• Quelques notes (21)

     


    SAISON 1977 / 1978 : MOROSITÉ... PUIS ENVOL VERS LES SOMMETS


     Un petit changement se produisit à Bois-Guillaume. Notre club, créé dans la foulée de la section de Malaunay, continuait à vivre de façon occulte et nous créâmes officiellement la section, indépendante de celle de Judo, avec laquelle nous étions un peu confondus par l'administration centrale, l'Union Sportive et Culturelle de Bois-Guillaume.
    C'est ainsi que Jean-Marc Fiess accepta d'être investi du titre de président et que Bruno Lemercier se chargea de la trésorerie. C'était la moindre des choses de la part de mes deux assistants favoris que j'avais parés du titre de Conseillers Techniques Départementaux.
    La section piétina pourtant cette année-là, et il n'y eut guère de nouveaux inscrits, mais je ne faisais pas grand-chose pour attirer la clientèle. Début septembre, une jeune fille me demanda des cours particuliers pour apprendre rapidement à se défendre, car elle allait partir pour le Pérou où pas mal de jolies touristes avaient de gros ennuis dans des postes de police locaux. Je lui conseillai de s'acheter un 7,65 ou de rester en France. Une autre fois, un frêle intellectuel chevelu-barbu vint s'inscrire parce qu'il était, disait-il, non-violent.

    • « Vous êtes-vous déjà battu ?
    • Non, jamais !
    • Alors, vous n'êtes pas un non-violent, vous êtes un trouillard. »

    Bien sûr, il ne s'inscrivit pas...
    Le CERA aussi était stationnaire, on osait espérer sept cents adhésions pour la saison ! La FFJDA continuait ses manœuvres d'intimidation et la CFAMT édita une note d'information où l'on apprenait que rien n'obligeait un professeur à adhérer à une fédération, que toute action coercitive de la part de la FFJDA devait être suivie d'une plainte auprès du Secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports.
    Afin d'obtenir l'agrément ministériel, la Confédération devint Fédération (FFAMT) le 15 décembre. Devant des représentants de la « Jeunesse et les Sports », les dirigeants de la nouvelle fédération firent valoir sa vocation à regrouper, en plus des écoles d’Aïki, l'ensemble des Arts Martiaux non compétitifs et proposèrent un entretien avec l'UNA sous la présidence du Secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports.
    Le 15 janvier, le CERA se réunit pour créer son nouveau Comité Directeur. Déjà se faisaient jour des dissensions dues au Yoseikan Budo dont techniciens et dirigeants affirmaient haut et fort que l'Art qu'ils pratiquaient était totalement différent de l’Aïkido.
    Or, nous tenions à faire savoir que nous maintenions la continuité de l’École Yoseikan. Et nous rappelâmes que la FFAMT devait rassembler des Arts Martiaux authentiques, fermant ainsi la porte aux maîtres « bidons » qui commençaient à apparaître un peu partout en France.
    En effet, les experts titulaires d'un Menkyo Kaiden (titre suprême de connaissances d’un Art Martial, donnant l’autorisation d’enseigner les secrets d’une École...) d'écoles inconnues, obtenu après un séjour d'un mois au Japon, débarquaient toutes les semaines à Orly. J'exagère ? Un peu, je l'admets volontiers, mais croyez bien qu'ils furent légion.
    Ce jour-là, par souci d'objectivité, Claude Jalbert, déjà président de la FFAMT, démissionna de son poste de président du CERA. Alain Floquet fit une intervention émouvante. Il regrettait et comprenait le départ de Claude Jalbert dont je devenais le logique successeur. En effet, notre action avait fait d'une association d'amis une école de dimension nationale. Mais mes activités en Normandie, mes fonctions municipales, mon éloignement de Paris où les négociations avec le ministère étaient quasi permanentes me firent refuser ce poste. Hervé Villers était de loin le plus compétent. Il devint président du CERA, je demeurai vice-président, je l'avais échappé belle !
    Le Conseil des Ceintures noires fut confirmé : Jalbert, Roinel, Tellier et Villers avaient rang de Conseillers Techniques Nationaux sous la direction d'Alain Floquet, Roinel ayant le titre d'Adjoint au Directeur Technique National.
    Le cas de Royo fut envisagé pour une admission future, car il était encore empêtré dans le Yoseikan Budo et la Ligue du Sud-Ouest se déchirait dans des querelles de villages... Mais il était confirmé dans le titre de Conseiller Technique Régional.
    Le comité directeur de la FFAD à laquelle le CERA était toujours associé au sein de la FFAMT nous relançait régulièrement pour la constitution de la région 10 et Bruno Lemercier continuait à temporiser. Il n'y avait pas d'enthousiasme, d'où que ce soit, et en particulier une absence totale de prise de responsabilité de la part des clubs du groupe Nocquet. Bruno s'appuyait sur l'ineptie de la constitution de grandes régions qui, du temps de l'UNA, nous avaient contraints à de trop grands déplacements.

