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    Mon premier souvenir d’un chien à la maison doit remonter à 1945, 1946… Peut-être s’appelait-il Kiki. Ou Mickey. Je me rappelais une sorte de loulou blanc, attaché toute la journée, tout au fond de la cour, à sa niche près d’un grand arbre. Nous allions le voir de temps en temps, il devait être très gentil. Et puis j’ai retrouvé de vieilles photos où il apparaît, quelque peu différent physiquement de ce que je me rappelais et en promenade avec nous.

    Heureux comme un chien chez les Tellier

    À la même époque, je me rappelle Tony, le très beau cocker marron et blanc de mes grands-parents. Toujours libre, il allait souvent dans la forêt et ramenait des lapins qu’il déposait sur le seuil de la maison, exposant ses maîtres à la vindicte des gendarmes habituellement peu aimables avec les pauvres.
    Chez une tante, c’était Follette, elle aussi un très beau cocker, du même type que Tony. Elle montait à l’échelle et, quand elle était arrivée dans le grenier, elle appelait pour qu’on la redescende.
    Tony partit en expédition à travers la forêt, alla rejoindre Follette et ils eurent des petits. J’avais 7 ou 8 ans, je voulais un chien à moi, nous sommes allés chez la tante choisir Lucky, tellement petit que nous l’avons ramené dans une boite à sucre ! Mon père lui installa une niche avec une chaîne, tout près de la maison mais il n'y passa guère de temps, on découvrait que les chiens peuvent être libres..
    Il vécut 15 ans, à la fin ce n’était plus tout à fait mon chien, j’étais parti de la maison pour suivre mes études puis j’ai eu un poste près de Rouen avant de partir faire le zouave en Algérie.

    Heureux comme un chien chez les Tellier

    Je devais avoir 10 ans quand, pendant les grandes vacances, une jeune Anglaise vint chez sa correspondante qui habitait à l’école des filles, en face de chez moi. J’étais leur chouchou. L’Anglaise me demanda comment s’appelait mon chien, Je lui dis : « Louki, l.u.c.k.y. ». Elle me répondit que ça se prononçait « Leuckè ». Je lui répondis qu’elle n’y connaissait rien et je méditai une vengeance qui survint sous forme d’un bocal dans lequel j’élevais des araignées (!), ce qui lui provoqua une grande frayeur. Elle ne m’en voulut pas mais continua à appeler mon chien Leuckè.

    Heureux comme un chien chez les Tellier

    Comme son père Tony, Lucky était un cavaleur. Il était connu à 5 kilomètres à la ronde, il devait avoir fait des petits dans tous les hameaux de la région. Nous avons quitté le petit village de Foucarmont pour habiter à Blangy sur Bresle, une grande bourgade où Lucky connut bientôt toutes les rues et... toutes les chiennes.
    C'était la récré, au cours complémentaire où je me trouvais en 3ème. En face de la barrière où garçons et filles venaient flirter se trouvait un baraquement (c'était après la guerre, au début des années 50 et la petite ville, quasiment rasée par les bombardements, était encore loin d'être reconstruite) qui hébergeait une boucherie qui était gardée par une femelle berger allemand, enchaînée à sa niche, près d'une petite butte de terre. La chienne était en état d'attirer les mâles, donc Lucky. Dilemme : Lucky est un peu trop petit... La chienne s'approche de la butte sur laquelle Lucky monte et... Mes condisciples m'interpellent :
         « Ce n'est pas ton chien ?
         - Non, bien sûr que non ! Ce n'est pas lui !
         - Pourtant, il lui ressemble vraiment..
    Je me sentais un peu honteux, nous pouvions être pudibonds à cette époque.
    C’est fin 1967 que j’ai enfin pu adopter mon premier chien à moi, Pollux, petit cocker blond qui arriva chez nous un peu avant notre petite fille née le 6 janvier 1968. Il passa sa première nuit près du lit, dans un carton garni d'une serviette pliée en quatre et posé sur des feuilles de papier journal. En fait, il dormait dans ma main car le lit était bas. Au cours de la nuit, j'ai entendu le bruit d'un pipi sur le papier. Ce fut la dernière fois qu'il fit pipi dans la maison, dès le lendemain, il avait compris que c'était mieux dehors. Il ne commit jamais la moindre bêtise.
    Je l'emmenais en promenade dans une poche de mon manteau. Et quand j'allais à Rouen, je l'installais dans l'encolure d'où je laissais passer son adorable petite tête et je laissais les jolies personnes que je croisais faire une caresse au si mignon petit chiot.
    Avec une bouteille de Porter, je lui avais fabriqué un biberon qu’il tétait quand notre petite fille tétait le sien.
    Il nous suivait partout, y compris 2 soirs par semaine à Malaunay où je donnais mon cours  d'Aïkido Yoseikan. Il se plaçait à côté de moi au moment du salut puis quand commençait l'échauffement au sol, il passait dans les rangs et chaque élève avait droit à son coup de langue.
    Quand il eut 10 ans, nous avons adopté Walter, encore un cocker blond, massif, moustachu qui devait être pendu parce que sa maîtresse venait de décéder ! Il mena la vie dure à Pollux qui, du coup, retrouva pas mal d’énergie. Il mourut 2 ans plus tard, victime de sévères problèmes rénaux. Quant à Pollux, il vécut 18 ans. Probablement victime d’un AVC, il décrivait constamment de grands cercles si bien qu’il tomba dans la rivière où il se noya.

