•  : force, violent, guerrier, brave
     : chemin

     

     « J'aimerais connaître votre conception du BUDO, pas le terme galvaudé ici et là, mais votre interprétation de ce qu'est le vrai BUDO. Quand vous aurez deux ou trois minutes, écrivez-moi par mail et j'aimerais beaucoup connaître votre opinion à propos de ce terme qui amène une recherche. Quel en est votre sens si je puis m'exprimer ainsi. »

    Budo 武道

    Ils sont gentils. Que ce soit Mario ou Sylvain, quand il leur semble que je risque de m’ennuyer, ils me posent une petite question, censée ne me prendre que 2 ou 3 minutes...
    La bonne blague ! C’est à chaque fois le sujet d’une dissertation de philosophie qui va solliciter mes neurones pendant des heures et des jours ! Je ne suis pas un philosophe même si j’aime écrire et s’il m’arrive d’avoir des idées qu’il m’arrive de triturer pour essayer d’en tirer quelque chose.

    En fait, je pratique mon Art, martial ou littéraire, pour le plaisir, sans me poser de questions car les réponses se présentent d’elles-mêmes quand c’est nécessaire. C'est peut-être ça, l'inspiration.
    Je suis un rêveur, un contemplatif, pas un intellectuel. Pour répondre à la question de Mario, je vais devoir mettre de l’ordre dans mes idées, organiser mes pensées, chercher des outils, des citations de Budoka plus érudits que moi.

    Mon dictionnaire traduit Budo par « art martial ». Pas question de « Voie du Guerrier » comme nous serions tentés de le lire en suivant la traduction littérale des Kanji. En fait, le mot Voie, au sens spirituel du terme, semble exclu de mes dictionnaires qui traduisent par chemin et le lisent Michi de même que , traduit par brave, soldat, peut être lu Tsuwamono. Tsuwamono Michi, le chemin du soldat, même s’il est brave, ça fait nettement moins sexy que Budo, la Voie du guerrier !

    J’ai lu ici ou là que le Kanji signifierait « arrêter la lance »... Le Budo serait-il la Voie de la non violence ? En ce qui concerne notre bel Art Martial, je suis plus sensibilisé par le concept de non résistance. Qu’en disent les lettrés ? Merci à Wikitionnaire pour son étymologie et au blog de Budo Export qui nous apprend que le Kanji Bu est un Kai Moji, c’est à dire l’association de deux Kanji pour en former un troisième ayant le sens cumulé des deux premiers.
    Les défenseurs de la théorie « Hokodome », de « Hoko » ( la lance), et « Tome/Dome » ( arrêter), allèguent tout simplement que le Kanji « Bu » étant l’association des Kanji signifiant « lance » et « arrêter », il signifie donc « arrêter la lance ».
    Toutefois,  si l’on en croit certains linguistes​, il semblerait qu’il représente, à l’origine, une trace de pas dans le sol​ avec une nuance de déplacement. Cette autre analyse du Kanji lui donne le sens de « se déplacer avec la lance », ce qui conforte la logique guerrière. Si on conserve l’idée d’arrêter la lance, alors il est bon de se demander s’il s’agit de l’arrêter pour arrêter le combat (logique pacifique) ou de l’arrêter dans le ventre de l’ennemi (logique guerrière). On pourrait également se demander si « arrêter la lance » ne pourrait pas être interprété par « arrêter la lance de l’ennemi avec la sienne ».

    Alors, logique pacifique ou logique guerrière ? Bu se retrouve en japonais dans des termes plus anciens que Budo, par exemple Bujutsu (武術 techniques de guerre),  Bugei  (武芸 arts de la guerre), Bushi (武士 soldat), Buki (武器 arme). Il semble difficile de justifier une interprétation pacifique...

    Comme il s’agit avant tout de notre bel Art Martial, 合気武道, je dois effectuer une digression sur le sens de 合気  tel que l’ont exprimé 2 grands Sensei.
    Minoru Mochizuki Sensei avait écrit ceci à not’ bon Maître :
    « Ki » de « Aïki » signifie « mordant » C’est une intuition instantanée au moment où le Sumo se met en mouvement après avoir été en garde. Imaginons que, quand on voit quelqu’un armé se démener, on sort brusquement du coin où on se cachait, le saisit à bras le corps, arrache son arme et lui met les menottes, « Ki » est une inspiration au moment où on se rue sur l’ennemi. Je crois que vous avez déjà pas mal d’expériences sur cela. En bref, l’Aïki Jujutsu implique l’intuition de l’instant où mon mordant et celui de l’autre se heurtent. Il me semble que le Daïto Ryu Jujutsu est un art d’insister pour enlever l’arme de l’autre. » Il avait une conception très pragmatique de l’Art Martial qu’il enseignait.

