• Bilan du cours du 31 mars 2010

     

    Pourquoi philosopher alors qu’on peut chanter ? (Georges Brassens)

    Quarante ans ! Le cours du premier mercredi d’avril a été déplacé au dernier mercredi de mars afin de permettre au plus grand nombre de fêter les 40 ans d’Anthony.
    Quarante ans ! Mes 40 ans ont été fêtés 3 jours après la première élection présidentielle de François Mitterrand... Formidable bouleversement de notre société et formidable étape dans mon évolution. Nous nous appelions encore Aïkido mais plus pour longtemps. Une nouvelle énergie nous  animait, une nouvelle vision de notre Voie, une nouvelle inspiration nous conduisaient sur les rives de l’Aïkibudo. J’attaquai la saison 1980/1981 avec un esprit de décision très incisif...
    Ce bilan est illustré d’extraits de mes notes de l’époque.
    Je démarrai la saison en publiant une petite plaquette publicitaire qui fit grincer des dents, dissuada plus d'une personne de s'inscrire et choqua pas mal de pratiquants peu habitués à un style si direct. J'étais à l'orée de mes quarante ans, c'est l'époque d'une mutation de l'individu. Un cycle s'achève, un autre recommence. 

    Bilan du cours du 31 mars 2010

    Oui. Bon. D’accord. Ce n’est pas très consensuel. On pourrait contester les principes. Et les références. L’époque n’était pas au politiquement correct. Elle n’était plus à la censure et je n’ai jamais aimé m'autocensurer.
    Et c’est à l’orée de mes 40 ans que j’ai ouvert la section de Saint Léger du Bourg Denis qui allait être pendant une quinzaine d’années le phare de l’Aïkibudo haut normand, notre Shibu.
    J'avais cours le mardi et le jeudi de 18 heures à 21 heures à Bois-Guillaume. J'avais créé à Saint Léger du Bourg Denis deux cours d'initiation de 19 à 21 heures, le mercredi, et le vendredi, deux cours pour enfants le lundi de 17 heures 30 à 19 heures et le samedi de 16 heures à 17 heures 30. J’animais un cours de Kobudo et initiation au Kendo le samedi de 13 à 16 heures et, pour bien faire, un cours de perfectionnement le lundi soir, de 19 à 21 heures et réservé aux cadres. Ajoutons à cela un stage national par mois dans la région parisienne et un autre stage mensuel dans la Ligue. Mes enfants étaient au collège. À part à l'occasion des deux cours d’Aïki qu'ils suivaient, je ne les voyais plus. Je ne me retrouvais à table avec eux que le dimanche, si je n'étais pas en stage...
    Il m'arriva de reprocher à un jeune cadre sa fréquentation irrégulière des cours du lundi et du samedi. Il me répondit : « Tu sais, je m'entraîne deux fois par semaine à mon club. Je ne peux pas faire beaucoup plus. Je me dois à ma famille... ».
    Je me mis à travailler dur, à donner des cours sévères. Les élèves du lundi soir et du samedi commencèrent à surveiller avec inquiétude mon visage quand j'arrivais. Ils devinaient à un certain mutisme, à une façon de serrer les mâchoires, que tout le monde allait être repris, réprimandé, et que les démonstrations techniques allaient ressembler à des corrections. Et j'arrivais souvent avec une contraction de la mâchoire !
    C'est un samedi que je fis revêtir successivement l'armure de Kendo à chacun des Yudansha présents et leur expliquai ce qu'était un combat sans tricherie. Ce jour-là, d'un coup de pointe du Shinaï proprement porté à la gorge (d’accord, ça s’appelle un Tsuki), l’un des plus sceptiques fut projeté au dehors, à travers les portes de sécurité qui s'ouvrirent brutalement sous le choc. Un peu plus tard, c’est le plus costaud qui implora pitié à genoux.

    Cours après cours, entraînement après entraînement, je tanne mes candidats pour qu’ils parviennent à toujours plus de fluidité. Jaafar est un bon technicien, souple et tonique. C’est aussi un intellectuel alors il pose beaucoup de questions. J’ai atteint une certaine fluidité mentale car je lui réponds volontiers. Lors du premier Aïkibudofest, au Québec, j’avais répondu à un stagiaire : « Est-ce que je vous en pose, moi, des questions ? ». Ce n’était qu’une boutade mais j’avais (un peu) bêtement déstabilisé un pratiquant bien sympathique...
    Depuis, j’ai appris à investir mon rôle d’ancien et je réponds aux questions. « Sensei, vous nous demandez un travail fluide mais à un examen, il arrive que des juges, même s’ils demandent de la fluidité, nous réclament un travail fort, efficace, c’est ce qui m’est arrivé pour mon 2e dan. - Rechercher la fluidité, ce n’est pas faire de la danse folklorique. La force est là et l’efficacité se présente à l’issue du mouvement. J’applique ce que m’avait dit mon Maître : une technique est bonne si elle est belle et efficace... »
    Jaafar a 42 ans. L’âge de mes enfants. Il vient assister à mes cours chaque fois qu’il le peut. Il n’a été mon Uke qu’occasionnellement. Il m’a dit qu’il avait bien ressenti la puissance de la technique à l’issue d’un mouvement fluide, mais il se pose toujours des questions. Quand j’avais son âge...

