• Un passage de grades ordinaire

     

    Un passage de grades ordinaire

    Il y a deux choses que l'expérience doit apprendre : la première, c'est qu'il faut beaucoup corriger ; la seconde, c'est qu'il ne faut pas trop corriger. (Eugène Delacroix)

     « L'attribution d'un grade est un pari : la foi en la volonté de l'être humain de chercher sans cesse à s'améliorer. Pari réussi : on voit une sublimation s'opérer. Le dépositaire, mû par une force nouvelle, consciente ou non, travaille de sorte qu'il en devienne digne. Pari raté, grade remis à une personne indigne, le processus inverse s'opère : vanité, rengorgement, mépris envers le professeur, refus de pratiquer les techniques "inférieures" ou "anciennes", détérioration du style, aigreur, marginalisation, abandon...
    Ainsi avons-nous perdu des pratiquants, qu'ils soient titulaires du 1er dan ou de grades plus élevés. Vaincus par leurs certitudes, confondant le Hakama et la personne qui le revêt, ils ont fini par succomber à la confrontation à leurs propres manques.
    Chacun d’entre nous est menacé, un jour ou l’autre, d’atteindre son propre niveau d’incompétence.
    Jusqu'au 1er kyu, l’élève est à l’école primaire. Guidé par un maître attentif, il apprend à vivre avec les autres, puis étudie les bases des disciplines et de l’expression, ce que j’appellerai lire-écrire-compter.... Le 2ème dan correspond au baccalauréat, on peut entrer dans la vie active, ouvrir un club après avoir obtenu le précieux BEES 1er degré. Mais tout reste à apprendre. Le 3ème dan, c’est la licence, le BTS. Il se passe devant un jury national. On est reconnu disposant de connaissances solides et d’une expérience intéressante. On se destine à des responsabilités régionales. Le rôle d’enseignant est alors évident. Toutefois, il reste encore tant à apprendre : maîtrise, doctorat, recherche… En se servant toujours des outils élémentaires que sont lire, écrire et compter ! » (extrait de À propos des grades novembre 2006)

     

    Il faut être ambitieux, mais il ne faut pas se tromper d'ambition. (Jacques de Bourbon Busset)

    Ce dimanche 11 juin 2016, 11 candidats, dont 9 au 3e dan, se sont présentés au Dojo de Vanves devant leur jury, l’un présidé par Sensei Roinel, l’autre par mon humble personne. Il y a bien longtemps que je n’avais présidé un jury pour le 3e dan. Depuis quelques années, j’avais vu passer des candidats au 5e dan, voire au 6e, dont le passage du 3e dan, comme celui de mes 2 assesseurs, devait remonter à plus de 20 ans. Quant au mien, il remonte à 1973 et c’est une tout autre histoire, vécue en pleine guerre des Aïki, que je raconterai peut-être un jour.
    Mes assesseurs sont d’excellents techniciens, riches de décennies de pratique. Se rappellent-ils leur niveau, quand ils ont passé leur 3e dan ? La mémoire est versatile, évanescente. Ils ont des exigences à leur niveau de pratique et mon rôle est d’apporter la modération dans le jugement, de rappeler à quel niveau on se situe quand on est à la porte des grades nationaux.
    Elles sont 3 Normandes venues se présenter, soigneusement préparées, qui ont consacré loisirs et énergie à leur club et à leur région. Notre Art manque de représentation féminine, plus encore de hauts grades. Nous devons encourager ces personnes dévouées à leur club et à leur région en reconnaissant leur talent.
    Béatrice, à 65 ans, aurait pu bénéficier d’une demande de grade sur dossier, elle a préféré se préparer sous la férule de son vieux copain Dédé et passer avec de jeunes candidats, elle a obtenu un VRAI 3e dan, dont elle peut être fière : connaissez-vous beaucoup de personnes qui se sont risquées à se présenter à un examen national avec des candidats plus jeunes qu’elles de 20 ans et plus ?

