• Quelques notes (15)

     


     
    SAISON 1972 / 1973 : PRUDENCE, ÇA DÉMONTRE
     

    Quelques notes (15)

     
    La saison achevée m'avait passablement secoué et c'est prudemment que je démarrai la suivante. Je renonçai aux grands articles dans la presse pour ne faire passer que de petites annonces de reprise des cours. Je programmai le Kendo le samedi de seize à dix-huit heures, à la suite de l’Aïki.
    Nous étions une douzaine de courageux à casser nos Shinai sur deux armures, notre seule richesse ! Un rêveur de Bernay entreprit d'en fabriquer en résine et moquette. Mais ce ne fut pas le résultat escompté.
    J'avais été contacté par Lionel Duboc qui s'était fâché avec l’EJJL. J'acceptai de le prendre dans mon club sous réserve qu'il se mette au niveau. Comme il n'avait pas de moyen de transport, je passai le prendre toute l'année pour l'emmener à Malaunay. Et il venait aux cours de Bois-Guillaume en bus.
    Les dossiers de demande d'attribution du Brevet d’État par équivalence devant se préparer, je m'inscrivis au cours de secourisme et je passai le brevet le 19 décembre.
    La semaine suivante, je passai le 1er dan de Kendo au Centre Daviel. Le jury était très aimable. Mais c'était celui de la moribonde France Kendo Renmei. Depuis un an, en effet, un officiel Comité National de Kendo était en gestation à la FFJDA et était effectivement créé à cette rentrée. Shiga, le « surdoué », n'existait plus. Le conseiller technique du CNK était Kenichi Yoshimura. L'agonie de la FKR allait durer encore quelques années, désespérément soutenue par Alain Floquet. Mais encore une fois, nous étions cocufiés !
    Les précieux Brevets d’État nous furent attribués le 4 janvier 1973 et j'allai retirer le mien, le numéro 2733, au bureau de la Jeunesse et des Sports de Rouen. J'allais y faire connaissance du responsable des Arts Martiaux et devenir son interlocuteur privilégié jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite.
    Pendant toute cette période, quand on lui parlait d’Aïkido en Normandie, il ne voulut entendre parler que de moi. Cela me permit de rencontrer le Conseiller Technique Régional du Judo, le 5ème dan Rossin qui, lui aussi, se prit d'amitié pour moi. Et, encore plus tard, pour la FFJDA que j'avais quittée depuis si longtemps, il n'y a d'Arts Martiaux que sous ma responsabilité et, lors des championnats de France toutes catégories qui eurent lieu à Rouen, c'est à moi et à mes dissidents de la FFAK qu'il fut fait appel et non aux officiels licenciés de l'UNA qui protestèrent, mais en vain...

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    Un monsieur très âgé, il avait au moins quarante ans, grand, physique à la Philippe Noiret, vint s'inscrire. Il pratiquait depuis deux ans la méthode Ueshiba dans la région parisienne et venait à Bois-Guillaume prendre la direction d'un grand magasin. Il choisit de suivre les cours de Malaunay où nous étions déjà en surcharge. Qu'importe, il était imprégné de la notion d'amour du prochain, de non-violence, et tout, et tout...
    Mon style d'enseignement était déjà presque arrivé à maturité. J'avais un joli groupe de solides gaillards qui aimaient les affrontements un peu rudes.
    Le monsieur fut d'abord surpris. Ce n'était pas ce qu'on lui avait enseigné et il me le dit.

    «  On ne parle pas de non-violence si on ne connaît pas soi-même la violence, lui expliquai-je.
    - Certes, répliqua-t-il. »

