83 balais : la retraite ?

83... Encore un nombre premier ! Premier de quoi ? Je pourrais plagier Virginie Grimaldi en suggérant « le premier jour du reste de ma vie », mais c’est une telle évidence que ça retombe à plat.
En fait, j’ai abordé le monde des Arts Martiaux il y a 63 ans via Dynam Ju-jutsu et ma ceinture noire a fêté ses 55 ans le 23 mars 2024. J’étais rentré chez moi le soir du 22 mars 1969, vers 23 h, après avoir fait connaissance avec mon petit garçon qui venait d'émerger dans ce drôle de monde. Je m’étais levé le lendemain à 6 h pour prendre la route à 6 h 30 afin d’arriver à temps au Dojo Central, rue du Faubourg Saint Denis, où se déroulaient les stages et les examens.
Au stage de Royan, du 15 juillet au 15 août 1968, Hiroo Mochizuki avait présenté une grande nouveauté : les notions de distance Ma et Chika Ma. Ma situation financière ne m’avait pas permis d’y participer cette année-là or ces notions allaient être considérées comme acquises par les candidats au 1^er dan du 23 mars 1969... sans jamais avoir été abordées au cours des stages de la saison 68/69 ! Un de nos condisciples, l'inénarrable Lionel dit Yoyo, y avait participé et avait tenté de nous convertir à ces nouvelles notions mais nous étions de vilains moqueurs et rejetions systématiquement toutes ses tentatives en vue de nous instruire.

Imaginez ma perplexité quand on m’a demandé la différence entre Kote Gaeshi en distance Ma et Kote Gaeshi en distance Chika Ma sur la première saisie (on ne disait pas encore nécessairement Jyunte Dori). Si j’avais obtenu la plus haute note possible en Randori efficacité, j’avais déjà l’intuition d’un Randori esquive-canalisation où j’appliquais systématiquement Ushiro Hiki Otoshi (qui n’était pas au programme du 1^er dan...) et en Randori Technique où mes Shiho Nage et mes Yuki Chigae semaient l'inquiétude chez les autres candidats, je fus proprement éliminé pour ma méconnaissance totale des principes du Ma et du Chika Ma. Je fus quand même repêché la semaine suivante, car tous les Provinciaux et une grande partie des Parisiens avaient été renvoyés à leurs chères études et le directeur technique national avait jugé souhaitable d'encourager les provinciaux en accordant quelques grades...
Hiroo Mochizuki me prit sous son aile pendant le stage de Royan suivant, du 15 juillet au 15 août, où il entreprit de me faire accéder avant la fin du stage au niveau du 2^ème dan. Déjà, à la fin de la première semaine, j’appliquais avec aisance les Sutemi en Randori et j'étais le favori pour la coupe d'Aïkido Yoseikan de la ville de Royan, mais ceci est une autre histoire.

« Que tout cela a-t-il à voir avec vos 83 balais ? » m’objecterez-vous peut-être. Rien, en effet, encore que… Ma ceinture noire a donc fêté ses 55 ans et c’est, ou plutôt c’était, jadis, l’âge de la retraite. Quand les services publics n’avaient pas été systématiquement dégradés, dévastés par ceux qui nous gouvernent, quand les avancées sociales imposées par le Conseil de la Résistance au monde de la finance "collabo" avaient permis de reconstruire la France, de relancer son économie, son industrie, son agriculture, en ces temps populaires, donc, les agents de la fonction publique pouvaient bénéficier de leur retraite dès 55 ans. Et personne ne s’en offusquait. À qualification équivalente, les fonctionnaires gagnaient moins bien leur vie que dans le privé mais, en échange, ils bénéficiaient de leur retraite 5 ans plus tôt.
Savez-vous que sous la troisième république les instituteurs n’étaient payés que 11 mois par an ? Savez-vous que ces grandes vacances qu’on leur jalouse n’étaient pas payées ? Sur les 2 mois de vacances d'été, un seul faisait partie des congés payés. Les instituteurs percevaient donc 11 mois de traitement répartis sur 12 mois.
« M’enfin, que tout cela a-t-il à voir avec vos 83 balais ? » vous obstinerez-vous à m’objecter ? Je suis un Aïkibudonosaure, comme le dit en ricanant Hunabu Shinza (une sorte de guerrier Maya mal réveillé, à moins que ce ne soit une espèce de singe de la période pré-Inca), et je ne suis plus adapté à cette nouvelle faune qui grouille à la surface de notre belle planète. Je ne suis plus dans mon monde sur le Tatami.

une espèce de guerrier Maya mal réveillé ?	une espèce de singe de l’époque pré Inca ?

