• Quelques notes (8)

     


     SAISON 1968 / 1969 : OÙ JE REVIENS À MES AMOURS SPORTIVES

     
    Quelques notes (8)

    Je découvris donc une nouvelle perspective dans l’étude des techniques de notre école d’Aïkido. La grande mutation qui l’avait ébranlée quelques années auparavant venait « déjà » toucher la province.
    L'honorable Lionel Duboc, dit Mifune, ou l'ancêtre, avait la curieuse manie de se raser entièrement l'anatomie. Doté d'une pilosité anormalement drue, il avait pris la désagréable habitude de frotter ses avant-bras râpeux comme du papier de verre sur nos épidermes juvéniles quand nous travaillions les immobilisations. Il avait assisté au stage de Royan cet été-là et entreprit de nous transmettre la bonne parole, de la différence entre la distance Ma et la distance Chika Ma, mais, irrespectueux, nous rejetions en bloc tout ce qui venait du rugueux prosélyte...
    Mon stage avec les Warcollier me sauva provisoirement de la débâcle. Et les provinciaux furent dorénavant admis aux stages nationaux, au Dojo Fédéral, rue du Faubourg Saint-Denis, occasions des premiers vrais contacts avec Hiroo Mochizuki.
    Je m'entraînai de nouveau comme un fou et, au bout du premier trimestre, les combats avaient le style assommoir ! Les autres élèves frémissaient à l'idée de subir mes Shiho Nage. Mon partenaire habituel, Daniel Huard, s'adapta très vite à mon style, et nous avons bien failli estropier tout le cours !
    Il advint qu'un soir nous devions travailler les esquives. Un superbe Tanto, à lame en métal, traînait sur le bureau du professeur. Un grand escogriffe s'en saisit, le brandit et me bondit dessus.
    Instantanément, je réagis comme me l'avaient appris les frères Warcollier dans leur application du Premier Principe d’immobilisation, et avec ce que j'avais retenu de l'application de Robuse que j'avais vu travailler par les ceintures noires au stage de Sebban, et que Jean Lemaître répétait de temps en temps quand je lui servais de partenaire. Autrement dit, bras tendus, je bondis à mon tour sur mon adversaire, une main vers son coude, l'autre vers son poignet.
    Je dus faire preuve d'un certain esprit de décision, car le pauvre garçon décolla du Tatami, traversa l'allée qui le séparait du bureau et s'écroula en travers de l'entrée, pendant que le couteau qu'il avait lâché allait se planter sur le plancher, au ras du mur, tout près d'une élève qui faisait une pause. Jean Lemaître récupéra son poignard et ne nous autorisa plus que les armes en bois.
    Un autre soir, nous étions en train d'étudier les applications de Shiho Nage, notamment l'immobilisation avec clé de cou. Nous travaillions avec prudence, conscients du danger. C'était mon tour de subir. J'étais très détendu. Mon partenaire était l'homme au couteau. Il m'amena au sol. Plaça la clé. Et puis, que se passa-t-il dans sa tête ? Un souci de revanche ? Il serra, relâcha, serra, relâcha... Mes vertèbres, si mal en point depuis mon accident de décembre 1966, craquèrent. Il comprit son erreur, mais bien trop tard pour moi. Il m'en résulta un terrible torticolis pendant plusieurs jours et une instabilité permanente. Après plusieurs années de douleurs intermittentes, je résolus de faire avec et de m'y habituer !
    Le 23 mars 1969, j'étais papa depuis la veille au soir à 22 heures, je me présentai à l'examen du premier dan au Dojo fédéral...
    Si je fis une bonne impression justifiée avec mes randoris, où j'appliquais force projections piquées au stage de 1967 (j'ignorais que j'utilisais à tour de bras Mae Hiji Kudaki et Ushiro Hiji Kudaki, interprétations très personnelles des cours des Warcollier, mais très réelles techniques de notre école, abordées à partir du 2ème dan à l'époque !), mes connaissances des différentes formes de Kote Gaeshi ou les différences entre les stratégies appliquées sur la distance Ma ou la distance Chika Ma se révélèrent si succinctes que je repartis recalé, et bien déçu, et décidé à abandonner.
    Au milieu de la semaine, je fus avisé que j'avais été repêché. La raison ? Tous les candidats provinciaux et une bonne part des Parisiens avaient été renvoyés à leurs chères études. Pour aider au développement des clubs de province, il fut décidé en haut-lieu de revoir le barème, ce qui me mit sur la liste des lauréats. J'appris bien plus tard que je le devais à un certain Alain Floquet...
    Je repris donc l'entraînement avec dynamisme après avoir teint mon hakama en noir. Précieux hakama ! Toujours aussi mal coupé, et sa teinte noire, mal fixée, vira peu à peu au gris, puis au vert ! Je m'en achetai un en Tergal en 1971, avec les remises des commandes de matériel chez Judo International et offris le vieux en coton à Jean-Marc Fiess quand il passa son 1er dan le 6 mai 1973. Son frère Jacques, aux doigts de fée, lui en fabriqua un dans un coupon de Tergal acheté chez Toto Soldes en 1975. Mon hakama fut alors remis à Éric Lemercier qui le garda jusqu'à son voyage au Japon, en 1983, où il en acquit enfin un superbe en Tergal, avec son nom brodé en Katakana.
    En juin, j'accompagnai le vieux (il avait bien 45 ans !) Lionel Duboc qui se présentait à son tour. Il n'était vraiment pas bon et je ne me faisais guère d'illusions quant au résultat. En plus, il s'effondra et ne pouvait plus distinguer Shiho Nage de Kote Gaeshi.
    L'examinateur, à force de gentillesse et de patience, parvint à lui faire exécuter des démonstrations comme jamais il ne les avait faites. Je fus très impressionné et fus souvent amené à me le rappeler... Je retrouvai, parmi les spectateurs, un de mes partenaires du passage du 23 mars.

    « Il est vraiment bien, cet examinateur. Je ne l’ai jamais vu. Il n’était pas là, le 23 mars ?
    - Non, il devait diriger un stage à l’étranger. C'est Alain Floquet, il vient de passer son 5ème dan*. Maintenant, il ne se sent plus pisser ! Pourtant, il n’y a vraiment pas de quoi ! »

    Je compris que mon interlocuteur n’admirait pas forcément Alain Floquet malgré son rang élevé et je découvris que, dans tous les milieux, des personnages talentueux et de haut niveau se font dénigrer par des individus médiocres qui, en projetant leur venin sur tous ceux qu’ils jalousent, essaient ainsi d’oublier leur propre incapacité à progresser.
    C'est au cours de cette saison 68/69 que j'affrontai pour la première fois le public. Ce fut d'abord à Malaunay, où je serais appelé à créer mon premier club à la rentrée suivante. Notre démonstration fut récompensée par un long reportage à la télévision régionale. Ensuite, nous nous produisîmes à Isneauville où Jean Lemaître espérait ouvrir une nouvelle école de judo. Il se rompit le tendon d'Achille sur un pivot malheureux. Je pris donc en mains les destinées de notre section d’Aïkido, me préparant à mes futures activités de professeur d'Arts Martiaux.

     Quelques notes (8)

    *en réalité, il avait été promu le 27 décembre 1968, 5ème dan à 29 ans !

    À suivre...

    80 balais... âge canonique

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

    80 balais... âge canonique

     

     

     

    Oublie tes peines et pense à aimer
    あなたの悩みを忘れて、愛について考える
    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    80 balais... âge canonique

    mort-de-rire

     

     

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