• Quelques notes (14)

     


     
    SAISON 1971 / 1972 : LA TEMPÊTE

    Quelques notes (14)

    Le J.O. du 1er septembre 1971, en pages 8684 à 8687, annonce la création des brevets d’État d'animateur, de moniteur et de professeur de Judo, Aïkido, Karaté et méthodes de combat assimilées.
    Des diplômes devaient être attribués par équivalence, après avis favorable de la Fédération. Appel à dépôt de dossiers. Une commission, formée d'Alain Floquet, Gabriel Michaud, Georges Martin, Alain Roinel et Claude Jalbert, fut chargée de faire le tri.
    Notre saison commença réellement le 27 septembre, avec la réunion du bureau du groupe Mochizuki. Notre président, Claude Jalbert, nous y apprit que, le vendredi 17 septembre, avait eu lieu la première réunion de la toute neuve Union Nationale d’Aïkido, avec la distribution suivante :

    • groupe Mochizuki  2500 licenciés : 4 représentants
    • groupe Ueshiba     2500 licenciés : 3 représentants
    • groupe ACFA         1500 licenciés : 8 représentants...

    Vous avez bien lu. Et suprême raffinement, aucun ordre du jour n'avait figuré sur les convocations !
    Claude Jalbert, nous posa calmement ces questions, que nous eûmes le temps de méditer au cours des années qui suivirent :

    • Notre groupe doit-il rester à la FFJDA ?
    • Notre groupe n'aurait-il pas intérêt à s'appeler Yoseikan (nom de l'école d'origine) plutôt que Mochizuki (nom du maître) ? Ceci permettrait de resserrer les liens avec le Japon et il envisageait un voyage aux sources.

    Une assemblée générale fut convoquée pour le 23 octobre. Ce jour-là, Hiroo Mochizuki ne put être présent, prétextant sa présence indispensable aux championnats de France de Karaté.
    Alain Floquet, fort de son titre de Directeur Technique National, demanda que toutes les demandes d'experts nationaux à destination des stages de Ligue passent par lui. Ce qui attira des remarques fielleuses de « Gros-Louis » Clériot, le secrétaire administratif du groupe, et de son égérie, miss Lyliane...
    Cette assemblée générale fut fortement contestée par la lettre d'un nouveau venu, Jean Lallée. Ce monsieur remettait en cause le titre de président de Claude Jalbert et réclamait une nouvelle assemblée générale, devant se tenir avant celle de l'UNA prévue le 11 décembre, et avec élection d'un vrai président ! Tout cela pour défendre les intérêts du gentil Hiroo que tous ne pensaient qu'à léser !
    Le 30 novembre, je reçus une convocation adressée, paraît-il, à la demande de Hiroo, pour une assemblée générale le 10 décembre (un vendredi soir !) au gymnase Montorgueil (chez ce bon monsieur Lallée !). Étaient joints quelques « pouvoirs » à renvoyer à ce cher Hiroo.
    Je décidai de récupérer toutes les signatures possibles et de les garder pour mon usage personnel.
    Et le vendredi 10 décembre 1971 à vingt-et-une heures, avec mon ami Guy Collet, nous arrivâmes sur les lieux de cette fameuse assemblée générale. Hiroo pleura beaucoup, se plaignit beaucoup des méchants qui ne le considéraient pas comme un maître alors qu'il était fils de maître et que le Grand Maître Fondateur, Ueshiba Sensei, le considérait comme son petit-fils.
    C'est alors que Jean Lallée, ému jusqu'aux larmes par l'absence de cohésion existant dans le groupe, déclara qu'il acceptait, par amitié pour le maître Hiroo Mochizuki, et pour assurer sa protection, de prendre la direction d'un nouveau Comité Directeur, la présidence étant vacante puisque, paraît-il, Claude Jalbert avait démissionné.
    Et on vota. Il y avait en fait trois votants : Lallée (436 pouvoirs), Floquet (291 pouvoirs) et Tellier (52 pouvoirs), ce qui donna 436 oui, 291 nuls et... 52 contre qui provoquèrent le courroux de Lallée. Un bureau était élu, Alain Floquet se voyait contraint d'abandonner toute responsabilité technique. L'infâme Michaud lui piquait la place.
    Le lendemain, nous remportâmes un triomphe dans un magnifique gala d'Arts Martiaux à Bois-Guillaume, ce qui me valut mes premières lettres d'admirateurs, je commençais à succomber aux attraits du vedettariat.
    Alain Floquet s'efforça de rameuter ses fidèles. Minoru Mochizuki était arrivé en France le 20 décembre, probablement pour officialiser Lallée. Il nous fallait nous montrer nombreux. J'étais chargé d'établir un compte-rendu et de l'adresser un peu partout en France, ce que je fis en y joignant un projet de pétition destiné à faire annuler l'élection. Entre temps, les Languedociens avaient diffusé leur propre rapport et réclamaient :

