérés, propos sérieux et plaisanteries, tout passait et je me fis grand plaisir pendant plus d'une heure.
    Les judokas allemands, qui étaient venus découvrir l’Aïki, vinrent m'exprimer leur satisfaction et Günther me dit : « Monsieur Tellier, vous êtes vraiment très fort ! ». Et je fus très flatté...
    Le directeur de la MJC de Saint-Étienne-du-Rouvray, où Jacques Hébert exerçait ses talents de professeur d’Aïkido Yoseikan, eut l'idée originale d'organiser un spectacle un peu particulier. Vingt-quatre heures continues de démonstrations d'Arts Martiaux, où seraient présentés Judo, Karaté et, bien sûr, Aïki et Kendo.
    Le projet évolua et il se contenta d'un projet de spectacle continu, de quatorze heures à vingt-deux heures, ce qui n'est déjà pas si mal. Il me contacta pour l'affaire. J'acceptai et réunis une équipe agrandie, mes compagnons habituels auxquels je joignis les meilleurs éléments de Jacques.
    Il est une véritable calamité dans ces réunions d'Arts Martiaux, ce sont les combats de Judo présentés par des enfants. C'est long, c'est moche. Et il y a les parents, souvent incorrects, parfois odieux.
    Je devais présenter notre spectacle à partir de dix-sept heures et toute l'équipe était donc sur place à seize heures. Horreur ! La salle était une véritable tabagie. Des gamins couraient partout, piaillaient, galopaient sur le tatami ! La démonstration de Karaté qui nous précédait se déroula dans un total charivari !
    Vint notre tour. Je pris le micro et commençai par interpeller les garnements : « Il est interdit de passer sur le tatami, asseyez-vous sur le bord ou gare à vos fesses ! ». Puis je m’adressai aux adultes : « Je ne sais pas si vous réalisez que vous assistez à une manifestation sportive. Vous fumez comme des cheminées sans vous préoccuper de savoir si ça gêne les participants. Et bien, ça me gêne. Je n'ai pas l'intention de faire quoi que ce soit dans cette pièce confinée. Alors, vous allez me jeter vos cigarettes et ouvrir toutes les aérations. Et je vous préviens que je tiens à avoir le silence pendant mes explications ! ».
    Et les costauds, les loubards, les mecs, jetèrent leurs mégots, ouvrirent portes et fenêtres. Et quand je jugeai que l'atmosphère était devenue respirable et que je pouvais commencer, ils s'assirent sagement et firent taire leur progéniture pendant l'heure que je consacrai à leur présenter mon Art...

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