    L'année 1978 fut l'occasion d'un cycle de stages au Stadium, un ensemble sportif situé près de la porte d'Italie. Le premier eut lieu le 26 février. J'y allai, accompagné, comme toujours, de Jean-Marc Fiess, Éric, Bruno Lemercier et Jacques Hébert. Nous passions le temps du trajet (une heure et demie d'autoroute) à dire du mal de nos vieilles connaissances du groupe Nocquet ou du groupe Tamura. Ça nous faisait beaucoup rire et nous nous sommes construit là une belle réputation de mauvaises langues.
    Ces stages maintenaient la tradition du repas pris en commun le midi et l'extraordinaire amitié qui existe parmi l'ensemble des cadres du CERA s'est construite à ces occasions. C'est ce qui avait déjà soudé le CERA Haute-Normandie.
    Un soir de cet hiver 1978, à la fin d'un cours, j'eus la visite de trois ravissantes personnes. Elles souhaitaient s'inscrire. Comme j'en avais pris l'habitude, je leur demandai leurs motivations.

    « Nous en avez assez d'être violées le soir, à la sortie des cinémas... »

    Drôles d'habitudes, mais je compris qu'elles parlaient au nom de l'ensemble de la féminité, elles militaient au MLF. Alors, je leur répondis :

    « Vous savez, mignonnes comme vous l'êtes, avec la mentalité des gens qui sont là, vous avez toutes les chances d'être violées à la fin du cours ! ».

    Les jolies demoiselles gloussèrent et s'inscrivirent, je ne les avais pas choquées.
    Hélas, leurs capacités physiques n'étaient pas à la hauteur de leurs espoirs. Ni leur persévérance. Après deux ou trois semaines de courbatures, de difficulté à donner des coups de poing, de frayeur à l'idée d'effectuer une roulade, avant ou arrière, elles abandonnèrent.
    Un mois plus tard, une revue syndicale gauchisante, l’École Émancipée, publiait un pamphlet vengeur intitulé : « Appel international des femmes ». On y fustigeait les clubs d'Arts Martiaux et leur tradition élitiste (le salut par ordre de grade !), militariste et sexiste. Ou on donnait un enseignement au rabais ou on brutalisait ces chéries ! Il fallait créer des milices féminines, organiser des cours gratuits pour des femmes, dirigés par des femmes, en un mot, trouver un Art martial réellement féminin... (J'ai appris depuis que ça existe au Québec, les hommes y sont formellement interdits : techniques secrètes !)
    Je répondis, bien sûr. Je prétends qu'on n'apprend pas à se défendre : au mieux, on perfectionne un instinct de défense, au pire, on se charge de schémas théoriques dans un contexte sécurisant. J'ai découvert que, dans un tout autre domaine, le linguiste Noam Chomski défendait une thèse parallèle : « L'enfant n'apprend pas à parler, il apprend le vocabulaire d'une langue de la tradition culturelle particulière dans laquelle il est né. » Intéressant, non ?
    J'ai vu ma femme, quarante-cinq kilos toute mouillée, réagir comme une furie et mettre à mal un grand gaillard qui l'avait quelque peu importunée. Elle n'avait aucune connaissance des Arts Martiaux mais l'épiderme chatouilleux. Et des experts haut-gradés ont connu la sensation du ventre vide et des jambes en coton dans une situation d'agression.
    Les Arts Martiaux sont complexes et dangereux. On n'enseigne pas n'importe quoi à n'importe qui. La fifille élevée dans du coton doit d'abord se muscler avant d'exécuter la moindre technique. Il y a une progression à suivre, comme à l'école, même si, dans un club, il n’est pas question de tâtonnement expérimental, encore que mon expérience m'ait montré que chacun, tout comme l'enfant à l'école, construit ses propres savoirs et apprend à la fois plus et moins que ce que l'enseignant propose dans le contenu de son cours.
    L'expert en Arts Martiaux a passé des années à se former, a donné beaucoup de son temps, de son argent en cours, stages, déplacements. Il est logique qu'il soit indemnisé en retour pour ce qu'il enseigne.
    Art martial au féminin ? Choisissez plutôt mieux les quartiers où vous vous promenez ! L'année suivante, les demoiselles trouvèrent un club d’Aïki dont le professeur était une femme, Catherine Lebrun. Hélas, Catherine était une de mes fidèles disciples et enseignait selon mes principes. Quelle déception !
    Le lieu des passages de grades était de nouveau Paris. Le passage de 2ème dan organisé à Saint-Léger-du-Bourg-Denis avait été organisé en aparté... Je présentai donc un groupe d'élèves.
    Je formai un jury avec Alain Roinel. Alain Floquet examinait un second groupe. Je ne sais plus qui tenait le troisième jury.
    J'avais à juger mon élève Christian. Alain Floquet jugeait Éric et Thierry , et Catherine passait devant le troisième jury. Le niveau n'était certes pas élevé mais convenable. Et puis, si on voulait avoir quelques reçus, il ne fallait pas être trop méchant.
    Cette année-là, le maître souhaitait que tous ses élèves et tous les élèves de ses élèves soient de son propre niveau. Il fallait donc être très strict lors des passages de grades. Au moment des délibérations, il vint me trouver et me dit : « Tes deux candidats sont vraiment mauvais ! ».
    Il avait jugé les meilleurs des quatre et Catherine et Christian avaient été admis par leur jury respectif. Je tentai de discuter. Il me proposa de racheter Éric, parce que c'était le fils d'une personne pour laquelle il avait beaucoup de respect et d'amitié... Je trouvais Thierry meilleur. Je lui dis que si Thierry était recalé, il fallait aussi recaler Catherine et Christian.