    • l'approbation par tous les clubs du bureau provisoire au cours d'une assemblée où tous les représentants des Ligues devraient obligatoirement être présents
    • l'adoption du nom « École Yoseikan »
    • la constitution d'une commission technique avec Hiroo Mochizuki comme Conseiller Technique National, Alain Floquet comme Directeur Technique National et une participation des provinciaux.

    Ma prose n'était pas aussi tendre et mon penchant à la polémique m'avait poussé à impliquer directement ce cher Lallée !
    Le séjour de Minoru Mochizuki dura un trimestre et fut ponctué de toute une série de stages. L'un d'eux fut réservé au club d'Alain Floquet qui lui offrit un précieux objet : une Naginata forgée dans la province natale du Maître.
    Le 4 Janvier 1972, l'ORTF me consacra cinq minutes du journal télévisé régional ! C'était l'aboutissement d'un long travail de fond, d'apprentissage des relations publiques. Les démonstrations, les articles dans la presse locale, un courrier à FR3 Normandie, portaient enfin leurs fruits. Rendez-vous avait été pris et une équipe vint prendre possession du tatami de Bois-Guillaume un samedi après-midi de décembre 1971. En cette fin de trimestre agité, j'avais eu un passage à vide révélé par un herpès à peine cicatrisé. J'avais les cheveux longs et le visage émacié, mais toujours une foi inébranlable.
    Le tournage dura plus de trois heures, alternant séquences d’Aïki et de Kendo. Puis enregistrement de l'interview pendant de longues, très longues minutes. Il en sortit un « magazine » remarquablement monté, avec illustration musicale à la harpe japonaise, le commentaire des images étant assuré par ma voix en surimpression. J'eus droit à quelques gros plans, notamment nouant le Tenugui (écharpe portée sous le casque dans la pratique du Kendo), ou pour de brèves explications où j'avais l'air écrasé de fatigue !
    Ce fut un gros succès et la séquence fut reprogrammée l'année suivante. Cela me valut aussi un important courrier et le début d'une série de cours d'Arts Martiaux à Bernay, dans l'Eure. Je parcourus en effet un bout de chemin sur la Voie du Budo avec Jean-Guy Tournafond, un kiné karatéka, passionné par le Kendo.
    Pendant ce temps, la fausse querelle Floquet / Mochizuki continuait puisque, presque simultanément, sortait dans les magazines spécialisés l'annonce de leurs ouvrages, aussi attendus l'un que l'autre, et complémentaires plutôt que rivaux, « L’Aïkido » par Hiroo Mochizuki et « Progression Moderne d’Aïkido » par Alain Floquet. J'avais assisté à la genèse de ce dernier et j'en possède deux exemplaires offerts par le maître : l'un avec sa dédicace, l'autre qu'il me fit parapher par le Maître Minoru Mochizuki. En effet, j'avais été invité à un cours du grand maître, mais ce jour-là, je devais assurer la préparation de l'option Aïkido des candidats au brevet d’État de Judo. Je ne vis pas Minoru mais j'ai un exemplaire de son extraordinaire signature.

