• Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire


    Un demi-siècle de ceinture noire...

    Le 23 mars 1969, à 9 h du matin, il y a tout juste 50 ans, je suis monté sur le Tatami du Dōjō fédéral, le « Central », rue du faubourg Saint Denis. Je me présentais à l’examen pour le 1er dan d’Aïkido Yoseikan. Mais bien sûr, auparavant, il y a toute une histoire qu'il faut bien raconter.

    L’histoire a commencé à la fin des années 50. On entendait parler du cri qui tue, des mystérieux pouvoirs du Jiu-Jitsu. En fait, on raconte qu'à cette époque où tout Art Martial extrême-oriental était assimilé au Judo, des plaisantins avaient réussi un canular spectaculaire qui s'était propagé en « légende urbaine » : dans une rue de Paris, à une heure de forte affluence, un homme avait simulé un malaise et s'était écroulé sur le trottoir. La foule s'était assemblée autour du pauvre homme, on s'apprêtait à appeler un médecin quand, soudain, un individu avait fendu la foule et poussé un puissant Kiaï en direction de la victime du malaise qui s'était redressée, mimant l'effarement et demandant ce qui lui était arrivé pendant que l'autre s'éclipsait. Une certaine presse avait narré l'événement en évoquant le mystérieux cri qui tue ou qui réanime et en avait rajouté en narrant les exploits de petits vieux aux yeux bridés qui avaient mis à mal d'énormes agresseurs aux gros bras velus en les jetant à terre d'un simple petit mouvement ou les plongeant en syncope d'une pression du doigt sur un point vital !
    J’avais 8 ans et j’enviais mon frère, âgé de 16 ans, qui était parti au collège de Gurcy le Châtel où il fut initié au Judo  Kawaishi qui comportait une part de Jujutsu. Je rêvais de devenir aussi fort que lui !

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    En 1956 ou 1957, mon père m'avait proposé d'aller dans une petite auberge voir un des rares téléviseurs de la région. La réception était aléatoire, l'image parfois brouillée mais on voyait sur l'écran un reportage concernant un Art Martial dont je n'avais pas retenu le nom. Sur la terrasse d'un immeuble de Tokyo, un petit vieux barbichu, vêtu d'amples vêtements noirs, jetait dans toutes les directions de jeunes garçons vêtus de longues jupes noires, très souples, qui ne semblaient pas s'en porter plus mal et revenaient sans cesse à l'assaut. C'était amusant, plutôt impressionnant et... très joli à voir. Il s’agit probablement de cette vidéo :

     

    C’est en octobre 1960 que je pus m’offrir la « méthode Dynam Ju-Jutsu » avec mon tout premier salaire. Elle n'était pas si absurde qu'on pourrait le croire, cette méthode Dynam, basée sur la visualisation. Il fallait d'abord mimer les exercices décrits avec une grande précision puis s'installer aussi confortablement que possible, de préférence à genoux, et se représenter mentalement la situation ! Évidemment, il n'était guère possible d'en tester l'efficacité mais les gestes se mémorisaient peu à peu, inconsciemment.

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    Je pus le vérifier quand, en 1962, je fus envoyé outre-Méditerranée défendre les intérêts des financiers français à l'ombre du drapeau tricolore. Je fus affecté dans les Zouaves, on fait ce qu'on peut. Nous avions droit à une vague initiation au close-combat. L'instructeur, une grosse brute de sergent-chef, ne me portait pas dans son coeur et c'était réciproque. Il n'aimait pas les « intellos à lunettes » et je ne supportais pas les « militaires alcoolo »... Comme j'étais loin d'être le plus costaud de la troupe, il décida de me mettre à l'épreuve en me ceinturant par derrière. Spontanément, je poussai les hanches en arrière, agrippai l'avant-bras de mon adversaire et  pivotai pour poser le genou droit au sol. Le vaillant militaire s'envola, cul par-dessus tête, et s'affala lourdement devant les autres troufions sidérés : ce n'était pas ça qui était demandé... et ça allait compromettre définitivement mon accès au corps des élèves officiers de réserve.