    Il avait compris. Il s'essaya aux fougueux combats de mes jeunes adeptes. Il s'amusa comme un fou. Il avait compris et découvrait la joie d'avoir un corps. Il découvrait sa force. Il était fort comme un bœuf, le bougre, et il ne le savait pas.
    Il devint un des plus hardis guerriers de mon tatami qui devint vite trop petit. Il fallait pousser les murs trop rapprochés pour mes lascars : ils passèrent par les fenêtres et finirent par défoncer une porte vitrée.
    Le monsieur décomplexé finissait les cours trempé de sueur. Un soir, il se coupa la main et s'essuya au revers du kimono ! Quel spectacle ! Si ses anciens maîtres l'avaient revu !
    Ses responsabilités commerciales le contraignirent à arrêter. Je le revis quelques années plus tard. Il avait la nostalgie de cette courte période qui l'avait vu renaître.
    En même temps, j'inscrivis un homme encore jeune, un peu enveloppé, aux cheveux très noirs. Il ne souriait jamais et restait parfois prostré. Il venait visiblement chercher quelque chose, mais rien ne passait. De semaine en semaine, je ne constatais aucun progrès. C'était désespérant. Il vivait de toute évidence une période de trouble profond et était à deux pas de toucher le fond. Mais il persévérait et les améliorations se manifestèrent au fil des années.
    Il trouva son équilibre, et un rire éclatant, dans la lecture des étoiles et les sciences occultes. Rémy Grimal devait m’accompagner un long bout de chemin. Nous nous aidâmes mutuellement avant qu'il n'opte définitivement pour l'Astrologie. Il remercia les Arts Martiaux qui l'avaient sauvé, mais ayant un choix à faire, il le fit.
    Cette saison fut placée sous le signe de la mise en place de l'Union Nationale d’Aïkido. Des élections se préparaient, il fallut réorganiser les Ligues. Le 3 mars, nous constituâmes notre Conseil Régional de l’Aïkido Yoseikan.
    23 mars 1973. Championnats de Normandie de Karaté. Je suis invité à présenter une démonstration d’Aïkido et de Kendo dans la salle Wallon au Petit-Quevilly. La vedette sera le maître Taichi Kase, 8ème dan de Karaté.
    On nous avait installé un petit tatami à droite du public, le centre étant réservé aux combats. Ça ne me plaisait pas trop, mais il faut faire avec ce qu'on a. Avec mes acolytes, Jack et Jean-Marc, nous avions des séquences très au point, techniques à mains nues, bâton, poignard. Le public était connaisseur. Bien que nous fussions mal placés, le contact s'établit. Nous nous surpassâmes, ce soir-là, et les dix minutes allouées se transformèrent en une demi-heure, sans cesse rappelés par un public debout. Le cameraman de l'ORTF ne cessait pas de filmer.
    Seconde pause dans les combats, je me plaçai au centre de la salle pour ma démonstration de Kendo. Frappes de base, frappes enchaînées, éducatifs, frappes accroupi, combats enflammèrent de nouveau le public.