    Quelques notes (14)

    En ce temps-là, nous commandions beaucoup de matériel à Judo International. C'était intéressant, car à chaque livraison était joint un chèque-cadeau, ce qui me permit de m'offrir mon premier hakama présentable.
    Nous n'osions plus présenter notre numéro de Naginata Jutsu avec notre énorme Katana-Cimeterre et, un de ces samedis où nous nous rendions au cours de l'ASPP, au Dojo de la rue Massillon, nous décidâmes d'aller voir les Iai To de Judo International.
    Un vendeur nous présenta les différents modèles. Il y en avait à lame d'aluminium, horribles, à neuf cents francs, et d'autres à lame en inox, assez jolis, mais à mille deux cents francs. Une fortune ! Guy Collet tenta plus ou moins de marchander et ne fit que s'attirer les protestations du vendeur. Nous avons un peu le verbe haut, en Normandie, et je crois que nous discutions fort, bien que calmement. Et de la mezzanine, au-dessus de nous, une voix demanda : « Que se passe-t-il ? »
    Le propriétaire de la voix apparut au-dessus de la rambarde. C'était Henry Plée, pionnier du Karaté en France et propriétaire de ces lieux. À l'époque, Judo International était une remarquable entreprise qui éditait la revue Budo Magazine, traduite du japonais, et pouvait fournir tout ce qui existait à propos des Arts Martiaux.
    « Ces messieurs trouvent que nos Katana sont trop chers ! », dit le vendeur. Henry Plée nous regarda puis dit : « Ah ! C'est monsieur Tellier ! Pour lui, c'est six cents francs ! ».
    Comment me connaissait-il ? Je ne l'ai jamais su. J'appréciai beaucoup la remise de 50%, mais six cents francs en 1972, c'était encore une petite fortune pour un modeste instituteur de campagne et l'achat ne se fit pas. (Notez que je me suis acheté un Iai To à lame inox pour quatre cent cinquante francs en 1982 !).
    Mais Guy Collet rêvait de son Katana. Lui aussi était un habile manuel. Il avait même été un peu forgeron. Il trouva quelqu'un, dans la région rouennaise, qui possédait un vilain Iai To en Duralumin. Il traça le contour de la lame sur un carton. La reproduisit sur une plaque d'inox de cinq millimètres d'épaisseur. La découpa à la cisaille. La lima longtemps, longtemps. La polit finement, finement. Acheta un bois léger et façonna une Saya très convenable qu'il laqua. Commanda à la prof de Judo de Malaunay, qui se rendait au Japon, une peau de raie, pour la Tsuka... Et il obtint finalement un remarquable Katana, en tous points satisfaisant. Et à la lame quelque peu tranchante. Il me le confia.
    Toujours avec l'aide du manuel d'Hiroo Mochizuki, j'entrepris d'apprendre le Iai Do. Je répétais et répétais des dizaines et des centaines de fois les gestes nécessaires.
    C'était pendant les cours du samedi, dans le petit Dojo tout neuf de Bois-Guillaume. J'étais très concentré, et Didier Ras, un jeune pratiquant de Malaunay qui m'avait suivi à Bois-Guillaume, se mit en face de moi. Il se mit à grimacer, à faire toutes sortes de singeries, me croyant impassible comme les Horse Guards de Buckingham Palace. Je suis très patient, mais très violent quand les bornes sont dépassées.