    L’année de mes 40 ans s’est tenu le troisième stage international du Temple sur Lot. Comme d'habitude, il y eut de petits conflits avec les judokas. Il y avait en particulier Manolo, un farouche Ibère, fier de son 1er dan et de son bronzage. Il passait de longues heures aux barres de musculation, à faire rouler ses muscles, espérant attirer l'attention de ces demoiselles. Et bavard, Manolo. Et vantard !
    « Ma qué ! Yé souis sour qué oune 3ème dan dé l’Aïkido francésé qué il est incapable dé plier lé poignet dé oune prémière dan de youdo castellano ! »
    Maître Leberre, le professeur de Judo, transmit l'information du matamore à maître Floquet qui fut intrigué.
    « Morbleu ! Ne serait-ce point là un défi, dans la plus pure tradition des Écoles Traditionnelles ? Qu'on s'en aille me quérir un 3ème dan ! »
    Le seul 3ème dan du stage, étant introuvable, probablement caché derrière des caisses de bière, il fallut se rabattre sur un 2ème dan. Paul-Patrick fut investi de l'insigne honneur de représenter l’École.
    On alla chercher Manolo qui protesta, probablement parce qu'il jugeait indigne d'être opposé à un simple 2ème dan, mais on n'avait pas mieux à lui offrir. Il paraît qu'il murmurait : « Ma qué ! Mi y ma granda gueula ! », ce qui est de l'espagnol et que je ne saurais traduire.
    Or donc, le duel commença. Manolo saisit Paul-Patrick au revers et Paul-Patrick devait vérifier s'il était capable de plier le poignet de Manolo.
    Pauvre Manolo ! Il se prit pendant quelques secondes pour un de ces moulins à vent qui firent la réputation de la belle province de la Mancha ! Paul-Patrick fut surpris et déçu de rencontrer si peu de résistance. Il craignit un instant de n'avoir pas bien défendu l'honneur de l’École, mais qu'il soit rassuré, il fut digne d'éloges.
    Quant à Manolo, il s'en fut, vaincu. Convaincu ? Que non, il continua à faire rouler ses pectoraux devant les barres de musculation et à ramener sa granda gueula, mais en espagnol, cette fois-ci, sait-on jamais, quelquefois qu'on le comprenne...

    Bilan du cours du 31 mars 2010

    Tout ça s’est passé l’année de mes 40 ans. L’an dernier, j’aurais pu fêter mes 40 ans de ceinture noire mais quel sens auraient-ils eu sous le flamboiement du jubilé de not’ bon Maître ? Il y aura 40 ans le 11 décembre, j’ai rencontré Alain Floquet et nos routes se sont rejointes...
    Trêve de nostalgie, ne nous laissons pas aller à philosopher sur le temps qui passe et revenons à notre sujet, le bilan du cours du 31 mars.
    Le petit groupe de fidèles est là, belle brochette de Yudansha et 2 Kyu, bien solides, le premier sur la voie du Shodan, le second plus débutant mais riche d’une solide expérience de judoka.

    Randori esquives O Irimi. Nous commençons par une série d’éducatifs que je nomme faute de mieux « randori esquives O Irimi ». Ces exercices sont exécutés par groupes de 3 ou 4, chaque Uke portant 5 attaques.
    D’abord, des attaques alternées Ura Yokomen Uchi droite et gauche puis Omote Yokomen Uchi droite et gauche et enfin Tsuki Jodan droite ou gauche.
    C’est dans le déplacement que se situe la fluidité. Le déplacement conditionne le mouvement qui génère la technique. La fluidité du déplacement permet une utilisation rationnelle et économique de la force et de l’énergie.
    La succession des 2 premiers exercices permet de mettre en place une stratégie d’entrées extérieures, puis d’entrées intérieures. Il s’agit d’entrer dans l’attaque de Uke et de le conduire afin d’organiser son espace. Le 3e exercice apprend à s’adapter et à entrer par l’intérieur ou par l’extérieur sans a priori.

    Randori canalisation. C’est l’étape suivante. La fluidité de l’esquive est complétée par l’utilisation du corps : flexion des jambes, rotation du bassin, économie de l’énergie, la force est utilisée sans excès, juste ce qu’il faut.