    Heureux comme un chien chez les Tellier Heureux comme un chien chez les Tellier

    Nous sommes restés quelques années sans chien, nous avons attendu d’avoir la place et le temps de nous en occuper. À l’âge de la retraite, nous nous sommes installés en lisière de la forêt d’Eawy, sur un terrain de 3 hectares !
    Notre amie Corinne avait récupéré 7 chiens abandonnés. Nous avions promis de lui en prendre un quand nous aurions la place. Nous avons donc adopté Gamine, croisée labrit des Pyrénées, âgée de 8 ans puis Hugo, un bon gros labrador blond, plus ou moins le même âge.

    Heureux comme un chien chez les Tellier

    Gamine, qui avait été récupérée dans un refuge à Bayonne, était un amour de chienne, très intelligente, elle avait dû être éduquée comme gardienne de troupeaux et connaissait une foultitude de mots : « avance, recule, devant, derrière, à droite, à gauche... » mais elle était sale, elle avait vécu pendant quelques années dans un haras et puait le crottin. Elle commença sa vie chez nous sous la douche. Nous sommes retournés avec elle au haras où on l'a regardée d’un air étonné : « On dirait Gamine… Elle a quelque chose de changé… Elle est propre ! ». D’une vivacité exceptionnelle, championne incontestée de la réception des balles de tennis, elle était avant tout gardienne de troupeaux, elle exigeait l’ordre, il fallait que chacun soit à sa place. La première fois que nous l’avions emmenée en forêt, elle avait tenté de nous ramener une harde de chevreuils !
    Hugo avait été adopté à l’occasion d’une émission de 30 millions d’amis. Il me fit découvrir et aimer les labradors. Quel adorable toutou ! Par contre, il ne résistait pas au plaisir de se vautrer dans les flaques de boue. Au retour de nos promenades, nous nous arrêtions au bord de la rivière et, avec Gamine, il plongeait, nageait, remontait sur la berge, plongeait… Notre cher Hugo mourut brutalement d’une hémorragie interne due à un cancer du foie.
    Corinne nous avait invités à dîner, un soir de la mi-février 2002. À la fin du repas, elle m’a dit : « Attends, j’ai une surprise pour toi. » et elle m’a déposé dans les bras un amour de boule de poils noirs et roux. « Prends-la à l’essai, si elle ne te convient pas, je te la reprends ! ». Comme si c’était un meuble...
    J’ai regardé la petite peluche toute pelotonnée contre moi et je lui ai murmuré : « Je t’adopte et je te promets de toujours te protéger. »
    C’était un gros bébé berger allemand, craintif. Éloignée trop tôt de sa mère, elle n’avait pas encore deux mois et... il lui manquait l’essentiel de l’éducation que tout chiot bien élevé reçoit d’une mère attentionnée...

    Betty

    Une part de cette éducation fut prise en charge par Gamine. Notre immense terrain de 3 hectares, au bord de la forêt, était sans clôtures. Elle apprit à sa petite élève les limites de son territoire.

    Betty

     Il fallut donner un nom à notre petite « fille adoptive ». J’avais pensé à Sissi mais aurait-elle compris « assis Sissi » ou « ici Sissi » ? C’est probablement en pensant à la pétulante Betty Boop que nous avons choisi de la baptiser Betty.
    Elle avait tout à apprendre, c’était une petite boule d’agressivité. J’avais tout le temps nécessaire pour l’éduquer. J'étais souvent à côté d'elle, assis ou même à quatre pattes. Si elle me mordait, je lui mordais l’oreille. Si elle avait tendance à se rebeller, à chercher à dominer, je la roulais sur le dos et je caressais son petit ventre tout doux et rebondi. Au moment des repas, Gamine lui montrait les dents et elle n’osait pas s’approcher de sa gamelle alors je me mettais entre les deux et lui donnai ses croquettes à la main.
    Elle me suivait comme mon ombre et sut vite répondre à son nom. À la moindre alerte, elle se réfugiait entre mes jambes. Mais c’était un tout petit bébé. Quand elle me suivait jusqu’à la boîte à lettres, elle s’endormait en route et je la ramenais dans mes bras.
    Elle n’était jamais attachée et fit ses premières sorties en forêt en toute liberté. Pour lui apprendre à rester près de nous, dès qu’elle s’éloignait un peu trop, nous nous cachions derrière un arbre. Affolée, elle revenait en courant à notre recherche. Elle manifestait sa joie dès qu’elle nous avait retrouvés. Elle nous chercha d’abord à vue puis elle apprit à se servir de son odorat.

    Betty

     Elle n’avait qu’un an quand je pus commencer à l’emmener en forêt à l’aube, pour surprendre cerfs et chevreuils. Elle était tentée de se lancer dans de folles poursuites mais il suffisait que je murmure « Non ! » pour qu’elle s’arrête sur place et s’asseye...
    Son vocabulaire s’étendit, notamment en ce qui concernait ses jouets favoris. Elle comprit très vite balle, ballon, bâton...
    Elle jouait auprès d’un petit tabouret en bois. Elle s’était emparée de 2 ramequins en verre. Elle les disposait sur le tabouret, les faisait tomber sur la moquette, les reposait sur le tabouret jusqu’à ce qu’elle s’asseye, satisfaite : elle les avait posés l’un sur l’autre comme un petit humain fait avec ses cubes.
    Elle s’était très bien adaptée à sa nouvelle vie et a tout de suite montré un vrai sens du confort. Coussin, oreiller, couette, tout ce qui était doux et chaud lui convenait mais, par-dessus tout, elle se choisit son emplacement favori, sous l’escalier, où je lui disposai son panier.

