• Yoseikan Shinto Ryu

     

    Ça s’est passé à la fin du mois de juillet 1972. Je venais de diriger mon tout premier stage international d’Aïkido Yoseikan, du 17 au 22 juillet, avec une trentaine de stagiaires français, belges et néerlandais. Cette seconde semaine se déroulait sous la direction d’Alain Floquet.

    Au cours d’une pause, le Maître me pria de prendre mon Bokken et nous nous installâmes à genoux, face à face. Mes connaissances dans l’utilisation du sabre de bois se limitaient au Ken no Kata et à un vague « Ken Jutsu » issu des souvenirs approximatifs de Hiroo Mochizuki en ce qui concernait Itsutsu no Tachi... J’avais déjà vu une superbe démonstration de Iai par Hiroo à Royan en 1969. En déchiffrant les jolies photos de son beau livre « Arts Martiaux Traditionnels », j’avais essayé de retrouver les différents Ipponme, Nihonme... Mais ce n’était guère convaincant…

    Yoseikan Shinto Ryu
    Le soir, après l'entraînement... Il y a plus de 40 ans, les photos sont rares.

    Nous nous sommes donc mis à enchaîner des phases qui me semblaient plus compliquées les unes que les autres et qui mettaient ma mémoire à rude épreuve. Nous avons dû ainsi répéter quatre ou cinq enchaînements que je fus incapable de me rappeler par la suite, faute de partenaire...

    En 1975, j’ouvris mon « cours du samedi » dédié, à l’époque, au Kobudo. Notre programme s’était peu à peu enrichi d’éléments du Katori Shinto Ryu. Itsutsu no Tachi, un peu de Iai Jutsu et de Bo Jutsu s’invitèrent au menu des cours.

    C’est à cette époque que je rapportai d’un stage un Kata de Iai Jutsu en Kumitachi. Les deux partenaires se plaçaient à trois tatamis de distance, le premier, le bon, à genoux, l’autre, le méchant, debout. Le méchant dégainait puis montait en Jodan... Il avançait et s’apprêtait à attaquer en Shomen Uchi mais le bon le stoppait en le menaçant d’un Tsuki puis baissait sa garde pour créer une ouverture... Mais oui, vous avez reconnu Rokkajo, la version Yoseikan de Happoken...

    Le Iai Jutsu du Yoseikan Shinto Ryu fit donc très tôt partie de mon environnement. Et pourtant je le délaissai pour me consacrer au Katori Shinto Ryu après notre rencontre avec Sugino Sensei. Le sens de cette étude m’avait échappé, le programme de l’Aïkibudo me paraissait avoir souffert d’une inflation considérable et il me semblait que les deux formes de Kobudo ne pouvaient pas cohabiter dans le même environnement. J’avais été séduit par la personnalité de Sugino Sensei et je ressentais l’influence considérable que son Art avait eue dans l’aboutissement de la forme actuelle de l’Aïkibudo.

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    Les aléas de l’existence ont fait que j’abandonnai peu à peu la pratique du Kobudo. Répéter sempiternellement les mêmes enchaînements, constater la mécanisation, la robotisation des petits Musashi Schtroumpfs qui m’entouraient avait fini par m’exaspérer et après avoir asséné quelques solides coups de mon cher bokken sur des poignets mal protégés ou sur des crânes trop penchés, je le remisai définitivement dans son étui...

    Il revit la lumière en 2005, quand je revins au Temple sur Lot. À mon grand effarement, je constatai que j’avais tout oublié. Je tentai de me remettre peu à peu à niveau en Ken Jutsu. L’année suivante, notre Maître entreprit de nous faire progresser en Iai Yoseikan. Ce fut un très bizarre mixage de découvertes et de redécouvertes. J’avais connu ces enchaînements et je les avais occultés. Je les découvrais pour la première fois et je savais que je les connaissais... J’étais pris de boulimie et je n’y gagnai en fait qu’une tendinite persistante au genou droit !

    Temple 2009. Pendant la première semaine, le cours de Kobudo fut consacré par le Maître à l’enseignement... du Yoseikan Shinto Ryu. Et pas de demi-mesure, il était question d’avoir une connaissance décente de l’ensemble du Iai Jutsu de Mochizuki Sensei à la fin de la semaine. À raison de 6 heures par jour, ce n’était pas un défi hors de notre portée. Oui, vous avez bien lu 6 heures par jour, en cumulant les cours du Maître et nos entraînements « privés » !

    La gourmandise put laisser place à la découverte des sensations et à la perception du lien étroit que cette forme de travail présente avec notre Art de l’Aïkibudo.

    Les 3 sensations sont présentées tel un livre ouvert à notre corps tout autant qu’à notre intellect.

    Ikkajo (Kusanagi no Ken) : nous sommes aux limites de Sen no Sen. Shidachi perçoit l’intention d’attaquer de Ukedachi. Il dégaine dès que ce dernier pose la main sur la tsuka de son Katana.

    Nikkajo (Nuki Tsuke no Ken) : c’est le Tai no Sen par excellence. Shidachi attaque quand Ukedachi a commencé à dégainer.

    Sankajo (Nuki Uchi no Ken) : c’est l’exacte sensation de Go no Sen. Shidachi est en retard, Ukedachi a déjà attaqué quand il entame sa riposte.

    Les autres katas développent les sensations de façon plus sophistiquée en offrant la réalisation d’enchaînements souples et fluides.

    Maître Floquet rappelle que la connaissance des techniques ne suffit pas. Le pratiquant doit être animé d’une réelle force intérieure pour atteindre l’efficacité. Beaucoup de pratiquants souffrent d’une méconnaissance des bases. Étudier un programme avancé sans posséder la compréhension de ces bases n’apporte rien dans la progression de l’individu, sinon un plaisir éphémère... Si c’est le but recherché...

    On a pu lire que le Yoseikan Shinto Ryu, ça n’existe pas... Alors pourquoi ce titre et son emploi à plusieurs reprises dans ce texte ?

    En fait, quand Mochizuki Sensei a signé son diplôme de 5e dan de Iai Jutsu à Alain Floquet, il a spécifié « Iai Jutsu du Yoseikan Shinto Ryu ». Maître Floquet a donc conservé cette appellation par respect pour la mémoire du grand Maître.

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    Mochizuki Minoru étudia le Katori Shinto Ryu à la demande de Jigoro Kano. Son maître d’armes lui aurait dit : « Cherche et tu trouveras... »

    C'était un homme pragmatique, rationnel. Il écrivit dans une lettre, en octobre 1993 : « Je me suis mis à remarquer que l’esprit du Katori Shinto Ryu était loin de celui de vivre ou de mourir, c’est-à-dire, il y avait une distance entre cette discipline et l’idéal des Arts Martiaux. »

    La pratique solitaire du Iai Jutsu ne lui convenait pas. Il le réinterpréta en Kumitachi, recherchant les sensations, l’efficacité. C’est ainsi que ses techniques purent sembler s’éloigner peu ou prou des formes qu’il avait étudiées.

    C’est ainsi qu’il mit à notre disposition un merveilleux outil, un autre regard sur l’Art historique du Katori Shinto Ryu.

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    Yoseikan Shinto Ryu

    A.照り絵 / 七段 教士 FIAB

     

     

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