    « Arrête, Didier, fiche le camp ou je te coupe. »

    Didier ne crut pas en ma menace et réitéra ses singeries. Alors, froidement, sans colère, je dégainai, très vite, très loin, horizontalement.
    Didier sentit un bref éclair froid. N'y croyant pas, il s'essuya le front : ses doigts portaient des traces de sang. Il avait une fine estafilade horizontale, comme un coup de griffe. Il ne pouvait pas pâlir, étant déjà blême de nature, mais je crois que ses traits se creusèrent et le respect qu'il me portait devint très profond.
    Une autre fois, je répétais le Gen Ryu no Kata avec Jean-Marc Fiess. Il avait son Bokken et j'avais le Katana de Guy... J'essayais de travailler la distance, mais Jean-Marc était toujours très près. Défaut acquis dans la pratique anarchique du Kendo qui nous poursuivit longtemps en Ken Jutsu, nous cherchions systématiquement à toucher.
    Je sentais que c'était un défaut, surtout dans l'exécution de la phase Shiho Nage, où j'étais gêné pour passer sans frapper mon adversaire. Ce que nous faisions volontiers avec le Bokken, je m'y refusais avec le sabre coupant !
    Et je faisais reculer Jean-Marc, et Jean-Marc avançait toujours... Et ce qui devait arriver arriva. Il entra trop fort, je ripostai trop fort. La veste de combat fut tranchée. Le pantalon fut tranché. Le slip fut tranché et Jean-Marc eut une jolie entaille à la hanche. Il fallut le conduire à la clinique voisine et il récolta trois points de suture. Le Katana fut rendu à son propriétaire qui se résolut à en arrondir le fil.
    J'avais failli moi-même connaître un triste sort lors des prises de vue de FR3. Pour que le film soit plus spectaculaire, nous avions tourné toutes les séquences de défense contre Tanto avec une arme à lame métallique. C'est Daniel Huard qui l'avait fabriquée et, réalisme oblige, il avait façonné une lame tranchante et à la pointe terriblement aiguë. Pas de difficulté pour la planter dans le plancher. Un objet très joli, très réussi.
    Daniel avait un défaut, le trac. Cela m'avait déjà valu une épaule luxée lors de la mémorable soirée de Malaunay. Et là encore, il se laissa emporter par l'émotion. Alors que j'expliquais ce que j'allais faire, il attaqua brusquement, sans prévenir. J'esquivai par pur réflexe, n'étant absolument pas en garde. La lame perça le hakama, la veste, le pantalon et je sentis le froid de la lame le long de l'aine ! À un centimètre près, j'étais bon pour l'hôpital !
    Entre temps, quelques lettres furent échangées avec Claude Jalbert. Le trio Floquet - Jalbert - Tellier était en train de se constituer et allait contribuer à mettre en place ce qui serait plus tard l’Aïkibudo.
    Je crois que c'est au début de ce trimestre qu'un beau jeune homme très décontracté, style dilettante, vint s'inscrire avec pas moins de cinq jeunes filles, toutes plus charmantes les unes que les autres. Étudiant en médecine, il partageait un appartement avec des infirmières. Adeptes du Yoga et de la Méditation Transcendantale, ce joli monde venait compléter par l'Art du mouvement la recherche de la sérénité obtenue dans les Arts de la méditation...
    Yoga et Aïki ne vont pas nécessairement de pair et nos jeunes gens éprouvèrent beaucoup de difficulté à s'adapter, physiquement du moins, car ils se montraient charmants et communicatifs. C'est ainsi que le beau jeune homme, Laurent Hervieux, me confia qu'il ne trouvait pas ce qu'il cherchait dans les études médicales. Il cherchait à s'orienter vers les médecines parallèles, option révolutionnaire en 1972 ! Qui connaissait alors l'homéopathie ou l'ostéopathie ?
    Le traditionnel stage d'Houlgate eut lieu du 21 au 23 janvier. Plus que jamais, je réclamai Alain Floquet comme expert.
    Nous eûmes droit à un excellent tatami monté sur un plancher suspendu. Mais la porte d'entrée était dotée d'un mécanisme curieux et le pauvre Rosé Morison butait dessus comme une grosse mouche quand il voulait entrer et déclenchait l'hilarité générale.
    Pas besoin de râler auprès de l'expert pour travailler ! Le régime était de trois heures le matin, trois heures l'après-midi, une heure le soir.
