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    - Je vous apporte mes voeux.- Merci, je tâcherai d'en faire quelque chose. (Jules Renard)

    Nous voilà donc dans la première semaine du premier mois de la première année de la deuxième décennie du XXIème siècle...
    Ben oui, une dizaine ça commence à 1 et ça finit à 10. Ce qui fait que notre XXIème siècle a commencé en 2001 (vous vous rappelez, le chef-d’œuvre de Stanley Kubrik, « 2001, l’odyssée de l’espace » ?) et non pas en 2000 comme des milliards de nigauds l’ont cru le 31 décembre 1999 à minuit !
    Et cette très triste décennie s’est enfin achevée le 31 décembre 2010 à minuit ! Ouf ! On ne la regrettera pas, celle-là !
    Toujours est-il que c’est pour moi le moment de vous souhaiter une bonne nouvelle première année et une meilleure deuxième décennie. En attendant de fêter dans quelques mois l’accomplissement de ma... septième décennie. Et oui, ça ne nous rajeunit pas !

    Une fois que ma décision est prise, j'hésite longuement. (Jules Renard)

    Il paraît que la nouvelle année offre l’opportunité de prendre de nouvelles résolutions. Bon, puisque dame nature finit d’ajouter ses derniers brins de jonc à mon 70ème balai, pourquoi ne prendrais-je pas celle de devenir raisonnable et de m’adapter à un rythme pépère, plus cool, comme disent les d’jeunes !
    Et puis, un premier cours après une éprouvante période d’agapes se doit d’être tranquille, propre à ne pas trop bousculer les organismes malmenés par toutes sortes d’excès.
    Alors, je décide de ménager mes élèves, que dis-je, de les choyer, de les dorloter, de les chouchouter. Je vais simplement reprendre les thèmes des 2 derniers cours, les affiner, les préciser, opérer leur synthèse.

    La fatalité veut que l'on prenne toujours les bonnes résolutions trop tard. (Oscar Wilde)

    En fait, les rangs sont clairsemés, l’hiver précoce a semé son lot de dégâts... Mimi est bien venu présenter ses vœux mais il souffre d’un lumbago, il ne pourra pas s’entraîner. Jaâfar s’est immobilisé  en région parisienne. Jojo est verrouillée par un accès d’arthrose cervicale. D’autres ne se sont pas manifestés et ne se font remarquer que par leur absence.
    Ils sont 6 courageux, heureux de se retrouver, impatients de s’échauffer puis de partager le plaisir d’un bon entraînement, 5 Yudansha et un Kyu, solide et avec un bon passé de judoka qui lui permet de s’adapter à un cours de haut niveau.

    Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. Aussi l’excellence n’est-elle pas un acte mais une habitude. (Aristote)

    Ils sont arrivés selon leur disponibilité à partir de 18 h. Un échauffement s’est mis en place progressivement, chacun à son rythme ou par couples se livrant à de souples randoris techniques.
    À 19 h, je prends le cours en mains. Après le salut, en complément à l’échauffement individuel, je demande un randori Te Hodoki souple et fluide suivi d’un randori esquives que je souhaite lent et très technique. Et puis il me prend l’envie de contrôler le niveau des roulades et autres Ukemi...
    Enchaînements de roulades avant à droite et à gauche. Le résultat est bruyant. Je demande des roulades souples, fluides, silencieuses. Le résultat demeure approximatif, il y a beaucoup d’énergie à dépenser chez ces (plus ou moins) jeunes gens.
    Je pense obtenir le résultat escompté en demandant des enchaînements roulade avant / roulade arrière. Diantre, la moitié d’entre eux exécute la roulade arrière à contresens ! Je rappelle qu’il faut laisser le corps tourner dans le sens du mouvement et, de la sorte, la roulade avant à droite est suivie d’une roulade arrière à gauche...
    Deux égarés ont retrouvé le bon chemin mais Jeannot persévère dans le blocage de sa rotation pour tourner à contresens. Doté de mansuétude, je vais vers lui avec l’intention de le guider comme je l’ai fait d’innombrables fois avec d’innombrables débutants. C’est sans compter avec les résistances de Jeannot. Au lieu de suivre la sollicitation que ma main applique à son épaule, il se bloque, tourne à contresens et... m’applique un coup de talon au tibia ! Ça fait mal et me rend irascible ! Mais plutôt que de me laisser aller à mon mécontentement que je n’exprime que par quelques vives remarques teintées de verdeur, je convertis toute cette agressivité naissante en énergie positive...

