• Quelques notes (22)

     


    SAISON 1979 / 1980 : LA SIESTE EN CONCLUSION...


    Quelques notes (22)

     

    Les entreprises d'intimidation de la FFJDA continuant dans de nombreuses régions, la FFAK entreprit systématiquement de porter plainte auprès du Secrétariat d’État à la Jeunesse et des Sports chaque fois qu'un cas se présentait.
    Le Secrétaire d’État réagit vivement et intima l'ordre aux différentes tendances d’Aïkido de s'entendre, sous peine de le radier de l'ordre du jour des commissions ou des divers comités de la Jeunesse et les Sports. Il n'y eut bien sûr pas d'entente. Il n'y eut dès lors plus de passage du Brevet d’État...
    Le groupe Noro avait retiré ses billes, car il n'y a pas de grades à passer en Ki no Michi, et ce n'était pas conforme aux statuts. La FFAK ne rassembla donc plus que le CERA et le CAB, soit près de six mille cinq cents licenciés pour deux cents clubs.
    La section de Bois-Guillaume était toujours aussi chargée et je supportais mal les deux cours successifs. J'avais perdu mon énergie lors du premier et le deuxième m'était terriblement ennuyeux. Jacques Hébert l'assura dorénavant. Je pus souffler un peu.
    J'avais deux nouvelles petites recrues : Karine, onze ans, Stéphane, dix ans, bientôt suivi de son petit copain Christophe, dix ans, tous deux dans ma classe. Karine et Stéphane sont mes enfants. Christophe est le demi-frère de Jean-Sébastien qu'il admirait sans limite. Il rêvait de suivre la Voie des Arts Martiaux comme son grand frère !
    Mes trois gamins tinrent leur place parmi les adultes. Stéphane était doué. Karine un peu raide. Christophe un peu mou. Tous les trois bien meilleurs que bien des adultes.
    Parmi ces derniers, j'avais un faible pour Catherine Lebrun. Elle faisait un travail énorme à Saint-Étienne-du-Rouvray et je décidai de la présenter au 2ème dan. Je lui appris les techniques en deux dimanches de travail incroyablement intense. Elle le supporta courageusement et partit pour Paris précédée d'une lettre de recommandation. Le maître me répondit que j'avais bien fait de la lui recommander, elle avait été en tous points remarquable.
    Il advint qu'un jeune cadre dynamique prit la direction d'une usine de mousses plastiques à Pavilly. Il pensa au marché des Arts Martiaux et acquit deux cents mètres carrés de tatami pour en étudier les techniques de fabrication. Puis il décida qu'il était plus rentable de fabriquer des équipements de full-contact et solda son tatami.
    [...]
    Or, un conseiller municipal de Saint-Léger-du-Bourg-Denis en eut vent, m'en avisa, j'en avisai le premier adjoint qui en avisa le maire qui prit le téléphone et s'enquit auprès du jeune cadre dynamique du prix du tatami. « Sept mille francs, c'est mon dernier prix. »... Ça faisait trente-cinq francs le mètre carré. Ça valait cinq à six fois plus cher dans les magasins spécialisés !
    Dans l'heure qui suivit, nous affrétâmes un camion, direction Pavilly. L'affaire fut conclue en cinq minutes et, en un quart d'heure, le camion était chargé. [...] On allait pouvoir envisager de créer une section à Saint-Léger-du-Bourg-Denis. Justement, des vestiaires tout neufs venaient d'être achevés.
    La vieille salle dégoûtante, qui avait été un peu nettoyée pour le stage du 5 juin 1977, fut lavée, astiquée, repeinte en un jaune orangé très lumineux et une peinture anti-poussière rouge recouvrit le ciment du sol. Nous disposâmes le tatami. Juste quelques petites souillures, faciles à enlever à la brosse. La majorité des tapis était verte, quelques-uns étaient orange, ce qui permit de délimiter une bande de sécurité d'un mètre de large tout autour. Quelques trous dans le sol pour fixer des cales de bois. Une salle superbe était prête.
    Le CERA s'organisait. Il est toujours en train de s'organiser, d'ailleurs. Les Conseillers Techniques Nationaux reçurent des tâches très précises de stages officiels et de passages de 1er dan décentralisés. Lionel Lefranc me fut attribué comme adjoint. Nous avions convenu un stage les 24 et 25 novembre, sur le tatami tout neuf de Saint-Léger-du-Bourg-Denis.