    Le nouveau dada du maître était le Tambo, modifié façon canne française... Prenez un bambou de quatre-vingts centimètres à un mètre de long. Fendez en quatre aux extrémités sur une vingtaine de centimètres, polissez, fixez un bouchon de style Shinai. Et vole le bel objet ! Frappez la tête, les poignets, les flancs, les jambes...
    Le maître me provoqua en duel, ne doutant pas, habile combattant de Kendo, de me flanquer la raclée. Vous ai-je déjà dit que, tout petit dans ma classe unique, j'avais jadis chèrement défendu mon honneur à coups de règle en bois, à quatre couleurs et à section carrée ? Je lui rendis coup pour coup. Les spectateurs s'enflammaient et prenaient des paris. Nous arrêtâmes l'assaut pour éviter l'embrasement général !
    Le dimanche matin, nous fîmes passer le 1er dan à Dominique Giffard et Alain Gallais qui allait enseigner l’Aïki au Caudebec Judo-Club.
    Nous devions repartir très vite d'Houlgate car nous étions attendus pour une démonstration : la Ligue de Normandie FFJDA inaugurait son Dojo départemental au Grand-Quevilly et nous étions conviés à présenter notre Art au gotha du Judo. Alain Floquet avait voulu voir ce que nous avions préparé et nous avait simplement repris en Kendo, car ce que je faisais avec Dominique Giffard était particulièrement brouillon. Ce qui en ressortit fut moins agressif et nettement plus technique.
    Le nouveau Dojo départemental était situé en sous-sol d'un très bel ensemble. Un tatami de deux cents mètres carrés était bordé de gradins. Belle salle d'entraînement et de spectacle.
    Le président de la Ligue, Jean Devarieux, avait jadis passé un 1er dan d’Aïkido à l’Aïkikaï, en 1960, je crois, et à priori, il aurait préféré que la démonstration soit faite par l'équipe du Mans menée par Alain Courbe, prof de Judo et élève d’André Nocquet, donc dans la tradition Ueshiba. Et puis mon esclandre de l'année passée n'avait pas été oublié et j'avais beaucoup d'ennemis dans le Comité Départemental... qui avait pourtant préféré me demander, puisque j'étais de la région rouennaise, et puis mon passage à la télévision avait impressionné tout ce beau monde.
    J'avais une sorte d'examen à passer, et on m'attendait. Je commençai ma démonstration en prévenant les spectateurs que venions de subir un stage de trois jours et leur demandai qu'ils nous pardonnent donc si notre prestation était quelque peu modeste.
    Nous avions décidé de commencer sobrement, techniquement. Un public de connaisseurs a tendance à porter les acteurs. C'est ce qui se passa. Les querelles furent oubliées pendant une heure, les vingt minutes traditionnellement allouées ne suffisant pas à satisfaire les spectateurs.
    La démonstration finit dans l'euphorie. Notre partie Kendo, soigneusement revue, enthousiasma les centaines de personnes présentes. Le président Devarieux tint à me féliciter publiquement. Il venait de découvrir les qualités de l’École Yoseikan, dont il ne connaissait que les on-dit. Nous n'étions pas les brutes statiques qu'on lui avait décrites.
    Quelques jours plus tard, je fus prié de bien vouloir assurer la formation Aïkido des candidats de la Ligue au brevet d’État de professeur de Judo. J'allais désormais avoir une place réservée à toutes les manifestations officielles en Normandie.
    Je travaillais régulièrement les techniques de mon programme personnel avec Dominique Giffard. Je mettais particulièrement l'accent sur les Sutemi. Je profitais de la grande souplesse de mon partenaire pour rechercher un ralenti maximum. Que se passa-t-il ce soir-là ? Ude Kake Sutemi s'enchaîna comme dans un rêve, mon partenaire s'apprêta à rouler comme une balle de mousse... Réveil brutal ! Il s'appuie sur l'épaule, craquement, fracture de la clavicule...
    Je le conduisis immédiatement à l'hôpital dont nous ne sortîmes pas avant minuit !
    Pendant quelques semaines, Dominique vint assister aux cours, l'air guindé, un superbe corset de plâtre en guise de keikogi ! Il le revêtit toutefois à l'occasion d'une photo avec le groupe féminin des 6ème kyu. La photo leur suffit-elle pour leur évolution ? Laurent Hervieux et ses femmes disparurent sans explication.