    Pour Katsayuki Kondo Sensei, Soke de Daïto Ryu, le concept d’Aïki s’oppose à celui de Jutsu :
    « L'Aïkijujutsu implique que dès l'instant du contact le partenaire soit déséquilibré. Déséquilibrer après avoir pris position est du Jujutsu... L'Aïki est immédiat. Contre n'importe quelle attaque, des saisies à Shomen Uchi en passant par les coups de poing, la création du déséquilibre par l'Aïki doit être instantanée... L'Aïki est la méthode de création du Kuzushi (崩し), le déséquilibre. Mais il faut aussi conserver le Kuzushi de façon souple et continue. Sinon la technique est terminée. » Il semble que pour lui Aïkijujutsu soit un oxymore ! 

    « Et le Budo, dans tout ça ? », s’énerve Mario qui m’a donné 2 ou 3 minutes pour m’exprimer. J’y viens, petit scarabée, j’y viens.
    Pour finir cette exploration du sens de 武道, il convient d’analyser Do () : c’est un kanji composé de deux clés. L’élément représente 3 empreintes de pas. La graphie évoque une marche alternée, comme le ferait une sentinelle. L'élément est une tête à la chevelure dénouée qui symbolise la spontanéité.
    Les pas laissent des traces, des empreintes, ce qui indique que la voie, la méthode de faire, peut être appréhendée par celui qui sait observer et par là « voler la technique ».

    « Mais vous, Sensei André, quel est VOTRE sens ? » demande Mario en trépignant car il attend depuis 2 ou 3 semaines une réponse qui ne devait prendre que 2 ou 3 minutes de mon temps. J’y viens, petit scarabée, j’y viens.

    Minoru Mochizuki Sensei avait encore écrit ceci : « En temps de paix, l'essence des arts martiaux, est l'enseignement. Dans le mot Ryu, il y a l'idée de courant. Le Dō, c'est la voie. Si on arrête d'enseigner, ce n'est plus la voie, c'est seulement de la technique. La technique martiale vise uniquement à tuer, alors que le but des arts martiaux est de former sa personnalité. »
    Quant à Alain Floquet, not’ bon Sensei, il a énoncé cette belle définition au cours d’un stage à Lembrun : « L’Aïkibudo est l’Art de contrer la violence ». 
    Je serais tenté de la modifier ainsi : « L’Aïkibudo est l’Art de canaliser la violence » car dans contrer, il y a l’idée d’arrêter, de bloquer une action, ce qui ne correspond pas à notre bel Art Martial qui s’exprime dans la continuité du mouvement.

    Au fur et à mesure que, le poids des ans augmentant, mes aptitudes physiques s’amenuisent, d’autres compétences viennent prendre le relais. Paradoxalement, mon grand âge ne semble pas inspirer de la modération dans leur investissement physique sur ma modeste personne aux robustes pratiquants que j’ai l’occasion de conseiller durant les stages ou qui sont mes Uke habituels. Ils m’imposent sans vergogne leur force brute et je dois utiliser ces nouvelles compétences pour leur faire comprendre que mes titres de Kodansha, de CTIR, de 七段 教士 ne sont pas que l’équivalent de médailles en chocolat. J’ai ma fierté...
    L’unification de ma force corporelle déclinante au niveau du bassin, le placement bas de mon centre de gravité, mon sens de la canalisation, ma volonté et ma détermination me permettent de déstabiliser de grands costauds toujours un peu lourdauds. À leur doute succède le respect qui évolue souvent en amitié, ce qui fait que je finis par les trouver moins lourdauds et que j’ai tendance à m’en attribuer le mérite.
    Peut-être parce que je suis un peu autiste, ce sont les amis qui sont venus à moi plus que je ne suis allé vers eux. Plutôt solitaire, j'ai une culture autodidacte mais j’ai probablement beaucoup plus reçu que je n’ai donné. Au fil des années, je suis parvenu à me débarrasser de ma carapace, mon corps et mon caractère se sont assouplis, j’ai acquis le sens du mouvement et la fluidité, j’ai appris à aller vers les autres et à leur offrir les fruits de mon expérience.

    Quand je fais comprendre que je ne cherche pas à porter une technique mais que je m’insère tout simplement dans le mouvement généré par l’attaque de mon adversaire pour canaliser son mouvement en fonction de ses réactions et que je ne fais qu’utiliser la technique qui se présente à l'issue du mouvement, je pense que j’explique mon sens du Budo.
    Quand je montre qu’à un autre niveau d’intention, j’amène mon adversaire à réagir de sorte que le mouvement aboutisse à la technique que je souhaite utiliser, je pense que je précise encore un peu plus comment je perçois le Budo.
    J’ai utilisé le mot adversaire et non celui, plus consensuel, de partenaire. Le Budo est Art Martial, Art du combat, de la guerre. Que je sache, on ne combat pas des partenaires. Si mon Budo est fluide, sans utilisation apparente de la force, s’il donne une apparente impression de facilité, d’élégance même (on me l’a dit et j’ai eu la faiblesse de le croire), il n’en reste pas moins dangereux et susceptible de porter de sévères blessures car c’est toute la force, toute la masse de mon corps que j’investis dans le mouvement.