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    Ces compétences me valurent d'être envoyé en mission de balayage dans un hangar avec un autre indiscipliné. Mon compagnon de misère était un judoka assez arrogant et très chahuteur. Il ne cessait de m'agacer avec des croche-pieds (des balayages, pour les initiés...) et je finis par l'envoyer dans un tas de chaussures déclassées en lui portant une vigoureuse clé de bras.

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    La méthode Dynam Ju Jitsu m'avait bel et bien procuré une certaine efficacité. Je prenais peu à peu conscience d'une sorte de force intérieure, d'un esprit de décision qui me permettait d'utiliser au mieux ma médiocre force physique.

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    D'accord, un Poilu de 14/18 n'est pas un Zouave de 1962 mais le document est intéressant, non ?

    J’avais achevé mes humanités militaires à la fin du mois d'avril 1963. C'est le 2 septembre 1964 que j'ai accompli le geste le plus important de mon existence. Chaque fois que je revenais de la piscine, je passais devant la porte d'entrée de l'École de Judo Jean Lemaître, l'EJJL, je lisais les horaires et je posais la main sur la clenche sans me décider à la tourner. Ce jour-là, j'ai enfin ouvert la porte, j'ai grimpé lentement quelques marches, je suis entré dans un petit bureau où le professeur se préparait pour le prochain cours. Quelques minutes après, j'étais inscrit et j'avais revêtu un kimono tout neuf. C'est ainsi que j'eus droit à un premier cours particulier, totalement imprévu.

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    La porte était là-bas, tout au bout du bâtiment, après la voiture.

    Les deux heures de piscine me rappelèrent que la résistance humaine a des limites et je commençai à prendre conscience de muscles dans les cuisses et les épaules.
    Je pris des habitudes. Après un mois de cours le mardi et le jeudi soir, récompensé d'une jolie ceinture jaune dès la fin octobre, je commençai à m’endurcir en m’entraînant également le samedi après-midi, puis le dimanche matin. Ma persévérance, me fit accéder au grade de ceinture orange à la fin décembre.
    C'était bien, j'étais fier et je me pavanais avec un bel insigne à la boutonnière, mais ce n'était pas vraiment ce que je cherchais.
    Novembre 1964, ouverture d'une section de Karaté, animée par un des tout premiers 1er kyu de Normandie. Je m'initiai aux divers Tsuki, Machin Geri et autres Chose Barai, mais ce n’était pas encore ça, je n'étais pas enthousiasmé.
    J’avais toujours en tête ce reportage entrevu à la télévision en 1956. C'était quelque chose comme ça que je cherchais. C'est ça que je trouvai enfin : en janvier 1965, Jean Lemaître ouvrit une section d’Aïkido « Mochizuki ».

    «  Qu’est-ce que c’est donc, cet Aïkido ? Il y a longtemps que ça existe ? Comment l’avez-vous découvert ?
    - C’est le maître Mochizuki qui l’a introduit en France, il y a une quinzaine d’années. Et en 1962, il a envoyé son fils, Hiroo, pour prendre les choses en main. Celui-ci, il a semé une sacrée panique !
    - Comment, cela ?
    - Et bien, il n’y a pas si longtemps, on disait que l’Aïkido était réservée aux anciens judokas qui ne pouvaient plus faire de compétition. Donne-moi ta main que je te fasse mal ! C’était comme ça qu’on le décrivait !
    - Et y avait-il une part de vérité ?
    - Peut-être bien, car Hiroo a ramené quelques honorables ceintures noires au 5ème kyu... Une vraie débandade !
    - Et vous, comment avez-vous rencontré l’Aïkido ?
    - Je faisais un stage de Judo à Marciac. Hiroo, qui était lui-même un bon judoka, nous a initiés à l’Aïkido. J’ai continué en prenant des cours particuliers à son club, à Paris et en allant aux stages d’été de Royan, dirigés par Charles Sebban.
    - Charles Sebban ?
    - Oui, c’est un dentiste. Il est 4ème dan. Il m’a fait passer ma ceinture noire l’été dernier. »