Quand j'ai commencé à apprendre l'Aïkido Yoseikan, il fallait être très costaud, on ne travaillait pas dans la nuance et on ne se refusait pas une certaine forme de brutalité. Mais voilà, je ne disposais que d'une force très, très moyenne, j'étais moyennement rapide et moyennement souple. Et je n'aimais pas perdre. C'est comme ça que j'ai dû très tôt aborder cette sensation d'esquive canalisation qui n'existait pas à l'époque où la norme était la mise en mouvement avec un armlock. Le tout saupoudré d'un soupçon de brutalité pour faire comme tout le monde et je me suis fait une solide réputation... C'est comme ça que j'avais d'commencé à remporter quelques victoires très faciles, très rapides, en quelques secondes, en compétition de Judo, ce qui avait cessé aussi vite de m'intéresser. Et ça m'a permis plus tard de sanctionner avec sévérité les grands costauds qui brutalisaient les plus faibles. C'est comme ça qu'un samedi après-midi j'avais entrepris de corriger 2 types bien plus baraqués que moi. Je les jetais comme des sacs contre les protections murales, les empêchant ainsi d'effectuer des roulades. L'un des deux, un docker, habitué des rixes sur les quais, saisit très vite la leçon et me salua pour mettre fin à la correction mais l'autre, un grand imbécile, ne comprit rien à ce qui lui arrivait quand il fut éjecté par la porte de sécurité et resta le grand con qu'il doit toujours être. Ce qui n'a pas empêché un très haut gradé de notre École de lui dire que s'il était mauvais, ce n'était pas sa faute mais parce que ce que je lui enseignais n'était pas de l'Aïkibudo mais de l'Aïkido... La belle solidarité dans le monde idyllique des Arts Martiaux !

J’ai toujours été la mémoire de notre Sensei, lui rappelant des événements, lui remémorant aux stages du Temple sur Lot quel avait été le programme des années passées, le contenu de ses cours et les horaires, lui suggérant même parfois ce qu’il serait souhaitable de retravailler…
Et puis, au dernier grand stage international auquel j’ai participé, pour fêter le cinquantenaire de la fondation du CERA, j’ai cru comprendre que je n’étais plus le dernier cofondateur du CERA encore en vie, en fait, que je n’avais même probablement jamais été un de ces cofondateurs du CERA ! J’avais cessé d’exister,

83 balais ? 13 mai 2024 ? Le dernier jour du reste de ma vie de Budoka ?
En fait, je dois être devenu un vieux ronchon, J’ai publié un article, que je vous recommande de lire ou de relire parce que j’en suis plutôt très satisfait, "Écriture inclusive, quelle ânerie", au sujet de l’imbécillité de l’écriture dite inclusive à laquelle se plient des administrations, dont notre fédération, cédant aux injonctions d’une toute petite minorité de néo-féministes biberonnées à un wokisme né aux USA et pour qui masculin est synonyme de violeur. L'une d'elles a même certifié ne jamais lire un livre écrit par un homme !
De ce fait, il faut féminiser tous les noms, c’est ainsi que j’ai vu dernièrement apparaître, écrit sur un bandeau de sous-titres à la TV, « brigadière-cheffe », rien que ça ! Vraiment, ça existe, une cheffe ? Sur le Littré, on trouve chéfesse (Nom formé de chef pour indiquer la dignité de certaines femmes aux îles Marquises. ♦ La grande chéfesse ou reine de Nuhiva, Journ. offic. 25 janv. 1877, p. 564, 3e col. ),

Mais c’est quoi, le chef ? C’est le haut de la tête, d’où le mot couvre-chef, mais faudra-t-il écrire couvre-cheffe ou couvre-cheffesse pour un chapeau de femme ? Et pourquoi ne pas utiliser le "cheftaine" des scouts ? Brigadière-cheftaine, ça donnerait de l’éclat à ce grade.
Pendant que nous y sommes, dans un journal, il y a un rédacteur en chef… Devrait-il y avoir une rédactrice en cheffe ou une rédactrice en chéfesse ou, pourquoi pas, une rédactrice cheftaine ???