     Quelques notes (14)

     Mars 1972. Je reçus une lettre recommandée, avec accusé de réception, datée du 7 et signée Lallée. Il n'avait pas apprécié mon pamphlet, réclamait des preuves de mon titre de « responsable du groupe Yoseikan pour la ligue de Normandie », et menaçait de m'attaquer pour faux et usage de faux. Là, j'avoue que j'eus des sueurs froides. J'avais l'impression que les copains m'avaient dit : « Vas-y, on te suit ! », que j'avais foncé et qu'ils étaient restés planqués...
    Je reçus quand même l'appui moral de Claude Jalbert. J'en avais besoin ! Et j'adressai mes « justificatifs » au président Lallée. Dans sa réponse du 23 juin 1972, il me remercia de « ma sincérité et de l'élan que l'on sentait dans mes lettres » et m'affirma que c'était pour lui « un réconfort qu'il y ait dans le mouvement des hommes tels que moi ». Il désirait me rencontrer et me souhaitait, ainsi qu'à Alain Floquet, bonne chance pour le stage d'été que nous avions programmé à Dieppe.
    Ça baignait, quoi. Mais j'avais perdu ma fraîcheur d'âme et je devins dorénavant très méfiant.
    Je crois que c'est au mois de mai que le cinéma Omnia, devenu depuis le Gaumont, programma « Soleil Rouge ». Le film à ne surtout pas rater ! J'avais l'intention d'aller le voir avec la famille Collet. Leur grosse Opel étant en panne, je leur proposai d'aller les chercher.
    Je revins de Malaunay par Bois-Guillaume. J'avais bien remarqué à l'aller que le feu du carrefour avec la route de Neufchâtel était en panne... Mais au retour, un bus était devant nous. Il tourna à droite sans s'arrêter. Je le doublai pour traverser le carrefour. Une énorme Simca-Chrysler arrivait sur ma droite à plus de cent kilomètres à l'heure et vint me percuter juste à l'arrière...
    J'eus l'impression de m'envoler pendant que Guy criait : « Vos mains au plafond, appuyez vos mains au plafond ! ».
    La voiture se retourna, puis glissa longuement sur le toit avant de s'arrêter contre un trottoir. Premier bilan : aucun blessé, personne même de décoiffé, juste un peu de poudre de verre dans les cheveux. J'essayai de sortir : la tôle était brûlante ! L'essence coulait à flot vers une réserve de bouteilles de gaz ! Et ma pauvre voiture était plus basse de vingt centimètres !
    Rapport de police. Transport à Saint-Léger-du-Bourg-Denis. Mes parents étaient venus passer le week-end, nous empruntâmes leur R8 toute neuve, nous ne tenions pas à rater « Soleil Rouge », car en ce temps-là, on réservait ses places et j'avais les billets dans la poche. Nous sommes bien entendu arrivés en retard et il fallut attendre plusieurs années pour que je puisse voir la version intégrale à la télévision.
    Plus de voiture. Et quatre cours à assurer chaque semaine ! Gilles Pasquier vint me chercher et me conduisit à Malaunay ou Bois-Guillaume pendant tout le mois où je me trouvai sans véhicule. Et à la fin de la saison, il m'apporta un chèque : « Je n'ai pas encore payé ma cotisation. »... Non seulement je ne l'ai jamais indemnisé pour ses multiples trajets, mais j'ai accepté son chèque ! Nous avons cessé de nous voir il y a déjà bien longtemps. Je crois qu'il me manque et j'ai toujours une dette à lui rembourser.