    Betty

    La petite boule a grandi, est devenue un adorable chiot, malin, sage, docile. Elle oublia vite la déplorable habitude des chiots de sauter sur les visiteurs ou de ronger chaussures, pieds de table, et autres accoudoirs de fauteuil. Elle se livra bien à quelques bêtises, elle se fit gronder et il suffit bientôt que je lui dise : « Non, non, non ! » pour qu’elle s’arrête illico. En échange, elle s’asseyait entre mes pieds et m’observait de ses yeux interrogateurs.
    Elle apprit très vite à donner la patte pour demander quelque chose, c’est assez naturel chez les chiens. Le jour où je lui appris à faire la belle, elle comprit qu’elle disposait dorénavant d’un outil puissant pour obtenir les choses qu’elle désirait, jouet ou friandise.

     Betty

    Ayant atteint sa taille d’adulte, elle délaissa son doudou, un petit ours en peluche, pour des balles de tennis. Le chiot s’est métamorphosé. Betty est devenue une athlète mince et élancée... et sachant toujours apprécier le confort d’un canapé et d’un ou deux oreillers !

    Betty

    Son museau s’était allongé et elle s’était dotée de très longs doigts dont elle se servait pour bloquer sa balle, pour tenter de la saisir ou se livrer à une sorte de jonglage au ras du sol... Elle courait en la poussant alternativement avec ses deux « mains ».
    Elle jouait souvent avec deux balles, qu’elle plaçait côte à côte et qu’elle mordillait alternativement en les rapprochant ou en les repoussant avec sa patte aux longs doigts. Un jour, elle vint me trouver, triomphante, elle avait résolu son problème : saisir 2 balles ensemble dans sa gueule !
    De la même façon, il arrivait qu’elle me prenne la main qu’elle serrait avec force tout en me regardant de ses grands yeux interrogateurs.
    Betty souriait. Quand elle nous retrouvait après trop longtemps d'absence ou quand venait nous rendre visite quelqu'un de notre famille ou de nos amis, elle montrait les dents, toute frétillante.
    Betty riait ! Elle était allongée, faisant semblant de dormir... Elle me guettait, un œil mi-clos... Avec mes mains, je lui faisais la
    « la bébête qui monte »... elle relevait son nez, montrait les dents en sortant le bout de la langue et laissait frétiller sa queue... soudain, elle se jetait sur ma main qu'elle saisissait doucement dans sa gueule. Ensuite, quand nous avions bien joué, elle se roulait sur le dos pour que je lui caresse le ventre. Je crois bien qu'elle riait de toutes ses dents !
    Nous avons partagé 9 années d’un bonheur discret, elle s’est rendue aimable auprès de tous ceux qui la croisaient. Elle aimait s’insérer dans les groupes de promeneurs qui sursautaient en voyant ce grand chien près d’eux. La surprise passée, quelqu’un tentait de lui caresser la tête qu’elle esquivait d'un rapide Tai Sabaki. Elle n’acceptait de caresses que de son maître et de nos petits-enfants qui pouvaient la prendre par le cou et lui faire de gros câlins. Mes petites-filles eurent le droit de s’accrocher à ses oreilles, à son cou, pour se mettre debout et faire leurs premiers pas.
    Elle a réconcilié avec les chiens plus d’un adulte atteint de la phobie des canidés. Elle était l’idole des enfants qui adoraient frôler de leurs doigts timides le doux velours de ses oreilles. Elle était aussi l’amie des chats !
    Son premier ami félin fut Chat Roux, le chat de notre voisine, Monique. Quand nous descendions de la forêt, Chat Roux nous attendait, lové dans une flaque de soleil au milieu de la route. Il ronronnait à la vue de Betty qui venait lui lécher le ventre, le roulait sur le dos en le poussant avec son gros nez. Il se relevait et se faufilait entre ses pattes. Chez Monique, ils dormaient ensemble sur un coussin.
    Quand nous avons déménagé, Betty a fait la connaissance de Lucky, un jeune chat inconscient des dangers présentés par les canidés. Sa première rencontre fut heureuse puisque ce fut celle de Betty avec qui il faisait de longues promenades.
    Betty eut plus de difficultés avec Pépita, la chatte qui craignait les chiens et sortait les griffes à leur vue. Elle finit pourtant par l’apprivoiser et lui lécher le bout du nez sans la faire cracher ni griffer.