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    Quand le maître Kase vint présenter ses Kata de Karaté, il passa presque inaperçu et... le cameraman n'avait plus de pellicule vierge ! Aux actualités télévisées, quand passèrent les commentaires des prestigieux championnats de Normandie de Karaté, on vit un peu d’Aïki, pas mal de Kendo et un coup sauté au visage mal contrôlé... Il se passa quelques années avant que la Ligue de Normandie de Karaté ne m'invite !
    Le 28 mars, le Congrès National a enfin lieu. Le décompte des voix présenté par monsieur Lasselin ne correspond plus aux accords Bonnefond/Pfeiffer. En effet, le groupe Yoseikan plus le groupe Ueshiba totalisent 343 voix, l'ACFA en compte 132. Mis en minorité, Bonnefond claque la porte et va se plaindre à monsieur Audran, le président de la FFJDA. Monsieur Lasselin est donc élu président de l'Union Nationale d’Aïkido.
    Mais le Comité Directeur Fédéral cassa les élections et nomma un médiateur « neutre », le déjà connu Pfeiffer, qui reçut les pleins pouvoirs lors des Assises Nationales de mai 1973.
    Dans la foulée, sentant les difficultés venir, j'avais réclamé à monsieur Lasselin l'autorisation d'organiser un Shodan, sachant que notre délégué régional, Rosé Morison, y était opposé. Cette autorisation nous fut accordée et, quinze jours avant l'examen, Rosé Morison en fut avisé et reçut la liste des candidats. Lettre de protestation de sa part !
    Qu'importe, entre temps, j'avais obtenu l'appui du président de la Ligue de Normandie FFJDA En même temps, je m'étais inscrit à un passage de 3ème dan exceptionnel, organisé à l'intention des professeurs... C'était un peu une provocation de ma part, car je ne savais pas encore si j'étais vraiment en odeur de sainteté auprès du groupe Lallée, Michaud, Mochizuki.
    5 et 6 mai, stage annuel à Malaunay avec Alain Floquet qui me met au point pour le 3ème dan. Matin du 6 mai, notre jury, présidé par moi-même, 2ème dan, et avec, pour jurés, Collet, Gallais et Huard, 1er dan, examine et reçoit Jack Villiers, Jean-Marc Fiess et Ginette Tellier, mon épouse... Alain Floquet, qui n'a plus de titre officiel, est là en tant que témoin. Rosé Morison refuse de signer les cartes d'examen.
    Le 9 mai, je reçus, contre toute attente, l'autorisation de me présenter au 3ème dan.
    L'examen eut lieu le 19 mai 1973, au Dojo fédéral. J'étais chauffé à blanc. Les candidats avaient le droit d'emmener leur partenaire et j'avais choisi mon vieux compagnon Daniel Huard. Il était au point, car je n'avais rien préparé avec lui, me méfiant de son émotivité et de sa tendance à vouloir anticiper. Il ne connaissait aucun des mouvements, il fut tout simplement parfait, ne pouvant que subir et chuter au bon moment. Nous fûmes applaudis après notre prestation.
    Le jury délibéra. Hiroo Mochizuki annonça les résultats. « C'est lamentable, niveau nul ! Seulement deux candidats devraient être reçus. Un 2ème dan et un 3ème dan. Je donne le grade à tout le monde. »
    Alors, qui était le meilleur ? Chacun se prit à rêver. Hervé Lamour, vexé, refusa ce grade bradé et choisit de se présenter à la session « élèves » où il fut boulé. Il se représenta l'année suivante.
    Ce jour-là, je rencontrai Jean Lallée qui devint quasiment mon meilleur ami. Je lui exposai mes problèmes de Shodan. Il me conseilla de signer moi-même les feuilles d'examen.
    J'eus le plaisir d'aviser le président de la Ligue de Normandie de mes triomphes, il m'avait quand même soutenu de façon sympathique.
    Je reçus une lettre narquoise de Gabriel Michaud concernant ce Shodan, car il trouvait curieux que je signe en tant que professeur, conseiller de Ligue et examinateur, surtout la carte d'examen de ma femme. Je le renvoyai à son cher président Lallée et tout fut réglé.
    Juin 1973, les Assises de la Ligue de Normandie. C'était, cette année-là, l'élection officielle du représentant de l'UNA. Rosé Morison était bien sûr candidat, et il avait le soutien du président de la Ligue. Personne ne doutait de sa réélection. Mais j'avais dans la poche mon candidat, Alain Gallais.
    Les représentants du groupe Nocquet et Rosé Morison, qui détenait les voix de l'ACFA, ricanaient quelque peu, deux contre un, pas la peine de voter, non ? Hélas, j'avais dans une autre poche le décompte officiel des voix, au vu des licences de l'année civile 1972. En fonction du barème, je disposais de six voix, le CAT de deux voix et l'ACFA de trois voix. Six contre cinq. Pas la peine de voter, non ?
    Rosé Morison s'en fut. Le président de la Ligue n'était pas très content. Moi, j'avais fait le ménage devant ma porte.
    Le mois de juin, à Bois-Guillaume, c'est le moment des fêtes de l'USCB. Nouvelle et brillante section, nous nous devions de montrer notre savoir-faire. J'étais un peu fatigué des démonstrations et, avec Alain Floquet, nous décidâmes d'organiser une rencontre de Kendo. De l'inédit ! À tel point que la presse annonça sans vergogne : « Le clou de la journée sera certainement la venue de l'équipe de la préfecture de police de Kendo (Art martial dérivé du Karaté...) ».