    « Et bien, il n'y a qu'à les recaler tous, trancha-t-il... ».

    Quelque chose n'allait pas, ou n'allait plus. Finalement, Catherine, Christian et Thierry revinrent avec leur 1er dan. Mais Éric n'eut jamais l'occasion de se représenter. Le destin n'a pas voulu que ce garçon particulièrement doué suive la Voie des Arts Martiaux. Je l'avais sacrifié à Thierry en qui je croyais mais qu'Alain Floquet avait deviné : ce garçon n'agissait que pour lui et il fut plus tard très décevant. Mais qui ne s'est jamais trompé dans ses jugements ?
    À la fin de la saison, je reçus une circulaire de l'UNA car, bien que je ne sois plus licencié, je recevais toujours le courrier de la FFJDA. Bonnefond organisait le congrès de la FIA à Hawaii, rien de moins. Mégalo, vous avez dit mégalo ?
    Et puis, inattendue, une convocation : examen pour le 4ème dan le 17 septembre 1978... J'avais l'été pour me préparer.
    4ème dan ! Quelle absurdité ! Par moments, je me trouvais inférieur à bien des 1er dan ! Je téléphonai à Alain. Ce n'était pas possible, je n'avais pas, je n'aurais jamais le niveau !

    « Qui es-tu pour contester mes jugements ? Te crois-tu mieux placé que moi pour estimer ton niveau ? »... Je pris une sévère leçon d'humilité.