    Une heure a été consacrée à ces exercices préparatoires. Les corrections ont été apportées, les explications ont permis de comprendre la justification des formes demandées. L’enseignant développe lui aussi une stratégie, il doit avec agir avec fluidité pour emmener ses élèves dans la direction souhaitée puis développer juste ce qu’il faut de force de persuasion, non pas pour convaincre mais pour faire sentir et comprendre la finalité des objectifs. Ça ne se fait pas sans mal pour... les élèves qui ont dépensé beaucoup d’énergie et fait couler beaucoup de sueur.

    Ryote Ippo Dori en distance Ma : Irimi suivi de Ura Ude Nage. L’entrée est tonique, la technique surprend après la longue série d’esquives. Cependant, tout est dans la fluidité, l’esprit de décision et la perception du Tai no Sen.
    Ryote Ippo Dori en distance Ma : Nagashi suivi de Ura Ude Nage. Visuellement, c’est plus proche des éducatifs précédents. C’est dû à la perception du Go no Sen. La forme est plus sophistiquée mais les sources d’erreur jalonnent le mouvement. Déséquilibre, renversement, projection, esprit de décision.
    Ryote Ippo Dori en distance Ma : Wa no Seishin. Nagashi sans bouger les pieds, la main monte, paume en l’air. Irimi, la main tourne tandis que le bras s’incurve, vers le sol. Wa no Seishin. Tai no Sen ou Go no Sen ? Quoi qu’il en soit, ça décoiffe. Quand j’ai présenté cet exercice à Asbestos, il y a 5 ans, j’avais choisi comme Uke mon ami Sylvain, le meilleur spécialiste québecois de Nuki Uchi no Ken. À sa grande surprise ses 200 livres furent propulsées à plusieurs mètres de là et, quand il se releva, il me salua avec respect... Il ne m’en a pas voulu, je suis récemment devenu son ami sur Tête de Livre ou Face de Bouc, je ne me rappelle jamais le nom de ce site communautaire.
    Ryote Ippo Dori en distance Ma : Wa no Seishin. Si on fait la synthèse de ces 2 actions, Nagashi sans bouger les pieds et renversement, on obtient un très plaisant Koshi Nage. « J’ai eu la sensation d’être une plume ! », m’a dit mon Uke. « Tu n’as pas pesé plus qu’une plume. », lui ai-je répondu. À mon âge et après toutes les misères que mon vieux corps a subies à cause de mon impulsivité, je dois devenir prudent. Il suffit de porter le Koshi avec rigueur. Je me place dans l’axe de Uke, je fléchis mes jambes tout en poussant ses bras vers le haut pour l’inciter à monter sur la pointe des pieds. Quand mon centre de gravité est passé sous le sien, je le fais basculer sur mes hanches et, quand je me relève, il bascule sans effort et sans contrainte. Une autre forme, dite hanche flottée, consiste à le faire tourner horizontalement autour des hanches.
    Une variante consiste à descendre un genou au sol et à porter Kata Guruma. Pour la formule édulcorée, le genou reste au sol, le mouvement s’apparente alors à un Wa no Seishin. Les jeunes costauds se lèveront en portant Uke sur leurs épaules et le jetteront vers l’avant.
    Passons aux choses sérieuses avec 2 Uke qui attaquent en Ryote Ippo Dori.

    Double Ryote Ippo Dori. Irimi, double Wa no Seishin (première forme décrite)
    Double Ryote Ippo Dori. Irimi, bras fléchis, mains croisées, placement de Yuki Chigae, O Irimi sur place, second Yuki Chigae, contrainte arrière, renvoi vers l’avant, tête contre tête, double immobilisation.
    Double Ryote Ippo Dori. Irimi, bras fléchis, mains croisées, l’une en supination, l’autre en pronation, Kote Gaeshi plus Shiho Nage.
    Double Ryote Ippo Dori. La main droite saisit le poignet droit du premier Uke, le conduit sur le poignet droit du second Uke. Contrôle des 2 poignets et double Shiho Nage.
    Double Ryote Ippo. Irimi, double Hiji Kudaki vers l’avant suivi de double Kote Gaeshi vers l’arrière.
    Double Ryote Ippo. Irimi, rotation du bassin, double Ude Garami.

    J’en passe et des meilleures... ce cours aurait pu être prolongé d’une heure ou deux. Exercices de style, peut-être ? Pas seulement. De nombreuses compétences sont mises en application pour réussir ces techniques de façon convaincante. Ce qui fait que Jaafar a de nouvelles questions à poser alors que nous avons déjà largement débordé l’horaire et que la table est prête pour fêter les 40 balais d’Anthony. En résumé, je lui ai dit qu’en principe, tout est possible sur tout. Il faut chercher des solutions puis faire le tri entre ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas.

    Bilan du cours du 31 mars 2010

    Que nous disait-il, ce cher Georges ? Pourquoi philosopher alors qu’on peut chanter ? Et bien, chantez, maintenant.

    Et bon anniversaire, Anthony.

     

     

    « bilan du cours du 17 mars 2010Bilan du cours du 21 avril 2010 »