82 balais… La dérive des continents

Par Sensei André le 13 Mai 2023 à 13:58

82 balais ! Deux fois 41. Je suis né en 1941. J’ai eu 41 ans en 1982. Et maintenant, ce 13 mai 2023, j’en ai 41 de plus. Deux fois 41 pour un natif de 1941, est-ce renaître 2 fois ?

On ne sait pas qu’on est vieux. On ne le sent pas. Ou presque pas. Certes, on se fatigue plus vite, on récupère plus lentement, on est moins souple… ou plus souple du tout. Mais dans la tête, tout fonctionne au mieux, comme dans les plus belles années. On continue à rêver, à échafauder des projets, à regarder les belles personnes, à chercher à séduire pour conter fleurette (à flirter, au lieu de fleureter, disent les Grands Bretons qui sont nuls en orthographe).

82 balais… La dérive des continents

« Alors, tout va bien, mon bon Sensei, vous êtes toujours jeune et beau !
- Que nenni, aimable cucaracha. Le matin, quand on se lève, tout raide, qu’on se regarde dans le miroir, on se demande un instant qui est ce vieux machin qui vient troubler notre réveil : boudiou, qu’il est laid ! Plus je vieillis et plus je trouve qu'on ne peut vivre qu'avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d'une affection aussi légère à porter que forte à éprouver.
- C'est beau, admirable Sensei, cette pensée atteint des sommets ! Mais vous nous avez déjà dit que c’est une citation d'Albert Camus !
- Bien sûr, gentil cancrelat, j’ai atteint mes limites et je dois faire appel à ceux qui tissent des pensées auprès desquelles les miennes ne sont que les émanations d’un gros lourdaud. »

Je suis sur une île déserte qui s’éloigne peu à peu du continent à moins que ce ne soit le continent qui s’éloigne peu à peu de mon île et qui me laisse m’effacer peu à peu…

En fait, je suis sur une île qui s’efface progressivement, qui disparaît aux regards du continent, derrière la brume, comme l’île aux pommes… vestige d’un temps passé…

1960... je m’initie à un improbable Dynam Jiu-jitsu aux mystérieux pouvoirs

1966... je m’inscris au premier cours en Normandie d’un quasi inconnu Aïkido Yoseikan
1967… la préhistoire…

1969… l’antiquité… Le 23 mars, je passe l’examen pour le Shodan. Je suis recalé, comme presque tous les candidats (les programmes avaient été chamboulés en 1968 avec l’introduction de la notion des 3 distances mais la formation n’avait pas suivi) puis je suis « racheté ». Juin : je rencontre un jeune et brillant technicien, Alain Floquet, qui m’étonne dans son rôle de jury d’examen (tout seul, il était à la fois juge et jury), il parvient à déstresser un candidat très médiocre que j’accompagnais et à le rendre presque convenable. 15 juillet-15 août : stage d’Aïkido Yoseikan à Royan, dirigé par Hiroo Mochizuki qui semble m’apprécier puisque il tient à me propulser au niveau du 2ème dan et me fait découvrir les Sutemi où j’excelle… Septembre : j’ouvre mon premier club à Malaunay. Je ne savais pas que j’allais être amené à créer et animer la région de Haute-Normandie.

1970... l'histoire... les 11, 12 et 13 décembre, un tournant dans mon existence, c'est le stage d'Houlgate, marqué par l'étonnante personnalité d'Alain Floquet.

1973 : j’ouvre le club de Bois-Guillaume.
1974 : je participe à la création du Cera.
Septembre 1980 : je fonde la section Bourdeny Aïki-Kobudo qui aura une renommée planétaire. Tous les samedis après-midi, un cours rassemblera pendant trois heures l'ensemble des 1er kyu et des Yudansha de la Ligue, véritable École des Cadres d'Aikibudo et de Kobudo qui succède au cours plus ou moins réservé aux anciens et qui se déroulait à Bois-Guillaume. Le Kobudo a remplacé le Kendo quelques années auparavant et le Maître Sugino me délivrera le 2ème dan de Kobudo Katori Shinto Ryu en août 1986, 10 ans après que j'en aie ouvert le premier cours en Normandie.
2 septembre 1985 : Alain Floquet me délivre le 5ème dan.
5 mai 1991 : Alain Floquet me délivre le 6ème dan.
25 avril 2011 : Alain Floquet me délivre le 7ème dan.

Il fut un temps où des voyageurs accostaient mon île pour se nourrir de ce que je leur offrais puis s’en allaient quand ils étaient repus.
D’autres m’avaient contacté par la voie dématérialisée de la Toile, m’avaient longtemps affirmé que mes menus les régalaient, qu’ils s’en inspiraient et sollicitaient quelques recettes. Puis plus rien, même pas un petit salut rapide, finis les vœux du nouvel an… le vieux avait tout donné, il n’y avait plus qu’à le laisser s’effacer avec son île et aller chercher pitance ailleurs.

……….

Laisser s’effacer…
……….

Que ferais-je encore dans ce monde où on confond force et brutalité, où on se congratule à tout-va, où on se donne du Sensei parce que, en se bardant d’anglicismes (mal compris…), on décrit des cercles à 4 côtés... ?

Alors, je jette des bouteilles à la mer. Ils sont encore nombreux, quelques dizaines par jour, ceux qui les ramassent, lisent le message qu’elles contiennent et puis les rejettent. Sans un mot...

Il me semble avoir tout oublié, Aïkibudo, Katori. Ne me restent plus que quelques vagues souvenirs de ce Jiu-jitsu que j'avais pratiqué en 1960. C'est peu ! Et je n’ai même plus envie d’écrire. Pour quoi raconter ?