    L'équipe de l'ASPP, entraînée par Shiga Tagakatsu (4ème, 5ème ou 7ème dan ?), enfant chéri de l'European Kendo Renmei (Association Européenne de Kendo), brillant technicien, moitié clochard, un peu escroc, était forte de quelques éléments de valeur. Moi, tout petit 1er dan, j'entraînais une vaillante équipe de Gaulois.
    La semaine précédant la rencontre, je m'en fus à la recherche d'une auberge susceptible d'accueillir vingt-sept crève-la-faim... En cette période, tout est pris, ou presque. Ce n'est qu'à Quincampoix qu'une gargotière ahurie accepta notre venue.
    Le dimanche matin, nous fîmes un entraînement. J'appris qu'il devait y avoir échange de fanions. Nous n'avions pas ce genre d'articles et je me procurai vite une douzaine d'écussons de l'USCB.
    J'arrivai à temps au petit Dojo pour l'entraînement qui dura deux heures. Et pendant que nous rangions le matériel, je discutai avec Alain et lui dis qu'il était bien difficile de s'entraîner convenablement avec si peu de matériel.
    « Pourquoi ne demandes-tu pas une subvention à ton club ? ». Je repensai à la subvention de mille deux cents francs de juin dernier. En septembre, le trésorier m'avait demandé quand je comptais la rembourser. Et j'avais allongé le remboursement de mes maigres ressources.
    Aussi répondis-je une ânerie, du genre : « Oh, c'est tout pour le Judo ! ». Or, le président de la section Judo était présent, et je ne m'aperçus qu'il était là que quand il répliqua : « Merci, monsieur Tellier ! ». Je rougis intensément pendant qu'il sortait. J'étais si honteux que je lui adressai une lettre d'excuses. Il n'était pas au courant de l'affaire de la « subvention remboursée », en principe, une subvention n'est pas un prêt !
    Il ne m'en voulut pas, comprit même ma réaction et, quelques jours plus tard, il me fit parvenir une petite subvention du Port Autonome de Rouen, où il était pilote, pour se faire lui-même pardonner. Je fis l'impossible pour tenir ma langue quelque temps, mais chassez le naturel...
    Midi. Nous allons à l'auberge de Quincampoix. J'avais téléphoné la veille pour vérifier que tout serait prêt. Mine ahurie de l'aubergiste. Elle avait cru à une blague : pas de table prête, pas de menu, rien... Me voilà fort contrit.
    Alors nous prenons les affaires en mains. Nous ouvrons les placards à la recherche d'assiettes. La dame va emprunter des fourchettes à sa voisine, car elle n'en a pas assez ! Nous sortons les terrines de pâté du garde-manger, nous faisons sauter les patates, nous récupérons les steaks dans la chambre froide. Nous débusquons dans la cave le Bordeaux et... le précieux Calva.
    Et ça aime le Calva, les Parisiens. Les Japonais aussi, car nous fûmes obligés de coucher le pauvre Shiga au fond du car.
    Plus d'arbitre. Alain Floquet dut arbitrer la rencontre. Les troupes n'étaient pas fraîches. Et il fallait que l'ASPP remporte la victoire, car les cadeaux que Shiga avait prévus pour les vainqueurs, c'étaient tout simplement des livres précieux qu'Alain lui avait prêtés. Ce dernier comptait ainsi les récupérer des mains des Parisiens.
    L'arbitrage fut curieux. L'arbitre regardait à côté quand un Normand marquait un point et surestimait quelque peu les attaques de Parisiens qui remportèrent ainsi la victoire. Et Alain récupéra ses précieux ouvrages.
    Du 2 au 13 juillet, je dirigeai le deuxième stage de Dieppe. Puis je pris la route de Royan pour retrouver mon copain Royo. Nous avions décidé de faire un stage avec Hiroo Mochizuki du 15 au 28 juillet, car Alain Floquet n'avait rien organisé cette année-là. Devait-il aller au Japon ? Je ne me rappelle plus.
    Ce furent deux semaines de pluie quasi incessante. Une fois de plus le camping fut inondé, mais cette fois, nous prîmes le parti d'en changer et nous découvrîmes le charmant camping de Médis.
    Ce furent aussi deux semaines consacrées aux coups de poing et de pied. J'en gardai une tendinite pernicieuse au niveau des adducteurs et le dégoût définitif du Yoseikan Budo en gestation... Un stagiaire dit même avec humour : « J'aurais dû faire un stage de Karaté avec Valéra, j'aurais peut-être fait un peu d’Aïki ! ».
    Dommage, j'avais tant apprécié Hiroo en 1969.

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    À suivre...

    80 balais... âge canonique

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

    80 balais... âge canonique

     

     

     

    Oublie tes peines et pense à aimer
    あなたの悩みを忘れて、愛について考える
    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    80 balais... âge canonique

    mort-de-rire

     

     

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