    Betty

     Betty

    Depuis que Betty était entrée dans ma vie, chaque jour, je la caressais, je la massais, je la palpais, je la papouillais. Rien ne m’échappait, les tiques en été, les petits bobos toute l’année. Toute petite, je lui faisais une toilette intime quotidienne, toilette qu’elle ne savait pas assumer et sans laquelle elle aurait risqué une infection.
    Au début de l’année 2010, j’ai senti comme des granules autour d’une mamelle. Le jour de la vaccination, début mars, j’ai questionné le vétérinaire qui me dit simplement que c’était à surveiller.
    Fin mai, eut lieu notre stage national à Caudebec en Caux. Ma petite maison eut l’honneur d’accueillir not’ bon Maître Alain Floquet et mon vieil ami Alain Roinel : les trois plus anciens membres de l’Aïkibudo avaient enfin l’occasion de partager un long weekend « en famille ».  Betty partagea à son habitude les moments familiaux...
    Le lendemain de cette grande fête, j’aperçus un écoulement épais à une mamelle de Betty. Le vétérinaire nous dit qu’il fallait l’opérer d’urgence : ablation de toute la chaîne mammaire !  Ce qui fut fait le 1er juin.
    Betty subit une violente allergie au pansement adhésif. Sa longue plaie fut exposée à l’air libre, nécessitant une surveillance de chaque instant et de nombreux soins quotidiens. Nous avons voulu lui éviter le supplice de la collerette et ma femme passa des nuits à côté d’elle pour veiller à ce qu’elle ne se lèche pas.
    Son état se dégrada brutalement au bout d’une semaine. Nous venions de recevoir le résultat des analyses : une saloperie de cancer, niveau 3 sur une échelle de 4... Pronostic très sombre. Elle ne survivrait qu’avec un traitement palliatif.
    En attendant, il fallut la mettre sous perfusion toute une nuit à la clinique. Le vétérinaire qui l’avait opérée la trouvait si brave, si docile qu’il lui épargna la collerette.
    Les fils furent enlevés au bout d’une dizaine de jours.  Betty connut des hauts et des bas. Très vite, elle refusa de s’alimenter. Cette fois-là, c’est une jeune femme, Caroline, qui nous reçut. Elle ausculta Betty avec attention, s’étonna de sa docilité, de sa gentillesse, prépara un cocktail à injecter et nous dit de revenir la voir aussi souvent que nous le souhaitions.
    Le soir même, Betty nous réclamait à manger et dévorait tout ce que nous pouvions lui donner. Nous sommes allés de nouveau consulter Caroline dont le visage s’illumina quand elle apprit la bonne nouvelle. Elle était tombée pile sur le bon dosage de la substance qui allait aider Betty à mener une vie aussi paisible que possible.
    J’ignorais que les chiens stressés se lèchent les pattes. Ce n’est qu’une semaine après une prise de sang que je m’aperçus que Betty avait quasiment usé l’épiderme de la petite zone tondue. Il fallait appliquer une pommade et protéger  avec un pansement.  Betty était sage mais une nuit, elle arracha tout.  Pour éviter qu’elle n’aggrave sa blessure, je décidai de lui faire porter une collerette la nuit.
    Cette collerette est un véritable supplice. Betty ne comprenait pas pourquoi je la punissais et me contemplait de ses bons yeux tristes. Alors, avant de me coucher, je lui donnais plein de ces croquettes dont elle raffolait.
    Pour limiter au maximum la durée de cette torture, je me couchais vers minuit et je me levais vers 5 h 30. Il fallut attendre plus d’une semaine avant que le processus de guérison soit suffisamment avancé pour que je puisse la laisser passer les nuits tranquille.
    Nous allions à la consultation au moins une fois par semaine. Betty entrait dans le hall, montait sur la bascule, attendait que je lise son poids puis me suivait quand j’allais m’asseoir et se couchait à mes pieds en tremblant. Caroline nous appelait. Je me levais, Betty se dirigeait vers la sortie. Je lui disais : « Non, là-bas. ». Elle me suivait, tête baissée.
    Caroline lui disait : « Viens, ma fifille... ».  Betty me regardait de ses yeux interrogateurs. « Tu ne viendras pas sans ton papa ! » lui disait Caroline.
    Betty montait sur la table d’auscultation, s’asseyait, tendait la patte pour qu’on vérifie sa blessure. Caroline la cajolait un peu puis l’auscultait. Elle m’avoua qu’elle se méfiait beaucoup des bergers allemands qui mordent facilement au visage. Elle leur pose une muselière avant de les ausculter. Mais elle avait une confiance totale en Betty.
    Betty finit par refuser de monter sur la table. Caroline l’auscultait par terre, s’accroupissant à côté d’elle. Puis elle cherchait quelle friandise elle pouvait lui offrir. Quand nous repartions, Betty prenait sa laisse dans sa gueule et la secouait comme le fait un chiot. Elle la mettait par terre, la pliait soigneusement en quatre, la prenait dans sa gueule et se dirigeait très fière vers la sortie.
    J’avais appris à Betty à ne pas lécher. C’était parfois difficile et, pour me manifester sa joie de me revoir ou pour m’exprimer son affection, elle donnait de petits coups de langue dans l’air. Depuis quelques mois, quand elle semblait trop fatiguée ou trop stressée, je la massais, je lui détendais les épaules, le dos, les hanches, je lui caressais le ventre, le palpais. Alors, elle s’étirait en grognant de bonheur et remuait la queue et me regardait, les yeux pleins d’amour. Un jour, elle a relevé la tête, m’a léché délicatement le bout du nez puis s’est reposée en soupirant.
    La nature est injuste. La belle, la gentille Betty fut frappée d’un mal foudroyant au cours du mois de décembre. Le jour du stage de Vanves, elle se mit à « pisser » du pus. Ma femme, restée seule, ne savait que faire. Quand je suis rentré assez tard, le soir, nous avons conduit Betty aux urgences. Le vétérinaire de service lui installa maladroitement une perfusion et entreprit de la conduire au chenil. Je fus obligé de l’accompagner car elle ne l’aurait pas suivi. J’ai dû enfermer Betty moi-même dans une cage, avec une collerette qu’elle accrochait aux barreaux en tentant de sortir. Je suis parti honteux de la laisser seule, de lui laisser croire que je l’abandonnais et pas certain de la revoir vivante.
    Elle subit l’ablation de l’utérus le lundi matin. Je la récupérai le soir à 18 h. L’opération était parfaite. Comme elle était allergique aux adhésifs, la plaie, parfaitement cousue, était exposée à l’air libre. J’eus de nombreux soins quotidiens à lui donner, délicates applications de pommade, caresses rassurantes, administration d’antibiotiques, d’antalgiques.
    Je n’ai pas voulu lui faire subir de nouveau le supplice de la collerette. J’ai dormi à côté d’elle, sur le canapé du séjour, jusqu’à ce que la cicatrisation soit parfaite et que les fils soient ôtés.
    Nous avons vécu une alternance de rémissions et de rechutes. Puis elle cessa de s’alimenter, rejeta ses médicaments. Elle était fiévreuse. J’écrasais les comprimés dans du lait et je les lui faisais absorber à l’aide d’une seringue.
    Elle retrouva le goût de vivre à l’approche des congés de Noël et passa quelques jours paisibles en compagnie de nos petits-enfants qui l’adoraient.
    Son état se
    dégrada de nouveau . Elle me regardait dans les yeux, elle accrochait ma main avec sa patte. Je la calmais, la rassurais en la massant, en caressant son pauvre ventre tout couturé de cicatrices. Elle s’apaisait, se détendait, s’endormait parfois.
    Dorénavant, je ne l’emmenai plus que dans de courtes promenades, elle décidait elle-même du point où il fallait faire demi-tour en venant prendre dans sa gueule mon bâton qu’elle ramenait à la maison. Puis un mardi, elle refusa de sortir. Et le jeudi suivant, elle ne voulut plus se lever.
    Nous avons appelé le cabinet vétérinaire, demandant si Caroline pouvait effectuer une consultation à notre domicile. C’était son jour de repos, elle ne serait prévenue que le lendemain matin. Elle viendrait à la première heure...
    Caroline rêva de Betty dans la nuit de jeudi à vendredi. En arrivant au cabinet, le vendredi matin, elle fut très inquiète de lire notre nom sur les demandes de visite à domicile.
    C’est elle qui a aidé Betty à quitter notre monde, avec une infinie douceur, avec beaucoup d’amour. Quand Betty, tout à fait détendue, enfin apaisée, toujours aussi jolie, a cessé de respirer, nous avions tous les trois des larmes plein les yeux.
    Je n’aurais jamais cru que ce fût aussi dur. On croit qu’à force de prendre les coups de la vie, le cuir finit par se tanner. En fait, c’est la carapace qui se fissure.
    Chacun de mes toutous fut aimable et aimé. Pollux, le petit cocker, Hugo, le bon labrador, la vive et aimante Gamine, la tendre et discrète Betty, chacun à chaque fois encore plus gentil, plus communicatif, plus « intelligent » que le précédent, une séparation à chaque fois plus douloureuse. Une séparation plus déchirante que celle qu’on éprouve après la perte d’un être humain...
    Chacun a partagé une part plus ou moins longue de ma vie, tous ont contribué à me permettre de devenir ce que je suis et j’ai de la peine parce que je les ai perdus et que j’en suis diminué.
    Chacun a sans aucun doute discrètement influencé ma façon de vivre notre Art, de le transmettre, de le faire apprécier.
    Une page venait de se tourner. Je ne parvenais pas à parler de Betty sans que ma gorge se serre et que mes yeux s’inondent, alors j’ai écrit son histoire parce qu’il serait injuste que sa jolie image, sa belle personnalité tombent dans l’oubli.