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    Je rencontrai Lionel lors d'un stage au Dojo de la tour UAP, à la Défense. Il avait un défaut : il marmonnait au lieu de parler. Aussi, quand je lui demandai son adresse, pour le cas où j'aurais besoin de le joindre, il me répondit quelque chose comme « Meugneu, meugneu, meugneu... ». Rusé, je lui demandai de me l'écrire. Malheur ! Il écrivait comme il parlait ! Je décidai que je n'aurais pas besoin de le joindre.
    Il fit très froid, fin novembre 1979. Et le chauffage de notre petite salle des sports toute refaite à neuf n'avait pas été vérifié. Un ballon de foot obstruait l'arrivée d'air chaud ! Ce ne fut pas un problème pour le stage du samedi après-midi, on s'échauffe vite en travaillant sec. Et Lionel, le chargé des cours, n'a pas un style spécialement tendre. Ce ne fut donc pas non plus un problème pour le cours du dimanche matin.
    Ça devint un problème pour le jury pendant l'examen qui se déroula après le stage. Qu'il fit froid ! Nous étions gelés ! Est-ce cela qui nous rendit sévères ? Sur les six candidats, trois seulement furent reçus : Gérard Pelois, Marc Roussy et Catherine Bocquet. Sylvain Lacaille, qui avait déjà acheté son hakama, fut fort contrit ! Annie Bocquet et Alain Picard furent certainement déçus. Qu'importe, ils furent admis au passage suivant, à la fin de la saison.
    L'assemblée générale de la FFAK se déroula le 28 juin 1980. Il y fut toujours question de l'impossibilité de s'entendre avec l'UNA, bien sûr. Mais une nouveauté sortit tout le monde de la torpeur propre à ce genre de réunion. Monsieur Jalbert, le président, annonça que le groupe Floquet désirait que notre école prenne le nom d’Aïkibudo. Mais de quoi ? N'est-ce pas le groupe Nocquet qui s'appelle Cercle Aïki-Budo ? Pourquoi ? Comment ? Qu'est-ce à dire ?
    Monsieur Jalbert expliqua qu'il avait été souhaité que l’Aïkido d'avant-guerre, celui que maître Mochizuki reçut du maître Ueshiba, soit distingué de l’Aïkido d'après-guerre, pratiqué par les maîtres Nocquet et Tamura, donc qu'il reprenne son appellation d'origine, à savoir Aïkibudo. (1)
    Maître Floquet, consulté, acceptait cette appellation. Il semble qu'aujourd'hui encore beaucoup n'aient rien compris à cette affaire et cherchent encore à comprendre !
    À la fin de la saison, la section Bourdeny Aïki Kobudo fut constituée, les statuts déposés en préfecture, la salle agréée par le représentant de la Jeunesse et les Sports. Ce monsieur m'affirma que nous avions le plus beau Dojo de la région, mais je savais qu'il exagérait, il en existait de plus fonctionnels.
    J'aurais dû choisir Bourdeny Aïkibudo comme nom pour mon club, mais je n'étais pas sûr de notre changement d'appellation, alors j'avais choisi une solution de Normand...
    Du 21 juillet au 2 août, ce fut le retour au Temple-sur-Lot. Gilbert Bilas avait redessiné les emplacements et, désormais, chaque parcelle était bien déterminée et nous disposions de l'électricité. Il promit que n'aurions plus à craindre les subites pannes d'eau de l'année passée. Les zones, calme et agitée, avaient été déterminées. J'eus une brève altercation avec de bruyants karatékas qui furent priés illico de plier bagages : la zone calme était dévolue aux membres du CERA.
    L'organisation des cours fut plus rationnelle qu'en 1979. Celui du matin fut maintenu, mais de sept heures et demie à neuf heures. Il fut consacré à l'étude des Kata, plus de pratique destructrice ! Et Alain Roinel put convaincre notre maître de le laisser exposer le fruit de ses études sur l'échauffement en douceur.
    De dix heures et demie à midi, cours intense, musclé. De temps en temps, je me poussais au bord du tatami. L'ambiance de serre de cette région du Lot-et-Garonne me déchirait les vertèbres dorsales et me paralysait le cou. C'est au cours d'une de ces pauses que de fiers et hardis stagiaires, Canadiens et Hollandais, me bondirent dessus, me suspectant de tirer au flanc. Je fis un combat d'enfer, brutal, méchant. Je n'avais pas envie de jouer. J'avais besoin de paix et je l'imposai.
    Ce même jour, Alain organisa une sorte de compétition de combat au sol, style Judo. Lionel Lefranc et Jean-Jacques Delalande, les Dalton, avaient la réputation d'être les meilleurs du CERA. Ils vinrent me provoquer, comptant s'amuser un peu. Ma réserve à l'entraînement était vraiment prise pour de la pusillanimité ! Du temps où je pratiquais le Judo, j'excellais au sol. Je sens bien ce type de combat où il faut s'assimiler à un linge humide qui se répand sur l'adversaire. Je l'avais compris le jour où le maître Shozo Awazu, tel un rouleau compresseur, m'avait incorporé au tatami !
    Alors, je pris les deux lascars ensemble, les emballai et en fis un petit paquet.
    J'avais inscrit Stéphane au stage. Et son partenaire favori était Jean-Jacques. Ce grand lascar au physique satanique adore les enfants et les attire immanquablement. Il leur fait réussir tout ce qu'il veut. Stéphane emmagasina une incroyable quantité de connaissances et se mit à exceller dans les contre-prises. Malgré ses onze ans, quiconque lui portait Shiho Nage subissait illico Mukae Daoshi.
    L'accent fut mis avec intensité sur le Kobudo. Quatre Kata de Kenjutsu, trois Kata de Bojutsu et deux Kata de Naginatajutsu, sans oublier le Iai Goshi et le Batto Jutsu... Nous nous partagions la mémorisation de tout cet ensemble, Éric Lemercier et moi. À la rentrée, notre surprise fut grande de constater que notre mémoire était en fait... Stéphane qui avait tout enregistré et se permettait de nous reprendre au besoin. Mais un jour, il préféra le patin à roulettes à l’Aïki et fut perdu pour les Arts Martiaux. Mon fils n'était pas destiné à devenir mon héritier spirituel.