« M'enfin ! Quel rapport tout ça a-t-il à voir avec vos 83 balais, Sensei André ? »

Oh, c’est surtout parce que je me désole de l’affaiblissement de notre belle langue, celle qui était (qui est encore) considérée comme la plus sexy de la planète, la langue internationale des diplomates, la langue que parlaient les enfants des tsars de Russie avant d’apprendre leur propre langue, cette langue qu’apprennent des Américains, des Japonais, tout simplement parce que c’est une belle langue. Mais voyez comme elle est massacrée oralement et appauvrie sur les ondes, sur les réseaux dits sociaux par ceux-là mêmes qui reprochent aux enfants leur nullité en orthographe ou l'indigence de leur vocabulaire. Même la syntaxe y est malmenée !

« Et si la baisse de niveau des élèves régulièrement pointée dans les classements internationaux avait quelque chose à voir avec celle de leurs professeurs ? À lire la plupart des rapports des jurys du Concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) de 2023, il y a de quoi se faire du mouron. Comme les années précédentes, les correcteurs pointent les lacunes en orthographe, en grammaire et en mathématiques. Mais ils s'inquiètent aussi, tout particulièrement, du manque de culture générale des candidats qui ont pourtant un niveau master, soit cinq ans d'études après le bac. » « Les exemples utilisés à l’appui de la réflexion sont « majoritairement » issus de la culture populaire (films grand public, dessins animés de Disney) au détriment de la culture littéraire et patrimoniale, regrette le jury de l’académie de Lille. « Presque » tous les correcteurs ont remarqué « avec inquiétude » la « présence importante d'exemples pris dans des dessins animés, des productions Marvel ou des séries Netflix », renchérit le jury de Clermont-Ferrand. » « On ne peut accepter que l'horizon d'un candidat appelé à instruire de jeunes élèves soit ainsi limité à quelques figures empruntées aux productions de l'industrie du divertissement, là où on attend de lui qu'il fasse montre d'une certaine culture… On attend de futurs enseignants qu’ils ne confondent pas les œuvres littéraires avec leur adaptation par la maison Disney ("Le Bossu de Notre Dame de Victor Hugo") »

 

« Et l’Aïkibudo dans tout ça, vénérable Sensei ? »

Euh ! En 1956, nos professeurs nous disaient que nous étions les pires cancres qui avaient usé leur fond de culotte sur les bancs de l’école normale ! Et à leur tour, mes condisciples ont déploré, année par année, la baisse du niveau de nos chères petites têtes blondes.
En fait, ces lamentations remontent à l’antiquité, quand les philosophes grecs déploraient déjà l’ignorance crasse de leurs disciples. Nous devrions avoir régressé au niveau d’homo erectus !

En fait, tout a vraiment commencé sur les étranges lucarnes, quand les chaînes TV ont trouvé judicieux de programmer de lamentables dessins animés le matin, de 7 h à 8 h et demie, ce qui fait que des enfants arrivaient systématiquement en retard à l’école et comme ils se couchaient tard, ils comblaient leur manque de sommeil en classe.
Et puis la diablerie a jailli des smartphones, la machine à abrutir que les pouvoirs publics s’ingénient à nous imposer par toutes sortes de réformes de « dématérialisation » des documents officiels et des services publics.

Entrez dans une salle d’attente, ne dites pas bonjour, vous gêneriez toutes ces personnes, jeunes comme vieilles, hypnotisées par l'écran de leur machine et occupées à pianoter leur écran virtuel avec les pouces.
Et à table, le téléphone dit intelligent doit trouver sa place à côté des fourchettes et des couteaux. Ne ricanez pas, j’ai eu droit à ça, chez moi, de la part d’amis plus vraiment très jeunes !