    Betty

     

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    Betty

    Betty

    Ce vendredi 14 janvier 2011, à 8 h 30, quand Betty avait doucement posé sa tête dans le creux de ma main avant de s’endormir de son dernier sommeil, j’avais cru que mon vieux cœur s’était déchiré.

    Lara

    À mon âge, on en a perdu des animaux ! On a aussi perdu ses parents. Mais je ne savais pas que la perte de Betty allait ouvrir un vide incomparablement plus grand et plus glacial que la perte d’un humain.
    J’ai traîné ma détresse pendant des jours puis je me suis décidé à me mettre en quête d’une adoption sur l’Internet .
    C’est ainsi que le 10 février, j’ai trouvé une annonce concernant une petite femelle cocker... J'ai repensé à Lucky,  le joyeux cocker qui avait enchanté mon enfance et à Pollux, le joli cocker blond, mon premier toutou bien à moi.
    J’ai donc tourné l’image de la petite femelle cocker toute la nuit dans ma tête et, le lendemain matin, j’ai appelé l’auteur de l’annonce. Pffttt... l’accueil fut plutôt sévère. On ne me recommandait pas cette adoption. On me rappellerait.

    Lara

    Je retourne fouiner dans les annonces et je vois une toute petite image, à peine plus d’1 cm de côté avec, dedans, une petite bestiole toute noire... Je clique pour voir l’annonce : c’est une petite femelle Labrador noire. Elle a 1 an et demi, elle a été récupérée lundi, opérée jeudi et nous sommes vendredi. En fait, un jeune Labrador me conviendrait mieux qu’un cocker. Pourquoi ? Je ne sais pas et c’est comme ça.
    J’hésite à appeler, c’est le même numéro et je crains de me faire mal recevoir. Finalement, le soir, je me décide à prendre mon téléphone... J’explique que je ne voudrais pas avoir l’air de faire mon marché mais que... La voix se fait tout aimable, cette chienne me conviendrait tout à fait... Quand puis-je venir la chercher ? Demain matin avant midi...
    Le samedi matin, 12 février, nous nous apprêtons à faire 165 km pour nous rendre dans un trou perdu au fin fond de l’Eure et Loir où je ne saurais aller sans le GPS ! Le temps de rabattre une partie de la banquette du Berlingo, d’installer panier et couvertures et c’est parti.
    Nous faisons connaissance avec Lara à son retour de promenade. C’est une petite misère maigre à pleurer. Elle a crevé de faim ! Dominique, l'animatrice de « L'homme et son chien », nous prévient qu’il ne faut rien laisser de comestible à sa portée, elle dévore tout ce qu’elle trouve.
    Je m’accroupis, lui tend la main qu’elle vient sentir puis elle s’assoit entre mes genoux. « Un chien câlin comme ça, c’est un cadeau ! » commente Dominique.
    L’adoption est conclue, nous sortons. Lara veut à tout prix prendre sa laisse dans la gueule puis elle se dirige tout droit vers notre voiture, attend sagement que j’ouvre le hayon et que je la dépose dans le coffre puis s’assoit sur le siège libre et regarde par la vitre.
    Elle ne bougera guère de son siège pendant les 2 heures de route sinon pour piquer une petite ronflette dans le panier.
    Devant chez nous, je n’ai pas le temps de la retenir qu’elle bondit dehors... elle vient d’être opérée ! Elle se dirige vers la barrière, elle entre dans la maison et va droit vers le canapé : elle est chez elle !