    Je suis fort parce que je ne suis jamais dérouté par les autres et que je fais ce qui est en moi. (Paul Gauguin)

    Je fais asseoir les élèves, je désigne 2 volontaires d’office, Jeannot et Guillaume, et je leur demande de présenter l’enchaînement étudié le 8 décembre... Ils étaient là le 8, ils étaient là le 22, ils doivent avoir opéré une synthèse constructive précédée d’une analyse dispensatrice de lumière...
    Oui, j’avoue, je suis moqueur. Le Christophe des Alpes m’a même taxé de mauvaise foi, l’hôpital se moquant parfois de la charité.
    En fait, je ne les ai pas laissés méchamment s’enferrer mais je les ai guidés, j’ai soufflé « Oshi Kaeshi » et l’enchaînement s’est assez bien déroulé.
    J’ai simplement rappelé le concept d’intention. Uke a l’intention d’attaquer, il ne vient pas subir le bon vouloir de Tori. Tori a l’intention d’entrer dans le mouvement généré par Uke. Dans ce cas, il s’agit d’un Wa no Seishin.
    Premier temps : les 2 intentions vont à leur terme, Tori projette Uke.
    Deuxième temps : Uke relâche la main haute. Tori continue son mouvement, son bras passe derrière la tête de Uke et il place la technique qui se présente, Kubi Nage.
    Troisième temps : Uke réagit et dégage sa tête en repoussant le bras de Tori qui continue son mouvement et exécute la technique qui se présente, Soto Maki Komi.
    En aucun cas Uke n’a attaqué avec l’intention de subir une projection,  en aucun cas Tori n’est entré avec l’intention de porter Soto Maki Komi. Des opportunités se sont présentées, il les a saisies.

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     Ne mentez jamais à quelqu'un en qui vous voulez avoir confiance. A partir du moment où vous lui aurez menti une fois, vous aurez bien du mal à le croire. (Rivarol)

    Promis, juré, j’avais l’intention de faire un bon petit cours bien tranquille, organisé autour d’un geste simple, archi connu : reprise des poignets de Uke suite à une saisie en Ryote Dori. Sauf erreur de ma part, dans le Kihon Nage Shodan, on trouve le même geste avec Ryote Dori Koshi Nage.
    C’était sans compter sur les mécanismes, les automatismes, les conditionnements, c’est Uke qui n’attaque pas vraiment mais s’apprête déjà à chuter, c’est Tori qui n’a pas besoin d’être précis, efficace, puisque Uke va de toutes façons chuter, même sans être déséquilibré.
    Je vais marteler ces consignes à de nombreuses reprises au fur et à mesure que le cours va se dérouler :

    - Uke vient saisir, il saisit sincèrement, pas mollement
    - Tori reprend les poignets de Uke, pas ses avant-bras, ou n’importe quoi, il saisit avec conviction, sans permettre à Uke de tourner son poignet entre ses doigts
    - Uke ne chute que s’il ne peut pas faire autrement...
    - un éducatif s’exécute en fonction d’une garde, on se remet en garde avant de reprendre l’exercice

    Premier exercice : garde inversée (Gyaku Hanmi no Kamae pour les puristes)

    Tori effectue un léger Irimi et saisit le poignet avant de Uke en pronation et l’amène sur la cuisse au niveau du genou quand Uke s’apprête à poser le pied avant. L’autre main a saisi en supination, les 2 mains exerçant une sorte de Shimeru. Tori avance la jambe arrière et projette Uke.