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     Nous travaillions avec intensité les assauts au Bokken. Mais plus difficiles étaient les techniques d'attaque et défense à la Naginata. Le maître était très strict sur la technique et reprenait Monmon, le petit Tarbais, entêté comme une mule. Aussi Alain arrêta-t-il le cours, mit-il Monmon au centre du tatami avec son Bokken et demanda-t-il un adversaire à la Naginata. Lionel, assis à côté de moi, se leva et prit ma précieuse arme.
    Deux échanges, et Monmon brise MA Naginata ! Il est étonné. « Je ne comprends, on recommence ! ». Il vient chercher une autre Naginata, la remet à Lionel et, après deux échanges, la brise ! Le dimanche, il descendit à Tarbes avec ma belle arme détruite et me la rendit le soir-même superbement réparée.
    Nous avions quelques problèmes avec les stagiaires du Judo, insupportablement braillards. La radio dans les dortoirs à des heures nocturnes avancées, les portes claquées la nuit, des plaisanteries grotesques irritaient fort les adeptes de l’Aïki qui devaient se lever à six heures trente pour le cours du matin.
    Pourtant, de treize à quinze heures, ils étaient très calmes, ils faisaient la sieste !
    Or, 1980 fut une année olympique. La période du stage coïncidait avec les épreuves de gymnastique. L'heure de la retransmission coïncidait avec celle de la sieste des gentils judokas. Et s'il est un fervent des épreuves de gymnastique, c'est bien le grand Paul-Patrick Harmant, lui-même gymnaste de talent.
    À quatorze heures, Paul-Patrick alluma le poste de TV et s'installa confortablement. Protestations dans les dortoirs : on ne trouble pas impunément la sieste des judokas. Paul-Patrick rongeait son frein. Il est doux, pas rancunier pour deux sous, fort heureusement, car il est bâti en hercule, mais il était très mécontent parce que la veille des judokas avaient commis une de leurs mauvaises farces. Ils avaient recouvert de boue la voiture de son père. Et ça, Paul-Patrick ne le pardonnait pas.
    Protestations, vociférations, menaces dans les dortoirs. « On va lui fermer son poste et lui casser la gueule ! ».
    Une délégation de fiers-à-bras surgit près du poste de télévision. Paul-Patrick était seul, assis au milieu d'un groupe de chaises. Les costauds l'entourèrent. Le meneur se dirigea vers le poste... « Ne touchez pas à ça ! ».
    Paul-Patrick est très courtois et ne se permettrait pas de tutoyer quelqu'un sans sa permission... Mais il vient de se lever. Il est immense. Mâchoires crispées, ses yeux lancent des éclairs.
    « Vous faites du bruit la nuit, moi je regarde la télévision le jour et j'en ai le droit, et si quelqu'un a l'intention de m'empêcher de regarder les épreuves de gymnastique, je vais lui faire voir si à l’Aïki nous sommes des danseuses comme vous le prétendez ! »
    Il incarnait le dieu des Arts Martiaux tant était juste sa fureur. Devant la stature et la détermination du personnage, les autres battirent en retraite. Paul-Patrick ajusta le son à un niveau audible et s'installa confortablement.
    Notre meilleur expert en Iaï Do était certainement Lionel Lefranc. Alain met toujours ses meilleurs élèves en vedette. Aussi demanda-t-il, en clôture de stage, que Lionel nous fasse une de ses brillantes démonstrations de l'Art de dégainer le Sabre. Lionel est myope. Incroyablement myope. Il ne se sépare jamais de ses précieuses lunettes à l'épaisse monture noire. Lionel n'est certes pas spécialement élégant et ses tenues sont plus proches de celles du Ronin affamé que de l'opulent Samurai... Et ses lunettes vont avec l'ensemble, elles ne tiennent pas sur son grand nez malgré les larges oreilles sur lesquelles les branches prennent appui. Et quoi qu'il fasse, elles glissent.
    Cette année-là, Lionel ajouta donc une touche personnelle à la Tradition. Après chaque Kata, avant de se concentrer pour le suivant, d'un index expert, il remonta ses lunettes.
    Et puis, le stage terminé, les familles Roinel et Tellier s'en furent en Dordogne se livrer à la béatitude d'un superbe stage de sieste dans un camping très calme, au milieu d'une forêt.
    J'ai, dans mes nombreux talents, une certaine habileté au dessin, et un sens certain de la caricature. Au cours d'une sieste, Alain Roinel me mit au défi de caricaturer les cadres du CERA.
    Je me défile toujours quand on me provoque, je ne réagis qu'après une longue réflexion. Et ce n'est que rentré chez moi que je m'attaquai au problème et réalisai la somptueuse caricature intitulée CERA 2020.
    Je la soumis au maître, lui demandai ce qu'il en pensait. Il me la confisqua et, dans le premier numéro de la saison 80/81 de FFAK INFO, mon dessin figurait à la place d'honneur. Le maître a de l'humour. Mais j'ai ouï dire que certains n'apprécièrent pas la plaisanterie et furent très fâchés.