    Lara
    Elle vient d'être opérée et a un gros pansement à surveiller

    Lara

    Lara

    mais elle s'est vite adaptée !

    Un peu plus tard, je la regarde. Mais qu’elle est laide avec ses grosses pattes sous ses côtes saillantes. Et elle pue, je ne m’habituerai jamais à son odeur. Mais elle m’observe avec tant de questions... « Je te promets de m’occuper de toi, de prendre soin de toi toute ta vie. », lui dis-je. « D’accord, c’est bien. », me répond-elle.
    Je la promène en laisse tous les jours, pas question de la laisser courir tant que la cicatrisation n’est pas complète. Tous les jours, Caroline change son pansement et elle est très satisfaite de l’évolution de la cicatrice.
    Tous les jours, Lara veut prendre la laisse dans la gueule.
    Quand les fils sont enlevés, je continue à la promener attachée, il paraît que les Labradors sont fugueurs et nous nous promenons sur une petite route forestière... et elle veut prendre sa laisse dans la gueule.
    Nous habitons dans une impasse aussi, en revenant, je la détache... Elle réclame la laisse et la porte jusqu’à la maison. Depuis, elle n’a plus guère été attachée !
    Nous l'avons emmenée sur le stade pour voir si une balle de tennis l'intéresserait. Je lui présente la balle, elle délire de joie. Elle court après la balle, nous la ramène, nous la lance dans les mains. Infatigable ! Où a-t-elle appris à jouer ? Certainement pas sur le balcon où elle a été séquestrée pendant un an ?

    Lara est une bombe. Quand elle arrondit le dos, mieux vaut se pousser, elle ne craint aucun obstacle, elle fait des 8 autour de moi quand je rentre à la maison, elle fait la toupie, ses cuisses et ses bras sont incroyablement musclés. Mais nous n’entendons jamais sa voix... Elle n'émettra son unique « Ouaf ! » qu'au bout de 6 mois.
    Quand j’ai fait la connaissance d’Alain, il se promenait avec son petit Westie blanc, Max. Les 2 chiens ont tout de suite sympathisé. Pour montrer sa joie, Lara s’est mise à faire la toupie, a collé un grand coup de son arrière train à Max qui a fait un bond de 2 m !

    Lara

    Plus tard, avec d’autres chiens, elle s’efforcera de leur apprendre à jouer. En fait, c’est un vieux basset qui lui avait appris ça. Dans un petit village des Ardennes, ce vieux basset attend derrière une barrière en bois. Lara inspecte le caniveau. Le basset l’appelle, elle vient aux nouvelles. Il va chercher une balle de tennis au fond de sa cour et la pose sur la barre en bas de la barrière puis la pousse avec son nez. Lara va la chercher et revient. La basset lui dit « Ouaf ! », elle obtempère et lui lance la balle à travers les barreaux. Le jeu dure de longues minutes. C'est ainsi qu'elle a appris à jouer à Kénya, la border collie blanche qui ne supporte aucun chien sinon Lara, et qu'elles sont devenues inséparables.
    Plus tard, elle est devenue la mascotte du quartier et, surtout, des petits qui se promènent avec leurs nounous. Elle met les bambins en ligne, quasiment par ordre de taille. Elle apporte la balle au plus petit, attendant qu'il la lance. Elle la ramasse et va la lancer au suivant et ainsi de suite jusqu'à ce que tous y soient passés. Certains de ces petits ne savent pas lancer une balle alors Lara la leur rapporte jusqu'à ce qu'elle obtienne un lancer convenable.


    J’emmène Lara se promener dans une longue rue qui bénéficie d’une rare circulation automobile. Elle comprend très vite qu’elle doit s’arrêter à chaque croisement mais elle ne résiste pas devant une barrière ouverte, elle entre dans la cour, ni devant une porte ouverte, elle entre dans le garage ou dans la cuisine qu’elle visite. C’est ainsi que je fais la connaissance des habitants de ma bourgade.
    Lara est chez nous depuis 1 mois et demi. Avec Caroline, nous l’avons requinquée, plus de problèmes du tube digestif, elle sent bon le chien, elle adore les câlins... Nous sommes invités à passer une semaine en Haute Savoie dans un chalet qui accueille des groupes.
    Lara adore la voiture, surtout que nous lui avons installé un lit confortable sur la banquette arrière. Elle est accueillie par une famille qui adore les toutous et, dans ce village, tous les chiens se baladent en liberté.
    Elle a vite compris le fonctionnement des portes battantes et les différents itinéraires entre couloirs et escaliers. Le second matin, j’ai à peine ouvert la porte de la chambre qu’elle file dans le couloir. Je la retrouve en bas, assise devant la porte de la cuisine. Je m’apprête à la gronder quand Annie, la cuisinière surgit : « Viens me voir, ma petite Nénette, tiens ma petite chérie ! » et elle lui donne un gros morceau de fromage. Je proteste mais Annie me rétorque que Lara est trop maigre et qu’un bout de fromage ne la rendra pas obèse.
    En 2 jours, elle a été adoptée par tout le personnel du chalet et... par les habitants du village. Nous réservons une table dans un restaurant tenu par un couple d’Anglais. Le monsieur promène tous les jours ses chiens en passant devant le chalet. « La petite chien noir peut venir aussi ! » nous annonce-t-il. Au restaurant, elle sera félicitée par tous les clients, tous Anglais, pour sa bonne tenue.
    Elle est montée au sommet des pistes dans les œufs, elle a dévalé les pistes de luge, elle a aidé des enfants qui dérapaient à remonter la pente...Elle est à l’aise partout.