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    Deuxième exercice : même garde (Ai Hanmi no Kamae pour...)

    Tori recule sa jambe avant en saisissant le poignet avant de Uke en supination, il amène ce poignet sur la cuisse au niveau du genou, l’autre main ayant saisi en supination. Le genou arrière se posant au sol, Tori effectue une rotation du bassin pour projeter Uke.

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    Troisième exercice : même garde...

    Quand Uke avance pour saisir, Tori effectue O Irimi, la main avant reprenant en supination, l’autre en pronation. Il conduit sa main extérieure jusqu’au niveau de la hanche, entraînant dans un léger déséquilibre Uke qui réagit sur son arrière. Tori inverse alors son action, la main basse qui tirait vers le bas repousse vers le haut tandis que la main haute vient sur la cuisse au niveau du genou, les 2 mains exécutant Shimeru. Suivant sa sensation, il projette Uke directement ou en avançant la jambe arrière.

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    Ce troisième exercice va saisir de base à l’étude du Kaeshi Waza en enchaînement.


    « Ne vous y fiez pas, ce n’est pas un petit vieux ! », murmure Pierre au caméscope
    pendant que Guillaume et Jeannot entrent en empathie avec les moulins à vent...

    Premier enchaînement : il peut être dû à une erreur de Tori qui n’applique pas Shimeru, la poussée ne s’effectue plus dans le plan sagittal de Uke qui peut pousser son coude vers l’avant. Tori saisit l’opportunité de placer Koshi Nage.

     

    Second enchaînement : Tori persiste dans son intention de porter la projection de base, Uke persiste dans son intention d’esquiver, ce qu’il fait en glissant vers l’extérieur pour échapper au Koshi Nage. Tori poursuit son déséquilibre en effectuant un Tsugi Ashi latéral qui lui permet de dépasser Uke, il pose alors le genou avant au sol en tournant les hanches, projetant ainsi Uke. (Il est possible de rester debout, on se retrouve devant l’opportunité de placer une technique connue en Judo, Tai Otoshi, qui peut être dangereuse pour le genou de Uke)

     Troisième enchaînement : quand Uke esquive Koshi Nage, Tori continue son mouvement de rotation. Ce faisant, le bras correspondant à la main basse s’enroule autour de son flanc, Uke se retrouve devant un espace vide dans lequel il est projeté.

     
    « On croirait qu'on est quarante ! », grommelle Pierre,
    la chevelure auréolée d'un essaim de gouttelettes de sueur.

    Rien n'est plus agréable que de prendre une décision héroïque et, pour des raisons indépendantes de notre volonté, de ne pas pouvoir la mettre à exécution. (William James)

    J’avoue, je me suis bien amusé en rédigeant ces lignes, je me suis livré à mon irrésistible penchant à la moquerie... Je me sais moqueur, je ne me crois pas méchant. En fait, je respecte trop mes élèves pour les laisser s’enferrer dans les travers que je dénonce quand je les rencontre : les automatismes, l’imprécision, les techniques exécutées sans intention, sans mouvement.
    On peut faire illusion, pire se faire illusion. Ce travail de déconditionnement est épuisant. Mes chers élèves ont trempé leur Keikogi. Le mien n’était pas mieux, ce qui n’est pas sérieux si j’en crois le vœu d’un aimable correspondant : Restez en forme pour apprécier la vie, partager et explorer ce merveilleux Art qui est le nôtre. En fait, c’est le conseil que je donne constamment à mes chers élèves : entraînez-vous en vous ménageant sans ménagement, entraînez-vous avec modération sans modération... Profitez du moment présent !

    St Léger 05 01 11 6 « On ne le dirait pas mais nous sommes toujours vivants ! » a murmuré Pierre au caméscope avant de l’éteindre.

    Bilan du cours du 5 janvier 2011