     

    (1) Nous avons en effet longtemps cru que nous pratiquions l’Aïkido pratiqué par Morihei Ueshiba dans les années 30 et qu’il avait enseigné à Minoru Mochizuki. Il s’agissait en fait à l’époque de Daïto Ryu Aïkijutsu et Minoru Mochizuki avait été plus son assistant que son élève. Le nom Aïki Budo fut bien utilisé par Morihei Ueshiba à l’époque où Mac Arthur, chef des armées d’occupation du Japon, interdit la pratique des Arts Martiaux. Minoru Mochizuki raconte que lors d’une réunion avec ses condisciples il fut suggéré de supprimer le Kanji « Bu » qui donne le sens d’Art Martial. L’Art de Morihei Ueshiba devint l’Aïkido et sa pratique fut dorénavant autorisée.
    Ce n’est qu’en lisant l’interview réalisée par Stanley Pranin en novembre 1982 et les lettres envoyées par le Maître à Alain Floquet que nous avons appris la réalité de notre histoire. Mais ceci est une autre histoire…


     

    À suivre

    80 balais... âge canonique

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

    80 balais... âge canonique

     

     

     

    Oublie tes peines et pense à aimer
    あなたの悩みを忘れて、愛について考える
    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    80 balais... âge canonique

    mort-de-rire

     

     

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