    Abandonnant aussitôt le Karaté, je fus son premier inscrit. Je me rappelle, comme si c’était hier, nos premiers pas sur la Voie des Arts Martiaux. Je garde un bon souvenir de ce petit groupe d'une douzaine d'élèves avides de savoir.
    Le Dojo, tout en longueur, était partagé en deux par un élastique. Judo à l'entrée, Aïkido « Mochizuki » au fond.

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    Première séance : tous les dégagements sur saisie de face. Il n'était alors pas question de Te Hodoki, de Jyunte Dori ou de Dosokute Dori mais de 1ère ou 2ème saisie, comme au vieux temps du Judo de Kawaishi.
    Deuxième séance : tous les dégagements sur saisie arrière. Ma foi, notre mémoire était solide, puisque tout était resté à peu près net. Il faut dire que notre style devait être on ne peut plus rustique. Dans la foulée, on étudie Kote Gaeshi et Shiho Nage sur toutes les saisies, avant et arrière, bien sûr. Et puis, tous les « pivots » : pivot avant, pivot arrière. On ne parle pas de Tai Sabaki, les appellations japonaises sont inconnues.
    J’étais atteint de la même boulimie que lors de mon initiation au Judo. Il me fallait engranger très vite un maximum de connaissances, comme si le temps m’était compté, comme si je voulais combler le retard dû à une entrée tardive dans l’univers des Arts Martiaux. J’essayais de découvrir par moi-même ce qui ne m’avait pas encore été enseigné et que je pressentais, ou que je découvrais très succinctement présenté dans les ouvrages que je parvenais à me procurer.
    Je cherchais comment appliquer les deux techniques, étudiées sur des saisies, en cas d’attaque à distance. Je me rappelle avoir ainsi essayé l’application de Kote Gaeshi sur un coup de poing au visage. Ma solution était très compliquée, j'esquivais par l'intérieur, je repassais le bras de l'adversaire devant moi, je l’entraînais de l’autre côté avant de tordre son poignet. J'avais le virus de la recherche…
    J’entrepris très vite, et en toute modestie, de rédiger un manuel de vulgarisation de l’Aïkido Mochizuki - pourquoi pas ? - car la prose disponible à l'époque, essentiellement les livres de Jean Zin, était très rare, sinon indigeste, et n’avait, de toutes façons, rien à voir avec ce qui se faisait dans notre École. J'avais notamment détaillé tous les déplacements à l'aide de pieds soigneusement dessinés, en m’inspirant de croquis trouvés dans un manuel de Judo. Les mouvements étaient dessinés à la façon de clichés stroboscopiques.
    Vanité ! Mon projet restera projet et brouillon au fond d'un carton. Comme pour tant d’entreprises où je n’atteignais pas la qualité professionnelle, je laissai le soin de mener à bien l’entreprise définitive aux hommes de l’ART.
    Je ne peux omettre la description des éducatifs favoris de Jean Lemaître. Pour le premier, il fallait se placer face à un partenaire armé d'un bâton qu'il levait et abaissait, et relevait et abaissait encore à la manière d'un métronome géant. Et nous esquivions un coup à droite, un coup à gauche, un coup à droite, un coup à gauche...
    Un autre exercice que nous affectionnions tout particulièrement était une approche de Irimi. Un élève était face aux autres, alignés dans la diagonale du Tatami, et qui fonçaient poing en avant. Le malheureux esquivait en remontant le courant, et, surtout, en assénant de violents coups du plat de la main sur le coude de ses adversaires. La douceur n'étant pas de mise et le concept de non-violence totalement ésotérique, les règlements de compte étaient immédiats.
    Ma progression fut assez rapide. Je fus gratifié du cinquième kyu aux premiers jours de l'été, l'hiver naissant me vit accéder au quatrième kyu, et je reçus le très respectable troisième kyu à la naissance du printemps 1966.