    Juin. C'était le mois des Assises de la Ligue de Normandie. J'y allais par obligation, car, Houlgate, c'est quand même à plus de cent kilomètres de chez moi, et l'essentiel du temps était bien sûr consacré au Judo. À peine dix minutes pour expédier nos affaires courantes. Les discours divers m'avaient copieusement endormi, et j'étais dans le nirvana au moment de la rituelle distribution des récompenses. Toutes les vieilles barbes avaient droit à leur médaille.
    J'étais aux côtés de Noël Grandsire qui dormait moins que moi, apparemment, car il me secoua et me dit : « Vas-y, vas-y ! ». Que se passait-il donc ? Je venais d'être cité et de recevoir la médaille de bronze de la Jeunesse et des Sports. Et mon collègue Alain Courbe recevait la médaille d'argent. Pourquoi cette différence ? Avait-il donc fait plus que moi pour le développement de l’Aïki ? À moins que Rosé Morison n'ait manifesté quelque préférence ?
    J'avais à me préparer pour le stage de Dieppe. Nous avions prévu un cours de Kendo mais nous n'avions pour tout matériel que nos Shinai.
    À la dernière réunion de bureau, le comité directeur de la section de Judo de l'USCB, à la demande de son président, m'accorda une subvention de mille deux cents francs, ce qui me permettait de faire l'acquisition de deux armures de Kendo !
    Le 15 juillet au matin, j'allai poser une petite caravane, qu'un aimable voisin m'avait prêtée, au camping Saint-Nicolas, sur les hauteurs de Dieppe.
    Le 15 juillet à midi, je pris la route de Nanterre, où se trouvaient les magasins de La Maison du Judoka, qui pratiquait alors les prix les plus bas.
    Le 15 juillet à dix-huit heures, j'étais à l'entrée de Dieppe, de retour avec mes deux armures toutes neuves. Il me fallut une heure et demie pour traverser la ville, tant le flot des vacanciers était dense.
    J'allais être responsable d'une semaine de stage d’Aïkido Yoseikan et de Kendo. Parmi les stagiaires, j'attendais Teunis Tromp et un groupe de Hollandais.
    Dans le camping, une petite tente attira mon regard : elle était ornée d'un drapeau blanc avec un soleil rouge. C'était le repaire du terrible monsieur De Jong, un grand buveur de bière qui rééduquait des prédélinquants à la bière, justement, et aux Arts Martiaux.
    Inscrit inattendu : Laurent Hervieux. Il venait de se découvrir une passion pour le Kendo et décida de suivre le stage, avec l'intention de faire de la compétition, bien résolu à faire évoluer notre section vers les sommets ! Quel dommage qu'on ne le revît plus jamais après ce stage !
    Geste symbolique : je rasai ma moustache et ma barbichette. J'avais l'air d'un galopin. Quand je commençai mon premier cours devant une vingtaine de stagiaires du Nord, de Belgique et de Hollande, et de Normandie, œuf corse, l'un d'eux ne put s'empêcher de dire : « Mais, que vous êtes jeune, monsieur Tellier ! ».
    Nous pratiquions le Kendo le matin et l’Aïki l'après-midi. Daniel Dumesnil, le maître du Centre marin qui nous hébergeait, employait l'été de solides maîtres-nageurs issus du CREPS d'Houlgate. L'un d'eux était aussi un solide judoka et voulut s'initier au Kendo. Je l'invitai volontiers à participer à un cours. Mais, au bout d'une centaine de Suburi, il en eut assez et, conscient de sa forme exceptionnelle, voulut « tirer une petite bourre ».
    Soit. Je le revêtis d'une armure et lui proposai comme premier adversaire le doux Jean-Marc Fiess. Jean-Marc est doux mais n'aime pas les fiers-à-bras. Il lui colla une sévère correction, je vis le grand gaillard s'agenouiller et demander pardon. Il renonça définitivement au Kendo !

