• Thélème

     

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     Ci n'entrez pas, hypocrites, bigots,
    Vieux matagots, souffreteux bien enflés,
    Torcols, idiots plus que n'étaient les Goths
    Ou les Ostrogoths, précurseurs des magots,
    Porteurs de haires, cagots, cafards empantouflés.
    Gueux emmitouflés, frappards écorniflés,
    Bafoués, enflés, qui allumez les fureurs;
    Filez ailleurs vendre vos erreurs.


    Ces erreurs de méchants
    Empliraient mes champs
    De méchanceté
    Et par fausseté
    Troubleraient mes chants,
    Ces erreurs de méchants.


    Ci n'entrez pas, juristes mâchefoins,
    Clercs, basochiens, qui le peuple mangez,
    Juges d'officialité, scribes et pharisiens,
    Juges anciens qui les bons paroissiens
    Ainsi que des chiens jetez au charnier;
    Votre salaire est au gibet.
    Allez-y braire; ici on ne fait nul excès
    Qui puisse en vos cours susciter un procès.


    Pour procès et débats,
    Il n'y a guère de lieu d'ébat
    Ici où l'on vient s'ébattre
    Pour votre soûl débattre,
    Puissiez-vous avoir plein cabas
    De procès et débats.

    ...

    Ci entrez, et soyez bienvenus,
    Bien réussis, vous tous, nobles chevaliers.
    C'est ici le lieu où les revenus
    Sont bien reçus pour qu'entretenus
    Grands et peuple menu, vous soyez par milliers.
    Vous serez mes intimes et mes familiers:
    Gaillards et délurés, joyeux, plaisants, mignons,
    Tous de la classe des gentils compagnons.

     
    Compagnons gentils,
    Sereins et subtils,
    Sans nulle bassesse,
    De délicatesse,
    Voici les outils,
    Compagnons gentils.

    ...

    Ci entrez, vous, dames de haut parage,
    Sans ambages, entrez sous d'heureux présages,
    Fleurs de beauté au céleste visage,
    Sveltes comme pages, au maintien pudique et sage.
    Faire séjour ici est gage d'honneur.
    Le grand seigneur qui fut du lieu donateur
    Et dispensateur, a pour vous tout ordonné
    Et a, pour parer à tout, beaucoup d'or donné.


    Or donné par don
    Ordonne pardon
    A qui le dispense.
    Et c'est haute récompense,
    Pour tout homme de droit sens
    Qu'or donné par don.

     
    (Extrait de l’inscription mise sur la grande porte de Thélème)

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    Afin de récompenser Frère Jean des Entommeures de ses exploits lors de la guerre contre Picrochole, le géant Gargantua lui offre de fonder une abbaye qui soit « au contraire de toute autre », l’abbaye de Thélème, c’est-à-dire une abbaye nommée « Désir » selon l’étymologie grecque. Cet édifice accueille ses pensionnaires selon des règles particulières.

     

    Toute leur vie était dirigée non par les lois, statuts ou règles, mais selon leur bon vouloir et libre-arbitre. Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire quoi que ce soit... Ainsi l'avait établi Gargantua. Toute leur règle tenait en cette clause :

     

    FAIS CE QUE VOUDRAS,

     

    car des gens libres, bien nés, biens instruits, vivant en honnête compagnie, ont par nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et retire du vice; c'est ce qu'ils nommaient l'honneur...

    L'abbaye de Thélème est la première utopie de la littérature française, décrite par Rabelais au chapitre LVII de son Gargantua (première publication en 1534). À la fin de la guerre picrocholine, Gargantua remercie son ami, le frère Jean des Entommeures, de l'avoir aidé dans sa lutte contre Picrochole, en lui offrant de lui bâtir une abbaye. Le frère Jean refuse d'abord, « Car comment pourrais-je, dit-il, gouverner autrui, qui moi-même gouverner ne saurais ? ». Puis il accepte, mais la règle du lieu sera l'inverse de ce que connaissent les abbayes de l'époque, dont les moines sont soumis à l'obéissance à une discipline et à une hiérarchie. La devise de l'abbaye est : « Fais ce que voudras ». Elle affirme le principe de la volonté personnelle contre l'obéissance passive.

    Rabelais postule qu'une société sans contrainte et sans conflits est possible dès lors qu'on laisse s'exprimer la nature foncièrement bonne de l'humain. Les résidents de Thélème ont par nature le sens de l'honneur et de la responsabilité.

    Pour arriver à ce résultat, Rabelais souligne l'importance de l'éducation : les résidents de Thélème sont nourris de connaissances dans des domaines étendus, lisent, écrivent, parlent cinq ou six langues, savent jouer de différents instruments de musique, etc.

    Thélème rappelle donc l'importance de l'éducation pour l'évolution de l'homme et de la société: une éducation ouverte et diversifiée, permettant l'affirmation de soi. Mais une telle éducation n'est pas accessible à tous, à l'époque où Rabelais écrit. Comme dans beaucoup d'utopies, la vie à Thélème est, de fait, réservée à une élite.

    Thélème est donc le nom d’une abbaye nommée désir ou bonne volonté. Le nom est un emprunt à l’adjectif grec thelemós, qui s’applique à un fleuve, paisible et tranquille, à un lieu de repos et de répit, à mille lieues des quartiers querelleurs de Pichrocole.

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    Ce fleuve paisible et tranquille me fait penser à celui qui coule entre les 2 berges, Katori Shinto Ryu et Daïto Ryu...

    Et l’Inscription mise sur la grande porte de Thélème me paraît fort pertinente, ne mériterait-elle pas d’être affichée à la porte de nos clubs ?

    Ainsi, donc, FAITES CE QUE VOUDREZ, comme je l’ai fait ici en m’autorisant à proposer plusieurs étymologies puisées à autant de sources, mais autorisez-moi, au besoin, à en rire, comme je n’hésite pas à le faire de mes propres égarements...

     

    Si vous souhaitez lire le texte intégral original :

    Voir le Fichier : Inscription_mise_sur_la_grande_porte_de_Theleme.pdf

     

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