« Et la retraite dans tout ça, vénérable Sensei ? - Mmmmm ! Ce n’est pas si simple, petit cucaracha… Voyons… Que signifie ce mot ? Qu’en dit monsieur Littré qui était un grand lettré ? »

 

 

1°  Action de se retirer. ♦ Monsieur, il faut faire retraite, MOL., Mis. IV, 4  2°  Marche rétrograde d'un corps de troupes qui se retire devant l'ennemi. ♦ Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles.... Font retraite en tumulte, CORN., Cid, IV, 3 3°  Obligation où sont les gens de guerre de rentrer à une certaine heure ; signal qu'on leur donne en conséquence. L'heure de la retraite. Le tambour a battu la retraite. Sonner la retraite. ♦ Nous continuâmes à nous divertir jusqu'à la nuit ; alors la veuve du docteur Garcia fit sonner la retraite, LESAGE, Guzm. d'Alf. VI,  4°  Terme de vénerie. Sonner la retraite, rappeler les chiens.  5°  Il se dit des eaux qui rentrent dans leur lit. ♦ Cette retraite des eaux ne s'est pas faite tout à coup, mais par une longue succession de temps, BUFF., 4e ép. nat. Oeuv. t. XII, p. 213 6°  Action de se retirer du monde, de la cour, des affaires, des emplois, du théâtre, etc. ♦ Dieu fit la douce illusion Pour les heureux fous du bel âge, Pour les vieux fous l'ambition, Et la retraite pour le sage, VOLT., Ép. 88 7°  L'état d'une personne retirée des affaires, éloignée du monde, vivant à la campagne. ♦ Je n'avais point d'idée du bonheur réservé à la vieillesse dans la retraite, VOLT., Lett. Mme du Deffant, 6 mars 1761  8°  Éloignement momentané du monde, pour se livrer à des exercices de piété. ♦ Les retraites ne réussissent pas toujours ; il faut les faire sans les dire, SÉV., 302  9°  Le lieu même où l'on se retire. Il s'est bâti une petite retraite. ♦ J'entends une retraite isolée et profonde, Et non celle où toujours le voisinage abonde, COLLIN D'HARLEV., Chât. en Esp. III, 2  10°  Lieu de refuge. ♦ Eusses-tu pour retraite un roc inaccessible, Tigresse, tu mourras, CORN., Médée, V, 8  11°  Lieu où l'on se cache, se dérobe. ♦ Le monde ne serait plus, selon l'expression de l'Évangile, qu'une retraite de voleurs, BOURDAL., Serm. 22e dim. après la Pentec. Domin. t. IV, p. 361  12°  Emploi tranquille, ou pension, ou récompense qu'on accorde à quelqu'un qui se retire d'un service. Prendre sa retraite. Être admis à la retraite.

HISTORIQUE ♦ À la diane et à la retraicte, une cloche sonne...., MONT., I, 107 ♦ La retraicte des Grecs, de Babylone en leur pays, est fameuse...., MONT., I, 261 ♦ Pour y establir nostre principale retraicte et solitude, MONT., I, 277 ♦ Elle avoit, au dernier butin, caché une cuilliere qu'elle pensoi d'argent, mais elle fut trouvée dans la retraite de son busc, D'AUB., Faen. III, 3 ♦ Mouy faisoit la retraitte [l'arrière-garde] avec une trouppe choisie et gaillarde, D'AUB., Hist. I, 220 ♦ Ces deux eschelles furent emboitées et apliquées à six pas l'une de l'autre dans une retrete de muraille, où il y avoit deux carneaux, ID., ib. III, 155 ♦ ... Flanquée pour le mousquet seulement, de la courtine de deux ravelins sans espaule, sans retraite, sans oreillon..., D'AUB., ib. 258 ♦ Retraitte de loup, tournant tousjours le visage, BRANT., Capit. franç. t. II, p. 282

« Et votre retraite dans tout ça, vénérable Sensei ? - Mmmmm ! En fait, je n’ai jamais reculé, petit cancrelat… N’ai-je pas souvent dit que notre Art, c’était d’abord Irimi ? Entrée, esquive, canalisation, c’est ce que je devrai faire face à la vieillerie. - Une nouvelle aventure, en fait, vénéré Sensei ? - Boaf ! Plus facile à dire qu’à faire,,, »

Allez ! Du balai ! Quoi que vous en pensiez, je ne suis pas vieux :
je suis jeune depuis plus longtemps que vous !

 

 

 

7e dan FIAB 2011
2^e dan FKSR 1986

A.照り絵 / 七段 教士 

 Oublie tes peines et pense à aimer
あなたの悩みを忘れて、愛について考える
Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru