• Verticalité

     

    En feuilletant un petit bouquin poussièreux retrouvé tout en haut de ma bibliothèque, je me suis arrêté sur une image qui a connu son heure de célébrité il y a une vingtaine d'années.

    Deux personnages sont figés dans une pose a priori inconfortable.Tori semble avoir l'intention de charger sur son dos Uke qui paraît bien passif.

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    Difficile de savoir qui a attaqué l’autre... le plus vraisemblable serait que Tori soit l’agresseur.

    Tori : il est de guingois et s’il a vraiment l’intention de soulever Uke, il est évident qu’il ne peut y parvenir car il a perdu sa verticalité. Sa main gauche s'agrippe à la manche du kimono de son partenaire qu’il déshabille plutôt qu’il ne le contrôle.

    Uke : il semble plutôt indifférent à ce qui se passe, il ne manifeste guère d'intention de réagir...

    On peut se demander pourquoi il reste bras ballant alors qu’il lui serait possible de se dégager de multiples façons :

    -       la plus visible : utiliser son bras libre pour encercler la tête de Tori, lui placer les doigts dans les yeux, dans le nez, lui tirer une oreille...

    -      la plus évidente : effectuer Nagashi en tirant son bras droit hors de la manche du kimono. L’accompagner d’une simple action de sa main libre sur l’épaule ferait tomber Tori sur le dos.

    -      le petit plus : un coup de pied dans le creux poplité gauche.

    Notre Maître fondateur dit : « L’Aïkibudo, c’est le mouvement ». Un concept essentiel de son Art est le maintien de la verticalité. Une pratique réaliste implique la mise en sécurité de soi-même.

    Cette photo résumerait tout ce qu’il ne faut pas faire !

    De quelle technique s’agit-il donc là ?

     

    Ce petit bouquin aurait dû rester anecdotique, il eut pourtant un certain succès dans notre petit monde... Peut-être la référence à l’Aïkijutsu et l’espoir de découvrir des techniques secrètes ?

    En fait, il ne résistait pas à une rapide analyse : toutes les techniques semblent présentées en Chika Ma et, curieusement, c’est celui qui saisit qui porte la technique... Comme dans cette vidéo « Aïkido self defense », du même auteur :

    où  il ne se préoccupe guère de la verticalité.

    Qu’est-ce qui a tant intéressé les jeunes pratiquants de cette époque ? Une légende : Yama Arashi, la Tempête dans la montagne.

    Cette technique appartient à la légende du Judo. C’est grâce à elle que le petit Shiro Saïgo, le « chat du Kodokan », a vaincu Entaro Koshi le « démon de l'école Tokuza ».

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    Shiro Saïgo

    La voici démontrée par Kyuzo Mifune :

    Elle n’est plus pratiquée qu’à titre anecdotique, ce qui fait qu’elle a été peu ou prou oubliée. Elle ne figurait pas dans la pléthorique « méthode Kawaishi » par contre je l’ai retrouvée dans mon vieux « Manuel pratique de Judo » de Robert Lasserre :

    yama-arashi1.jpg

    Les lignes directionnelles montrent bien le respect de la verticalité. « Voyons, Sensei André, l’axe est oblique... – Il me semble, Petit Scarabée, que tu ne connais pas le principe du gyroscope ? Regarde bien : 

    gyro

    Il ne perd pas sa verticalité, il la transfère dans son plan de rotation.

    Sutemi-3.jpg

    Dans cet éducatif, Guillaume, comme le gyroscope, transfère sa verticalité sans briser son axe.

    « Pour ma part, j'avais surtout été impressionné par la pratique de Yoshio Sugino Sensei, lors de sa première visite en France. Malgré son âge avancé, il avait une facilité étonnante de se déplacer tout en conservant une fluidité dans ses gestes et une verticalité dans sa stature, le tout dans la maîtrise de l'instant, j'ai tout de suite compris l'importance que pouvait représenter l'étude du Katori pour la pratique Aïkibudo. » se rappelle Daniel Dubreuil.
    Le respect de la verticalité est un des principes de l’Aïkibudo. On retrouve ce principe du transfert de la verticalité dans l'art du Sutemi... sinon on s’assoit ! 