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     Alain Gallais était inscrit au stage. De son premier initiateur en Aïkido, Henri-Claude Lindenman, sorte de colosse bourru, il n'avait pas acquis un style particulièrement souple, et ses attaques étaient remarquables de sincérité.
    Je le savais bon chuteur, mais je fus pris d'inquiétude, ce jour-là, quand je le vis faire le moulin à vent entre les robustes pattes d'un Teunis Tromp au faciès quelque peu sévère. Et Gallais attaquait en poussant des Kiai suraigus, et Tromp l'accrochait sévèrement et le jetait comme un sac de vieux chiffons. Et Gallais rebondissait comme une balle de mousse et repartait à l'attaque... Craignant l'accident, j'arrêtai les frais d'un « YAME » énergique.
    Je pris Teunis à part :

    « Vous y êtes allés un peu fort, je croyais que vous alliez le casser !
    - Maître, vous m'avez dit vous-même que la riposte doit toujours être proportionnelle à l'attaque, non ?
    - Oui, bien sûr ! »... Que pouvais-je donc ajouter ?

    Notre deuxième semaine fut dirigée par Alain Floquet. Il m'initia à la plongée sous-marine. Dans la Manche, c'est plutôt osé, car on n'y voit pas dans un rayon de deux mètres. Je descendis pourtant à vingt mètres de profondeur en suivant un câble de bouée. En remontant, j'eus la surprise de me mettre à saigner du nez. Il paraît qu'un baptême doit se faire à dix mètres...
    Nous avions des comptes à régler depuis le duel d'Houlgate et ça devait se faire pendant les cours de Kendo. Le rythme impulsé allait être bien différent de celui que j'avais donné la première semaine. Le thème était « condition physique avant tout ». Et combat, et combat et encore combat ! Le style de combat pratiqué était simple : vous prenez un partenaire, vous le placez devant vous et vous le frappez sur la tête jusqu'à ce qu'il soit à moitié enfoncé dans le sol !
    Et Bing ! sur ma tête, et Bing ! sur sa tête. Et Pan ! sur mon bras, et Pan ! sur son bras. Deux teigneux, un fort voulant montrer sa supériorité, un moins fort ne voulant pas céder.
    À un moment, Alain s'arrête, me désigne le sommet de son crâne et me dit : « Tu sais, je n'aime pas quand on me tape là, ça fait mal ! ». Alors, je lui montre le sommet de mon crâne et lui dis : « Tu sais, je n'aime pas quand on tape là, ça fait mal ! »... Et nous avons recommencé à nous taper dessus et à casser des Shinai. Mais qu'il était fort, le bougre !

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     Les Floquet étaient installés dans une somptueuse gentilhommière. Les stagiaires étaient logés au Foyer du Jeune Travailleur et au camping. Nous prenions nos repas de midi à la cantine de la SNCF.
    Nous avions accès libre à la piscine dont Daniel Dumesnil était le directeur. C'était un ancien de l'ASPP et sa ceinture noire, datée de 1961, était signée de Jim Alcheik, le fondateur de l’École Yoseikan en France ! Personnage rayonnant, il connaissait tout le monde et semblait tout pouvoir ! Une vraie rage de vivre. Il m'avait pris en affection et voulait à tout prix que je devienne plus que je n'étais. Mais je n'étais pas pressé.
    Pendant quelques années, je profitai de sa générosité. Puis je le perdis de vue. J'ai parfois l'impression d'avoir été un lâcheur. Quand il a eu des difficultés, j'ai été informé trop tard. Et puis sa chute fut proportionnée à son ascension, c'est-à-dire énorme, brutale, définitive. La ruine s'attacha à ses pas et il a maintenant disparu.
    Ce stage fut éprouvant, je n'avais pas encore la stature suffisante pour assumer ce type de responsabilités et je me demandais souvent si quelques-uns des stagiaires n'en savaient pas plus que moi.

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    À suivre...

    80 balais... âge canonique

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

    80 balais... âge canonique

     

     

     

    Oublie tes peines et pense à aimer
    あなたの悩みを忘れて、愛について考える
    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    80 balais... âge canonique

    mort-de-rire

     

     

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