    C'est vrai que nous nous complétons. Alain m'a souvent demandé conseil sur des décisions à prendre, ou pour la rédaction de divers textes. Je suis un peu son maître en littérature. Mais il est mon maître incontesté en Arts Martiaux. Et quoique je n'aie pas le tempérament à supporter des réprimandes de qui que ce soit, j'acceptai la leçon sans broncher.
    Étaient prévus pour le même examen Claude Jalbert, Edmond Royo et Hervé Villers pour le 4ème dan et Alain Roinel pour le 5ème dan. Cela balayait donc toutes mes hésitations si j'avais encore à en avoir.
    Dans la semaine qui suivit, je reçus un coup de téléphone de Monmon : « Tu te rends compte, je ne serai jamais prêt, ce n'est pas possible ! Je suis tout seul dans mon coin perdu ! »
    Je lui promis d'aller passer huit jours à Tarbes dans le courant de l'été et lui proposai de venir passer chez moi la semaine précédant l'examen.
    Au mois de juillet, j'allai renouer avec les joies de la voile que j'avais découverte quelques années auparavant, en 1973, à Cancale. J'avais alors vibré avec le vent et j'avais souffert de ne plus naviguer. Et puis une occasion s'était présentée, un stage sur le lac du Bourget. J'y connus ma première tempête et découvris pour la première fois que j'avais du sang-froid. Il existe dans cette région un vent soudain qui s'appelle, je crois, la traînée blanche. Il vient du nord et s'annonce par une écume blanche dans le lointain.
    J'étais au milieu du lac à bord d'un Pschitt, sorte d'Optimist pour adultes, quand je vis cette écume blanche. Les autres élèves du stage étaient encore à quai, plus lents que moi à gréer... Et puis soudain, ce fut l'enfer. Des vagues énormes, un vent de force 6 ou 7 ! Je planais vent arrière et risquais d'aller me jeter sur les rochers au bout du lac. Très calmement, je poussai la barre, remontai progressivement au vent sans trop border la voile, puis me retrouvai bout au vent, toutes voiles choquées : en panne. Je m'allongeai, attendant que ça se passe. Le Zodiac de sécurité arriva à ce moment-là. Les sauveteurs furent rassurés.
    Ensuite, je découvris les joies de la randonnée en Haute-Maurienne. Je ne connaissais pas encore la haute montagne en été. Ce fut un nouveau coup de foudre. Rien à voir avec le petit séjour dans les Pyrénées. Là, je découvris l'ivresse de l'altitude, des glaciers. Ma vie changea encore d'orientation.
    Début août, je pris le train pour Tarbes, afin de commencer ma préparation avec ce cher Monmon. Combien d'heures par jour ? Huit, dix, peut-être, jusqu'à saturation.
    Et je rentrai chez moi. J'avais contacté Éric Grimal qui acceptait de me servir de partenaire. Il ne me manquait plus qu'à trouver un Tatami. En effet, des travaux étaient effectués à Bois-Guillaume. On y installait un parquet pour agrandir l'aire d'évolution.
    J'allai demander l'hospitalité au club de Judo de Darnétal. Il me fut répondu qu'on ne tenait pas à voir le Tatami sali... Je mis ça dans ma poche et ma rancune par-dessus. Je le leur rendrais à la prochaine occasion !
    Alors, je me repliai sur la bicyclette. J'ai toujours eu horreur de la bicyclette ! Ça fait mal aux fesses, et c'est crevant. Mais j'avais décidé de perdre cinq kilos. Pas moins. Je partis en survêtement, pull à col roulé et K.Way. En haut de la première côte, je dégageais de la vapeur. Je dus faire quarante kilomètres le premier jour. À la fin du mois, je faisais quatre-vingts kilomètres dans le même temps. À chaque retour, je dégoulinais ! Je devais me déshabiller dehors pour laisser couler les flaques de sueur ! Ah ! La douche qui suivait ! Et les maudits bourrelets étant partis, j'avais une forme d'enfer.
    Début septembre, Monmon me téléphona.

    « Tu sais, je dors mal. J'ai des insomnies et cet examen me tracasse ! ».

    C'est vrai, Monmon est un insomniaque angoissé. Il a même essayé de trouver secours dans le Zen.

    « Je ne sais pas si je vais venir. Si je n'ai pas mon lit, je ne dormirai pas... ».

    Et oui, Saint-Léger-du-Bourg-Denis, c'est la Sibérie. Royan, c'était déjà le bout du monde. Monmon cherchait un prétexte pour ne pas venir.

    • « Monmon, je te renie. Si tu ne viens pas, c'est fini entre nous.
    • Attends, attends, j'ai acheté un lit pliant pour le camping. Mais c'est un lit à deux places, alors je ne sais pas si c'est possible...
    • Mais, oui, on trouvera la place, monte donc avec ton lit spécial à deux places ! ».
       

    Et Monmon dépassa la Loire, franchit la Seine et vint chez moi. Mais c'est déjà une autre histoire, car la saison 1978/1979 était commencée.

     

    À suivre

    80 balais... âge canonique

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

    80 balais... âge canonique

     

     

     

    Oublie tes peines et pense à aimer
    あなたの悩みを忘れて、愛について考える
    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    80 balais... âge canonique

    mort-de-rire

     

     

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

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