    Royan, du 15 juillet au 15 août 1966
    Jean Lemaître et sa femme Christiane me parlaient souvent du stage de Marciac où ils avaient découvert Hiroo Mochizuki et l’Aïkido Yoseikan. Et puis ils me vantèrent les charmes du stage de Royan, le talent de Charles Sebban et l'incomparable virtuosité et la gentillesse du directeur technique du Judo, le maître Shozo Awazu. En 1966, je m'inscrivis donc à ce stage pour les deux périodes, du 15 juillet au 15 août et, pour faire bonne mesure, je choisis de pratiquer les deux disciplines, soit quatre heures de chacune par jour…

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    Hiroo MOCHIZUKI et Shozo AWAZU

    Une sorte de petit village, moitié planches, moitié toile, avait été aménagé non loin du dojo, et je partageais un bungalow avec deux galopins de dix-huit ans, insatiables coureurs de jupons, Hubert et Claudius. Le directeur technique de l’Aïki était donc Charles Sebban assisté de son fringant beau-fils, Michel Berreur et de M. Tavernier, dont j'ai oublié le prénom. Le style était statique et en force avec Charles Sebban, proche de la danse avec Michel Berreur qui en faisait peut-être un peu trop (Il préparait avec Daniel Breton un spectacle, « Les Samurai », qui allait leur valoir leur heure de gloire).
    Je me confrontai à mes premières difficultés et découvris que j'avais beaucoup à apprendre, notamment la liste des saisies en japonais... J'eus ma première émotion en servant de partenaire à Hiroo Mochizuki qui faisait une visite surprise et qui, à mon grand étonnement, ne me brisa pas le poignet, j'eus ma première joie en recevant le 2ème kyu, le 30 juillet, des mains de Charles Sebban... Et j'eus ma première déception quand, à la fin de la deuxième période, Jean Azéma, un des piliers de l’École, me refusa le 1er kyu. En effet, je croyais que tout était arrivé. J'avais servi de partenaire à un candidat au 1er dan qui se fit plus tard une place honorable dans le Kendo. Nous avions tous deux un style déjà souple et fluide, même si nous portions nos techniques sans concession. Notre démonstration avait été très applaudie, mon partenaire avait été reçu et je m’attribuais tout naturellement une bonne part du mérite. Jean Azéma me fit donc tomber de haut et, sans en avoir conscience, remit ma pendule à l'heure.

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    Hirofumi MATSUDA

    Cela ne m'empêchait pas de me livrer à des Randori intenses en Judo. L’Aïki avait la réputation d'être pratiqué par des vieillards grabataires et je tenais à montrer que ma ceinture verte de Judo valait quelque chose ! J'eus ainsi le plaisir de tirer avec un petit gorille nippon, Hirofumi Matsuda, qui venait de conquérir le titre de champion du monde à Sao Polo. Ce fut un rêve ! Il ne pratiquait en fait qu’une seule technique, Uchi Mata, et toujours du côté gauche. En plus, il prévenait son adversaire au moment de la porter. Personne n’était capable de contrer. Mais moi, modeste débutant, j’eus droit à un récital et je parvins à le conduire au sol grâce à un de ces Soto Maki Komi que j’affectionnais et... qu’il consentit à subir.