    Un passage de grades ordinaire


    Mélanie m’a dit : « Je me sens soulagée maintenant même si je ne suis pas satisfaite de ce que j'ai montré. »... Cette bonne blague, il faudrait être bien prétentieux pour se montrer satisfait de sa prestation à un passage de grade, surtout au premier grade national ! On perd 50% de ses moyens en montant sur le Tatami, on en perd encore 25% sous le regard « sévère » des membres du Jury qu’un Président bienveillant s’efforce de modérer.

    Un passage de grades ordinaire

     

    Le doute est l'école de la vérité. (Francis Bacon)

    Tout le travail d’un juge expérimenté est de percevoir à travers les balbutiements d’un candidat hésitant et maladroit les réelles compétences qu’il affirme dans un contexte détendu. Je n’ai jamais supporté qu’on m’observe en activité, que ce soit un inspecteur dans ma classe ou not’ bon Sensei quand il me confiait un groupe pendant les stages. Je suis alors figé par le doute, je me retrouve en situation d’examen. J’aurais dû écrire au passé parce que j’ai dépassé cette émotivité depuis longtemps mais je crois bien ressentir devant les hésitations d’un candidat déstabilisé ce qu’il est réellement capable d’offrir et si il dispose d’une belle marge de progrès.
    Car, l’examen réussi, le grade acquis, il ne reste plus qu’à le mériter. J’ai dit à mes 2 très exigeants et critiques assesseurs que nous faisions un pari : il est rarissime qu’un candidat nous fasse vibrer, la quasi-totalité des candidats s’efforce de bien faire et peine à garder le visage hors de l’eau mais je fais le pari qu’ils auront pris conscience de leurs lacunes, de leurs faiblesses, de leurs nouvelles responsabilités et qu’ils vont passer les prochaines années à se mettre au niveau.

     

    On ne peut pas être différent tout seul. (Jean-François Revel)

    Ne vous y trompez pas, si le candidat éprouve un soulagement à l’énoncé des résultats, le professeur, qui a dispensé son savoir, donné son affection, consacré beaucoup de temps à faire germer de petites graines, éprouve un infini bonheur à voir les jeunes pousses s’épanouir. Il faudra consacrer encore beaucoup de temps pour les porter à maturité mais c’est la vie qui continue.
    Qu’est-ce qui pousse un très vieux Maître à persévérer, à monter régulièrement sur le Tatami malgré ses déficiences physiques pour dispenser un enseignement pas forcément orthodoxe ni formel ? Pas de ficelles à tirer, pas de pouvoir à maintenir...
    Ce n’est que pour le bonheur éprouvé à partager, à transmettre, à faire évoluer, à guider sur la Voie de l’autonomie. Par la force des choses, le Vieux Sensei a été très tôt autonome, avec la charge de créer puis d’animer une région dès l’obtention d’un très médiocre 1er dan... C’était le temps des pionniers, du premier cercle comme m’a dit un correspondant. Ce sentiment de responsabilité ne s’est pas éteint ni même amenuisé depuis un demi siècle. Chaque nouvelle génération de jeunes gens nous fait nous sentir assez « jeunes » pour entretenir dans notre cœur ce grain de folie qui fait continuer à vivre l'extraordinaire aventure de l’Aïkibudo.
    Dans 5 ans, j’aurai, si je suis encore de ce monde, 80 balais au compteur ! J’espère bien ne pas être encore trop décrépit et continuer à assurer mes 2 cours mensuels, sans « ficelle à tirer », pour avoir le plaisir de leur dire, avec un sourire en coin : « Je vais vous présenter au 4e dan ! » et de
    connaître l’immense bonheur de les voir accéder à un grade si élevé...

     

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    6e dan 2F3A 1991

    7e dan FIAB 2011

    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

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    Oublie tes peines et pense à aimer

    あなたの悩みを忘れて、愛について考える 

    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    mort-de-rire

     

     

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