    Revenons à Yama Arashi tel qu’il est démontré dans ce petit manuel d'Aikijutsu :

      

    Verticalité

    Il est porté en Chika Ma, les 2 adversaires sont en Kumi Kata, comme pour un Randori de Judo. Dans le 2ème temps, Tori fait la « brouette », pratique de blocage en Judo. Il entre en cassant son axe, agrippé à la manche du kimono de Uke.

    En fait, il pourrait s'agir d'une vague interprétation de Seoi Otoshi, présenté dans les vieux manuels de Kawaishi et Lasserre :

    Verticalité

    Cette technique, rebaptisée d'un nom mythique, a pu séduire des pratiquants débutants. Il ne faudrait pas que ce type d'image, fixe ou vidéo, crée des foyers de pollution dans notre École, que ce soit par la régression de la « forme de corps » ou par la reproduction de cette image jusqu'à la caricature !

    En effet, nombre de nos jeunes pratiquants n'ont qu'une connaissance superficielle de notre histoire et de notre technique. Voyez donc tous ces liens proposés sur Facebook, ciblant vers du « tape-à-l’œil »… Des personnages parfois hostiles à notre École, des séquences de techniques douteuses, l'Internet est un gigantesque bazar où on peut se procurer... le pire ! On y parle d'Aïkibudo Yoseikan, d'Aïkibudo vietnamien... Notre Art n'étant pas une marque déposée, n'importe qui peut s'attribuer son nom.

    Jeunes gens (pour moi, quadras ou quinquas sont encore des jeunes gens !), de France, de Belgique, du Québec et d’ailleurs, si heureux de partager votre émerveillement devant une vidéo piochée sur Youtube ou ailleurs, avant de mettre un lien en ligne, exercez votre sens critique, ne vous laissez pas éblouir par les paillettes, par l’esbroufe :

    -      Uke est-il sincère dans ses attaques ?

    -      Tori s'insère-t-il dans la dynamique de l'attaque pour la canaliser ?

    -      Se met-il en sécurité ?

    -      Respecte-t-il sa verticalité ?

    -      S'il projette en Sutemi, a-t-il tendance à s'asseoir ?

    -      Le mouvement  vous semble-t-il fluide, réaliste, esthétique ?

    -      Le nom de l'École vous paraît-il « historique » ?

    N'hésitez pas à consulter un Kodansha, censé connaître notre histoire, susceptible de connaître le personnage auquel vous vous apprêtez à offrir une publicité peut-être injustifiée : l’information numérique se répand rapidement, de façon incontrôlable.

    Du fait de notre petit nombre, de notre exigence, de notre proximité avec le Sensei, nous sommes bel et bien une École Traditionnelle. Tout ce que vous présentez en tant que pratiquant de l'Aïkibudo, démonstrations, écrits, affiches, liens... implique l'ensemble des pratiquants de l'École, engage le Sensei. Par maladresse ou par ignorance, il est facile de causer du tort à l'École et au Maître fondateur.

    Catherine Gaillet (psychothérapeute) : Notre verticalité ne nous quitte jamais, nous la transportons avec nous tout le temps. Quand vous vous mettez debout, vous le faites avec toute votre histoire. Tout ce qui vous est arrivé, toutes les tensions, les choses difficiles, affectives, aussi bien que les ouvertures, la créativité, tout ce qui a traversé votre corps sont là, avec vous, au zénith de vous-même. C’est obligatoire.

    Un soufi : La verticalité ouvre le champ de la spiritualité, de la hauteur, du recul, la Voie... Prendre le chemin de la verticalité, c’est aussi « creuser » en soi...

     

    Ne te plains pas de l’obscurité. Deviens une petite lumière. (Li Van Pho philosophe chinois du 3ème siècle)

    Verticalité

    A.照り絵

     

    Nous sommes en deuil. Masamichi Noro Sensei, fondateur du Ki no Michi, nous a quittés vendredi 15 mars. Il avait 78 ans.

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