    Tout a bien failli s'arrêter le 10 décembre, à 20 h 30, du côté d'Isles sur Suippe, à 20 km de Reims. Une fatigue excessive, une route couverte de boue et de betteraves écrasées, des rafales de vent... je me suis réveillé dans ma 4L sans pare-brise, écrasée contre un arbre. Plus de porte du passager, ma fiancée n'était plus dans la voiture. Mon cuir chevelu était déchiré depuis l'arcade sourcilière droite jusqu'au sommet du crâne. Il fallut me transfuser 2 l de sang. La courbure cervicale s'était inversée sous le choc. Les vertèbres dorsales étaient comme disloquées. Ma carrière de chuteur avait pris fin.
    Nous nous sommes mariés le 24, la terrible cicatrice qui traversait mon front soigneusement maquillée par des amies pas rancunières. En janvier, je suis retourné dans ma classe et je suis remonté sur le Tatami. J'ai avalé des tonnes d'anti-inflammatoires et, à la mi-juillet, nous sommes repartis à Royan.

    Royan, du 15 juillet au 15 août 1967

    L’été 1967 fut un bonheur pour les amateurs de jolies choses. Ce fut en effet l'année de la minijupe ! Quel régal ! Ma jeune et jolie épouse et ma sœur, non moins jeune et jolie, bronzées comme des pains d'épices, la portaient à ravir et étaient très admirées sur la promenade du front de mer de Royan.
    Un événement politique allait modifier ma vision de l’Aïki. En effet, le gendre de Charles Sebban, Michel Berreur (du groupe Mochizuki), avait réussi à obtenir la direction technique du stage d'Annecy, habituellement domaine réservé d'André Nocquet (chef de file du groupe Ueshiba). Celui-ci, furieux, on le comprend, se fit attribuer le stage de Royan qui aurait dû revenir à Hiroo Mochizuki. Tout ceci se trama sans que les principaux intéressés, les stagiaires, n'en fussent informés.
    La première période fut animée par les frères Warcollier. Après l’Aïkido très rustique de Lemaître et Sebban, je découvris une technique dynamique, souple et finalement plutôt  attrayante.
    Ce contact me conquit et marqua mon parcours personnel, tout comme les techniques de Judo, que je pratiquais encore malgré mes cervicales disloquées, continueront à enrichir ma vision des Arts Martiaux.
    Les frères Warcollier étaient très timides et très gentils. Leur style me plut même si leur efficacité laissait à désirer. Bien sûr, avec un condisciple qui m’avait suivi à Royan, nous éprouvions un malin plaisir à les mettre en difficulté, nous échappant en roulade avant quand il fallait se laisser immobiliser à plat ventre ou ne sentant rien quand ils nous trituraient des points douloureux, du moins à ce qu'en dit la rumeur ou ce qu'affirment les planches anatomiques qui montrent la répartition des points sensibles du corps humain.
    Leur technique favorite était le « drapeau chinois ».  Sur une saisie des 2 mains sur la manche, il fallait entraîner son partenaire, le faire tourner autour de soi et le projeter en posant un genou au sol.  Je crois que j’excellais dans ce mouvement que je pratiquais aussi souvent que possible.

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    J’avais également retenu une projection consistant en une forte poussée au niveau de l’épaule ou dans le pli du coude renvoyant le partenaire sur son arrière en chute avant.
    Et mes deux minettes en minijupette venaient parfois perturber le cours. Assises au bord du tatami, elles troublaient les deux malheureux célibataires, à force de croiser et décroiser des jambes dorées à point où de remonter une bretelle de chemisier qui tenait absolument à offrir aux regards la courbe d'une épaule et le galbe naissant d'une poitrine que l'usage du temps ne permettait pas encore d'exposer aux caresses du soleil, du moins en public !
    Toujours est-il qu'à l'issue de cette période, je fus admis au grade de 1er kyu de l’école Ueshiba. La seconde période fut dirigée par André Nocquet. Il parlait beaucoup et critiquait souvent les « cartésiens » du groupe Mochizuki...

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    Mes médiocres revenus ne me permirent pas de m’inscrire pour la saison 1967/1968 et je ne participai pas au stage de Royan en 1968. Or, cette année-là, c’est Hiroo Mochizuki qui anima le stage et c’est là que furent introduites les notions de distance, de Ma et de Chika Ma.
    Un de nos condisciples, surnommé l'ancêtre (il avait bien 45 ans !), avait la curieuse manie de se raser entièrement l'anatomie. Doté d'une pilosité anormalement drue, il avait la désagréable habitude de frotter ses avant-bras râpeux comme du papier de verre sur nos épidermes juvéniles quand nous travaillions les immobilisations. Il avait assisté au stage de Royan cet été-là et entreprit de nous transmettre la bonne parole, de la différence entre la distance Ma et la distance Chika Ma, mais nous rejetions en bloc tout ce qui venait de lui...

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

     Mon stage avec les Warcollier me sauva provisoirement de la débâcle. J’avais découvert avec eux une nouvelle perspective dans l’étude des techniques de notre école et les provinciaux étaient dorénavant admis aux stages nationaux, au Dojo Fédéral, rue du Faubourg Saint-Denis, occasion des premiers vrais contacts avec Hiroo Mochizuki.

    Anniversaire : il y a 50 ans, la ceinture noire

    Je m'entraînai de nouveau comme un fou et, au bout du premier trimestre, les combats avaient le style assommoir ! Les autres élèves frémissaient à l'idée de subir mes Shiho Nage. Mon partenaire habituel  s'adapta très vite à mon style, et nous avons bien failli estropier tout le cours !
    Il advint qu'un soir nous devions travailler les esquives. Un superbe Tanto, à lame en métal, traînait sur le bureau du professeur. Un grand escogriffe s'en saisit, le brandit et me bondit dessus.
    Instantanément, je réagis comme me l'avaient appris les frères Warcollier et avec ce que j'avais retenu de l'application de Robuse que j'avais vu travailler par les ceintures noires au stage de Sebban, et que Jean Lemaître répétait de temps en temps quand je lui servais de partenaire. Autrement dit, bras tendus, je bondis à mon tour sur mon adversaire, une main vers son coude, l'autre vers son poignet.
    Je dus faire preuve d'un certain esprit de décision, car le pauvre garçon décolla du Tatami, traversa l'allée qui le séparait du bureau et s'écroula en travers de l'entrée, pendant que le couteau qu'il avait lâché allait se planter sur le plancher, au ras du mur, tout près d'une élève qui faisait une pause. Jean Lemaître récupéra son poignard et ne nous autorisa plus que les armes en bois.
    Un autre soir, nous étions en train d'étudier les applications de Shiho Nage, notamment l'immobilisation avec clé de cou. Nous travaillions avec prudence, conscients du danger. C'était mon tour de subir. J'étais très détendu. Mon partenaire était l'homme au couteau. Il m'amena au sol. Plaça la clé. Et puis, que se passa-t-il dans sa tête ? Un souci de revanche ? Il serra, relâcha, serra, relâcha... Mes vertèbres, si mal en point depuis mon accident de décembre 1966, craquèrent. Il comprit son erreur, mais bien trop tard pour moi. Il m'en résulta un terrible torticolis pendant plusieurs jours et une instabilité permanente. Après plusieurs années de douleurs intermittentes, je résolus de faire avec et de m'y habituer !
    Le 23 mars 1969, j'étais papa depuis la veille au soir à 22 heures, je me présentai à l'examen du premier dan au Dojo fédéral...
    Si je fis une bonne impression justifiée avec mes Randori, où j'appliquais les projections retenues du stage de 1967 (j'ignorais que j'utilisais Mae Hiji Kudaki et Ushiro Hiji Kudaki, très réelles techniques de notre école, abordées à partir du 2ème dan à l'époque !), et mes interprétations du drapeau chinois (pas question de Wa no Seishin, de canalisation ni de Te no Michibiki en ces temps anciens), mes connaissances des différentes formes de Kote Gaeshi ou les différences entre les stratégies appliquées sur la distance Ma ou la distance Chika Ma se révélèrent si succinctes que je repartis recalé, et bien déçu, et décidé à abandonner.

    Un passage de grades dans les années 60... Peut-être le mien ?

    Au milieu de la semaine, je fus avisé que j'avais été repêché. La raison ? Tous les candidats provinciaux et une bonne part des Parisiens avaient été renvoyés à leurs chères études. Pour aider au développement des clubs de province, il fut décidé en haut lieu de revoir le barème, ce qui me mit sur la liste des lauréats. J'appris bien plus tard que je le devais à un certain Alain Floquet...
    Je repris donc l'entraînement avec dynamisme après avoir teint mon Hakama en noir. Précieux Hakama ! Toujours aussi mal coupé, et sa teinte noire, mal fixée, vira peu à peu au gris, puis au vert ! Je m'en achetai un en Tergal en 1971, avec les remises des commandes de matériel chez Judo International et offris le vieux en coton à Jean-Marc Fiess quand il passa son 1er dan le 6 mai 1973. Son frère Jacques, aux doigts de fée, lui en fabriqua un dans un coupon de Tergal acheté chez Toto Soldes en 1975. Mon Hakama fut alors remis à Éric Lemercier qui le garda jusqu'à son voyage au Japon, en 1983, où il en acquit enfin un superbe en Tergal, avec son nom brodé en Katakana.
    En juin, j'accompagnai l’ancêtre qui se présentait à son tour. Il n’était vraiment pas bon et je ne me faisais guère d’illusions quant au résultat. En plus, il s’effondra et ne pouvait plus distinguer Shiho Nage de Kote Gaeshi.
    L’examinateur, à force de gentillesse et de patience, parvint à lui faire exécuter des démonstrations comme jamais il ne les avait faites. Je fus très impressionné et fus souvent amené à me le rappeler… Je retrouvai, parmi les spectateurs, un de mes partenaires du passage du 23 mars.

    «  Il est vraiment bien, cet examinateur. Je ne l’ai jamais vu. Il n’était pas là, le 23 mars ?
    - Non, il devait diriger un stage à l’étranger. C'est Alain Floquet, il vient de passer son 5e dan. Maintenant, il ne se sent plus pisser ! Pourtant, il n’y a vraiment pas de quoi ! »

    Je compris que mon interlocuteur n’admirait pas forcément Alain Floquet malgré son rang élevé et je découvris que, dans tous les milieux, des personnages talentueux et de haut niveau se font dénigrer par des individus médiocres qui, en projetant leur venin sur tous ceux qu’ils jalousent, essaient ainsi d’oublier leur propre incapacité à progresser.
    C'est au cours de cette saison 68/69 que j'affrontai pour la première fois le public. Ce fut d'abord à Malaunay, où je serais appelé à créer mon premier club à la rentrée suivante. Notre démonstration fut récompensée par un long reportage à la télévision régionale. Ensuite, nous nous produisîmes à Isneauville où Jean Lemaître espérait ouvrir une nouvelle école de judo. Il se rompit le tendon d'Achille sur un pivot malheureux. Je pris donc en mains les destinées de notre section d’Aïkido, me préparant à mes futures activités de professeur d'Arts Martiaux.
    Je participai au stage de Royan,  du 15 juillet au 15 août, sous la houlette de  Hiroo Mochizuki qui corrigea la plupart de mes défauts, me fit ingurgiter le programme du 2e dan, le Ken Jutsu, le Bo Jutsu et les Sutemi.
    À la rentrée de septembre, j’ouvris mon premier club à Malaunay et je m’apprêtais à devenir le responsable du développement de notre Art dans ma belle région, mais ceci est une autre histoire.

     

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

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    Oublie tes peines et pense à aimer

    あなたの悩みを忘れて、愛について考える 

    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    mort-de-rire

     

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