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    N.B. ce qui suit n’engage que moi, cet article vient en complément à « Jugé, Parti » avec lequel il peut parfois faire redondance. Il ne s’agit que de réflexions faites au cours des quatre dernières décennies, suite à l’observation du comportement de pratiquants désintéressés ou âpres aux grades…

     

    Une seule règle : dans une École Traditionnelle, on ne se présente pas à un examen, on y est convoqué, par le Délégué Technique Inter-Régional (DTIR) pour les 1er et 2ème dan, par la Direction Technique Nationale pour les grades supérieurs. Les candidats sont connus, sont convoqués, ils ne viennent pas tenter leur chance. Il n'y a pas de piège, ni pour eux, ni pour le jury. L'épreuve peut alors se dérouler dans sa plénitude. Si toutes ces conditions sont remplies, un examen devient ce qu'il doit être : l’épreuve initiatique qui permet d'accéder à une sphère d'action supérieure. Un grade plus élevé sous-entend une humilité plus grande et un retour aux sources plus fréquent. Celui qui se donne sincèrement reçoit autant du débutant complet que du technicien avancé.

    Quelle que soit la façon dont le grade a été acquis, avec brio ou avec l’indulgence du jury, il ne s'agit en aucun cas d'une récompense, d'une gratification. On en est dépositaire, donc responsable : ce n'est jamais un honneur mais toujours une charge que l'on doit assumer.

    Chaque niveau correspond symboliquement à la prise de possession d'une force dont il convient d'apprendre à se servir. Pour posséder une arme, il faut être investi de la force morale suffisante qui permettra de ne jamais l'utiliser à de mauvaises fins. Le sabre, cette merveilleuse œuvre d'art, objet de tant de désir, est une arme redoutable qui peut estropier l'utilisateur maladroit ou porter des blessures définitives dans l'entourage d'un individu mauvais ou stupide.

    L'attribution d'un grade est un pari : la foi en la volonté de l'être humain de chercher sans cesse à s'améliorer. Pari réussi : on voit une sublimation s'opérer. Le dépositaire, mû par une force nouvelle, consciente ou non, travaille de sorte qu'il en devienne digne. Pari raté, grade remis à une personne indigne, le processus inverse s'opère : vanité, rengorgement, mépris envers le professeur, refus de pratiquer les techniques "inférieures" ou "anciennes", détérioration du style, aigreur, marginalisation, abandon... De nombreux mythes décrivent la destruction d'un individu qui a cherché à observer un domaine que ses yeux étaient indignes de voir.

    Ainsi avons-nous perdu des pratiquants, qu'ils soient titulaires du 1er dan ou de grades plus élevés. Vaincus par leurs certitudes, confondant le Hakama et la personne qui le revêt, ils ont fini par succomber à la confrontation à leurs propres manques. Chacun d’entre nous est menacé, un jour ou l’autre, d’atteindre son propre niveau d’incompétence…

    Tout est contenu dans le programme du 1er dan : équilibre, placement de la force, sensations, déplacements. La richesse des connaissances techniques permet à chaque niveau de vérifier la capacité d’adaptation, l’esprit d’opportunité face à une infinie variété de situations-problèmes.

    Je vais comparer le parcours d’un Aïkibudoka au cursus scolaire de tout un chacun dans les méandres de l’Éducation Nationale.

    Jusqu'au 1er kyu, l’élève est à l’école primaire. Guidé par un maître attentif, il apprend à vivre avec les autres, puis étudie les bases des disciplines et de l’expression, ce que j’appellerai lire-écrire-compter. Plutôt que de les enfermer dans une masse de connaissances qui seront de toutes façons constamment revues dans les étapes suivantes, je préfère amener mes élèves à un comportement devant l’apprentissage : apprendre à apprendre, découvrir le plaisir de lire, d’écrire, de s’exprimer, de résoudre des problèmes.

    L’obtention du 1er dan correspond à l’entrée dans l’enseignement secondaire. De la première année du collège à la terminale du lycée, l’élève va utiliser ses outils lire-écrire-compter et les compétences acquises pour perfectionner ses talents, acquérir de nouvelles connaissances, guidé par des professeurs experts, mais toujours en référence à son maître des premières années, voire toujours en sa compagnie. L’évolution est importante, des responsabilités sont prises dans les clubs, il est possible d’aider le professeur en servant de répétiteur aux débutants, en tenant le rôle d’assistant et, pourquoi pas, de préparer le BEES 1er degré.

    Le 2ème dan correspond au baccalauréat, on peut entrer dans la vie active, ouvrir un club après avoir obtenu le précieux BEES 1er degré. Mais tout reste à apprendre. Il sera bon de se perfectionner en entrant à l’Université. Seulement, là, on sera responsable de son propre apprentissage. Il va peut-être falloir mêler les responsabilités professionnelles et le suivi des cours. Peut-être pourra-t-on, si on est remarqué, construire son cursus sous le regard attentif d’un maître d’études. Et il faudra toujours lire, écrire et compter ! Le reste n’est que culture, donc ensemble de connaissances destinées à l’oubli, sauf qu’il en restera une sensation, une émotion, une force qui modifiera quelque chose en nous, et la connaissance ne demandera qu’à resurgir si elle est sollicitée. Les plus fidèles retourneront régulièrement auprès de leur premier maître, celui qui a su faire germer la toute jeune personnalité et qui reste le guide attentif.

    Le 3ème dan, c’est la licence, le BTS. Il se passe devant un jury national. On est reconnu disposant de connaissances solides et d’une expérience intéressante. On se destine à des responsabilités régionales. Le rôle d’enseignant est alors évident. Toutefois, il reste encore tant à apprendre : maîtrise, doctorat, recherche… En se servant toujours des outils élémentaires que sont lire, écrire et compter !

    Et le 4ème dan ? C’est la maîtrise. Le titulaire devient dans sa région un modèle à suivre, il doit éclairer la voie pour les plus jeunes. Il va faire ses premiers pas sur le chemin abrupt qui mène aux responsabilités nationales. Quelle responsabilité, quelle charge ! Et que de travail, car tout reste à faire, à prouver.

    Les nouveaux lauréats ont-ils cette flamme intérieure qui permet d’éclairer le chemin des jeunes générations ? Ont-ils cette légèreté, cette fluidité qui donne envie de les prendre comme modèles, de les suivre ? Ont-ils ce dévouement, cette abnégation qui les fera renoncer à la plupart des plaisirs de la vie ordinaire pour consacrer l’essentiel de leur temps libre à la transmission de leur passion ? Sont-ils satisfaits de leur prestation ? Sont-ils revenus de l’examen avec le sentiment qu’ils n’ont pas gagné mais mérité, justifié leur promotion ? Ce grade correspond-il à un besoin de l’école ou à la satisfaction de leur ego ?

    Le temps le dira.

     

    À propos des grades

     

     

     

     






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