    Tous les ans, nous allons passer 2 semaines au domaine sportif de Lembrun, au Temple sur Lot. Elle y connaît tout le monde, reçoit des tonnes de caresses quotidiennes, passe des heures dans le Lot, vient me rejoindre sur le tatami à la fin des cours.

    Lara

    Je pourrais écrire un livre sur Lara. Elle m’a redonné la joie de vivre (m’a rajeuni ?) C’est un pot de colle, toujours à me suivre, à se faire câliner. Je dois faire attention, quand je vais me laver les mains, à ce qu’elle ne soit pas couchée derrière mes talons. Si je fais demi-tour, immanquablement, je le trouve devant moi, je lui dis de se pousser et elle recule. Oui, elle recule, c’est le premier chien que je vois se déplacer à reculons.
    Saurait-elle lire l’heure ? À plusieurs reprises, dans la journée, elle regarde la pendule puis me fixe avec insistance. Si je fais semblant de ne rien remarquer, elle regarde de nouveau la pendule puis fait un geste approprié à ce qu’elle attend de moi. Elle tourne la tête en direction de la cuisine si c’est l’heure de la gamelle : une demi tranche de blanc de poulet discount avec 150 g de croquettes Virbac, 2 fois par jour, avec 3 comprimés de super levure le matin, pour lui donner un beau pelage luisant et soyeux et dissuader tiques et puces qui détestent l’odeur de la levure. Sinon, elle fait 1 ou 2 tours sur elle-même et va chercher sa laisse pour la balade matinale ou sa balle pour l’entraînement de l’après-midi.
    Elle est d’une curiosité insatiable, un peu fantasque, c’est un Labrador, pas un berger allemand comme Betty, l’oreille et la narine toujours aux aguets, parfois trompée par sa vision de myope, les chiens sont myopes, et si elle repère le moindre mouvement, elle discerne mal les formes immobiles qui la plongent dans l’indécision. Elle ne résiste pas à l’appel d’un coffre de voiture qui s’ouvre, à un sac à provisions qui se pose par terre. Elle va saluer ses amis, aussi loin qu’elle les voie. Elle adore les enfants, surtout les tout petits. Elle courrait bien après les chats mais elle sait que je ne veux pas, elle me regarde, je lui dis : « Non ! », elle répond : « Tant pis ». Mais elle va faire la danse des Sioux autour de la vieille Pépita et elle poursuit inévitablement Lucky, le chat roux qui était l’ami de Betty mais qu’elle ne supporte pas parce qu’il vient chasser nos amies les mésanges. Elle n’est affligée d’aucun soupçon d’agressivité, de rancune. Elle ne montre les dents et ne grogne qu’en dormant, ses rêves sont très agités. Elle sait se faire respecter sans jamais avoir mordu.
    Quand je me promène avec Lara, devant chaque maison, j’entends : « Lara ! Bonjour Lara ! Viens me faire un bisou, ma petite Lara, ma petite nénette... » mais moi, je suis invisible ! J’en ai marre de Lara !

    Lara

    Elle a 6 ans et demi, maintenant. Comment a-t-on pu maltraiter cet amour à 4 pattes ? 30 kilos d’amour !
    Lara. Elle ne remplace pas Betty. Je ne l’ai pas adoptée pour combler un vide mais en tant qu’être vivant avec sa personnalité, son caractère. Le hasard a voulu qu’elle participe à ma reconstruction. Si elle est un membre à part entière de la famille, elle tient son rôle de chien, nous ne lui imposons pas un personnage ridicule de chienchien à sa mémère ni de fifille à son pépère. Elle est Lara et ne s’en plaint pas : elle est superbe, elle attire le regard, les caresses, sa vie lui convient. Lara.

    Il paraît que les chiens ressemblent à leur maître...

     Lara

    J'ai écrit le texte ci-dessus il y a 6 ans. Elle a continué à vivre sa vie de chien heureux de vivre. Elle a continué à se faire cajoler par ses amis humains, à amuser les promeneurs qui la voyaient avec la laisse dans la gueule et demandaient s’ils pouvaient la caresser.
    Quand je me promenais avec une canne, en fait un tourillon de 1 m de long et 2 cm de diamètre avec des pieds de chaise en embout, elle me la réclamait pour rentrer et la portait fièrement jusqu’à la maison et là, il fallait franchir la porte avec la canne dans la gueule… La toute première fois, elle s’aperçut que la porte était trop étroite. Elle recula, observa, inclina la tête et passa aisément. Elle venait de résoudre un problème que Betty s’était posé et n’avait pas résolu alors qu’elle était capable d’empiler des cubes ou des pots de yaourt en verre et aimait qu’on lui jette sa laisse par terre pour qu’elle la plie en quatre et la prenne fièrement dans sa gueule.