    Il ne m’est pas besoin d’être brutal pour dissuader un personnage agressif de me barrer le chemin ou bien de le contraindre à embrasser le revêtement du sol. Le rôle d’un Budo devrait être de permettre la sublimation de la violence propre à tout être humain en force raisonnée et apte à apaiser les agresseurs potentiels : l’Art de canaliser la violence. La quête d’une aisance dans le combat serait-elle une quête spirituelle ? La spiritualité n’est pas l’apanage des croyants et bigots de toutes obédiences. Si croyants et bigots croient en un Dieu tout puissant et irréfutable qui les accueillera après leur mort, les athées croient en l’être humain et dans son irrésistible force vitale de progrès et d’élévation. « Une grande partie de l'humanité est encore illettrée ; elle n'en est pas moins humaine. »

    Le sens d’un Budo, c’est peut-être tout simplement l’accès à des niveaux de conscience de plus en plus élevés. C’est ce qui se passe à chaque passage de grade : l’ouverture d’un nouveau champ du possible, la sensation de refaire le même parcours mais sur un chemin à la fois plus exigeant et plus lumineux.
    Chaque étape nous conduit à pratiquer avec de plus en plus d’aisance des mouvements de plus en plus épurés mobilisant de moins en moins d’énergie pour une efficacité de plus en plus haute. Au bout du chemin, une porte s’est ouverte sur un nouveau pallier qui nous a permis d’envisager avec plus d’acuité la prochaine étape que nous allons parcourir, plus légers, dans un état de conscience plus fine, plus claire.
    Je n’ai pas l’élévation intellectuelle, et encore moins spirituelle, de Sri Aurobindo* qui pensait que, par la pratique d’un « Yoga intégral », l’humanité s’élèverait à un niveau de conscience supérieure et ferait émerger le nouvel être humain. Notre Budo a une ambition plus modeste.

    Quoi que... Not’ bon Sensei n’a-t-il pas dit : « Le but actuel du Budo, et a fortiori de l'Aïkibudo, m'apparaît n'être ni la guerre, ni la violence, ni même le combat sportif, mais l'édification d'un être humain solidement équilibré et apte à vivre en toute harmonie et à répandre cette harmonie autour de lui.
    Pratiquer l'Aïkibudo, ce n'est pas simplement réaliser des techniques martiales, c'est participer à la réalisation de l'Homme dans le respect des lois physiques universelles, de la nature et des règles sociales. C'est un comportement où le cœur est la porte de l'esprit. »

    En fait, ça ne semble pas si difficile : « La vérité est infinie, elle va toujours de l’avant... Mais toujours on se charge les épaules d’un fardeau interminable... On ne veut rien laisser tomber du passé et on est de plus en plus courbé sous le poids d’une accumulation inutile. Vous avez un guide sur un morceau de chemin, mais quand vous avez passé ce morceau de chemin, laissez le chemin, et le guide, et allez plus loin... Une fois que vous avez passé l’étape, laissez-la tomber, qu’elle s’en aille ! Allez plus loin ! » (Mirra Alfassa dite Mère, compagne de Sri Aurobindo)

    * lire absolument : Sri Aurobindo ou l’aventure de la conscience (Satprem, éditions Buchet/Chastel)

    Ce qui me rappelle que… « Un chemin n’est après tout qu’un chemin. Si l’on a l’impression de ne pas devoir le suivre, inutile d’insister. Mais pour parvenir à une telle clarté il faut mener une vie bien réglée. Ce n’est qu’alors que l’on comprend qu’un chemin n’est qu’un chemin et qu’il n’y a rien de mal ni pour soi ni pour les autres à le quitter, si c’est ce que votre cœur vous dit de faire. Vous vous poserez alors une question et une seule : « Ce chemin a-t-il un cœur ? ». Tous les chemins sont pareils, ils ne mènent nulle part. Ce chemin possède-t-il un cœur ? S’il en a un, le chemin est bon. Sinon, à quoi bon ? Les chemins ne conduisent nulle part, mais celui-ci a un cœur, et celui-là n’en a pas. Le premier vous rendra fort, l’autre faible. Un chemin qui a un cœur est facile : on n’a pas besoin de se donner de la peine pour l’aimer. On sait qu’un chemin a du cœur lorsqu’on ne fait qu’un avec ce chemin, lorsqu’on éprouve une paix et un plaisir incommensurables à le parcourir dans toute sa longueur. » (Citation attribuée à un « sorcier Yaqui » dans L’herbe du diable et la petite fumée de Carlos Castaneda)

     

    J’ai vu une fleur sauvage

    Quand j’ai su son nom

    Je l’ai trouvée plus belle

    Budo 武道

    Budo 武道

     Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

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    Oublie tes peines et pense à aimer
    あなたの悩みを忘れて、愛について考える 
    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    mort-de-rire