    Lara

    Je ne pourrais pas raconter toute une vie d’amour, rien que les séjours à Lembrun, où elle était la star, rempliraient des pages et des pages.
    Et puis, il y a quelque temps, (Des jours, des semaines, des mois ? Le temps passe si vite, à mon âge), elle se mit à traînasser pendant ses promenades. Son museau, ses sourcils avaient blanchi, elle ne jouait plus à la balle sauf quand elle rencontrait son amie Kénya.
    Et puis elle a renoncé à descendre dans le ruisseau pour prendre son bain car elle éprouvait des difficultés à remonter la berge profonde.
    Et puis, alors qu’elle n’était déjà pas goulue, ce qui est rare pour un Labrador, elle s’est mise à faire la difficile avec sa nourriture qu’elle me réclamait pourtant à chaque retour de nos promenades de l’après-midi.
    Et puis, elle m’a semblé trop fatiguée, son ventre m’avait paru dur...
    Et puis, ce matin du 13 avril, elle nous a quittés, vers 11 h. Son état était stationnaire depuis le vendredi où une véto avait détecté des tumeurs sur le foie et un suintement, toutefois elle pronostiquait une survie de 3 mois, mais hier après-midi, elle n'a pas suivi comme à son habitude sa maîtresse au jardinage. Elle s'est allongée près du coffre, dans le coin séjour, et m'a longuement regardé. Quand elle a essayé de se lever, ses pattes avant se sont croisées et elle est tombée. Nous l'avons portée dans son panier, qu'elle affectionne, et elle m'a lancé des regards implorant de l'aide. Parfois, elle avait les yeux exorbités, je crois qu'elle souffrait. Sa maîtresse a passé la nuit avec elle. Au petit matin, j'ai appelé Caroline, la jolie véto qui s'était déjà occupée d’elle et l’avait prise en affection. Ses soins en avaient fait la superbe toutoute qu’on a connue. Mais ne partageant pas la politique mercantile de la clinique vétérinaire, elle était  partie pour créer "Véto normand à domicile" qui rayonne autour de Rouen jusqu'à 45 km du centre ville. J'ai retrouvé sa trace sur la toile. Je l'ai appelée très tôt le matin. Elle se souvenait parfaitement de nous. Elle est venue tout de suite.
    Lara était épuisée, buvait beaucoup d'eau, son ventre était terriblement gonflé par une hémorragie interne. Caroline nous a dit qu'elle avait un regard résigné. Elle l'a cajolée, rassurée, puis lui a injecté un anesthésique. Peu à peu, Lara s'est détendue, s'est allongée sur le côté, dans sa position de repos favorite, sa respiration est devenue paisible, son regard exprimait le calme puis elle a fermé les yeux. Alors, Caroline lui a injecté une solution létale. Et Lara est lentement, très lentement, partie pour le paradis des toutous. Ce fut très doux, très progressif. Nous étions tous les trois très émus, les larmes aux yeux. Caroline nous a dit que c'était un acte d'amour parce que nous avions pris notre décision très vite, en lui évitant de longues souffrances inutiles.

    En rédigeant ces lignes, j’ai la gorge serrée. Le grand âge nous rendrait-il donc si fragile ? Mon quotidien semble si vide ! « Ce n'est après tout qu'un chien ! », diront certains...

    Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
    Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
    Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
    Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

     Lara

    Ce n’est que le 26 octobre que nous avons adopté Pirate, devenue Chipie, une petite chienne de 3 ans, croisée beagle et braque. Nous sommes allés la chercher dans l’Eure et Loir, où nous avions adopté Lara il y a 11 ans. Elle était choyée dans sa famille mais ses maîtres ont eu de sévères problèmes de santé, ils ne pouvaient plus s’en occuper.
    J’avais d’abord pensé adopter une chienne adulte, un labrador de 8 ou 9 ans et puis j’ai eu le coup de foudre pour Pirate. L’adopter m’engage à vivre encore une douzaine d’années, je pense que je ferai l’effort nécessaire.
    Pirate, devenue Chipie, manquait singulièrement d’éducation, elle n’avait pas de rappel, tirait comme un bœuf sur sa laisse. Elle a d’abord appris « assis, donne la patte », puis elle s’est promenée attachée à un harnais anti traction, puis nous avons alterné exercices et récompenses.
    Trois semaines plus tard, elle vient quand on l’appelle, elle donne la patte quand on le lui demande, elle raffole de câlins, elle s’est parfaitement intégrée dans sa nouvelle famille. Il lui reste encore un peu de discipline à acquérir avant que je puisse l’emmener en promenade sans l’attacher, toutes les odeurs l’affolent, elle déteste les chats mais elle est aimable avec tous les humains et avec tous les chiens… aimables car, finalement, elle n'est pas aussi timide que ça et a voulu foncer en grondant sur un berger allemand qui l'injuriait derrière son grillage.

    Heureux comme un chien chez les Tellier

     La photo qui m’a conquis

    Heureux comme un chien chez les Tellier

    Heureux comme un chien chez les Tellier

    Un peu gaga ? Totalement !

     Je ne me suis pas encore décidé à la lâcher même si elle nous manifeste un profond attachement. En promenade, elle va marcher pendant 1 heure le nez au sol, inspectant toutes les traces, tentant de s'introduire dans les coulées. Elle ne tire plus comme une brute, s'arrête quand je donne une petite secousse à sa laisse, ralentit quand je lui dis « Doucement ».
    Elle arrive à marcher debout sur ses pattes arrière, marche ainsi le long de tous les murets à sa hauteur et recélant des odeurs de chats.
    Si Lara avait été maltraitée et nous était probablement reconnaissante de l'avoir adoptée, Chipie a été enlevée à un milieu où elle était heureuse et a plongé dans l'inconnu. Il lui faudra encore quelque temps pour m'apprivoiser...

     

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

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     Oublie tes peines et pense à aimer
    あなたの悩みを忘れて、愛について考える
    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    80 balais... âge canonique