Que sommes-nous ?

 

Se méfier des penseurs dont l'esprit ne fonctionne qu'à partir d'une citation. (Emil Michel Cioran)

Le 30 mai dernier, je suis allé m’enfiler dans l’anneau d'un scanner. Ma (très jolie) rhumatologue voulait connaître l’origine des misères qui perturbent mes nuits et troublent mes jours….  Après une heure d’attente, le radiologue a commencé à commenter les images, s’est interrompu, m'a regardé : « Votre médecin vous donnera toutes les explications voulues ! ».

En fin de matinée, j’allai rejoindre ma (toute jeunette et toute mignonne) kiné et je lui présentai le dossier qu’elle ouvrit avec gourmandise… Son visage se figea, ses yeux se firent humides : « Mais... je ne peux rien pour vous ! ». 

Mon médecin s’est contenté d’un laconique « Zut ! ». Un « gueux » de mes amis s’est enflammé et m’a dit : « Tu ne vas pas t’inquiéter pour un peu d’arthrose, des disques tassés et quelques rétrécissements ! J’ai vu encore pire ! ».

Et puis je suis retourné voir ma (très jolie) rhumatologue : « Vous vous en tirez plutôt bien, mis à part le genou : pas de trace de sciatique ni de cruralgie… Comme vous réagissez bien à l’électrothérapie, il n’y a qu’à continuer ! ».

 

 

Quand la crainte ne veille pas, il arrive ce qui était à craindre. (Lao-Tseu)

J’avais déjà entendu ça il y a... 40 ans. Mon médecin traitant de l’époque ne comprenait pas pourquoi je ne m’étais pas retrouvé en chaise à roulettes. J’allais écrire « en bancaline », comme à mon habitude, mais je ne suis pas certain que tous mes lecteurs connaissent ce substantif.

Le samedi 10 décembre 1966, ma fiancée m’avait convaincu de prendre la route à 17 h, après la classe, pour nous rendre dans ses Ardennes natales. Vers 20 h 30, du côté d’Isles sur Suippe, je me suis endormi au volant de ma 4L toute neuve. Je me suis réveillé contre un arbre, les mains toujours sur le volant, le visage ruisselant de sang. La portière droite avait disparu et ma compagne n’était plus à côté de moi. Elle avait été éjectée dans le champ situé en haut d'un grand talus que la 4L avait escaladé puis redescendu avant de s’arrêter contre l’arbre que je contemplais, me demandant où étaient passées mes lunettes qu’il me fallait retrouver avant de repartir.

 

 

C’est un malheur du temps que les fous guident les aveugles. (William Shakespeare)

À l’hôpital de Reims, on me transfusa 2 poches de sang tout frais après m’avoir recousu de la paupière droite à l’arrière du crâne mais on me traita de simulateur quand je me plaignis d’une douleur à l’épaule droite : les radios ne signalaient rien.

En fait, le choc avait inversé la courbure cervicale et déplacé 3 vertèbres. Quant aux dorsales, un ostéopathe me dirait 15 ans plus tard que c’était un véritable catalogue de déplacements et traumatismes divers !

Ça ne m’empêcha pas de persévérer dans la Voie des Arts Martiaux. J’avais la sensation d’être devenu nettement moins souple, je n’étais plus le bon chuteur qui m’avait valu d’être remarqué par Hiroo Mochizuki au stage de Royan l’été précédent. Je souffrais de torticolis. Au fil des années, il me devint insupportable de faire le Uke et le mal de dos s'invita en compagnon quotidien.

 

Donne et tu recevras. (Platon)

J’ai pourtant suivi mon bout de chemin. Ma carrière de Budoka n’a pas été si ridicule. J’en vois maintenant le bout. Je me suis maintenu en activité pendant presque 50 ans, malgré les prédictions du corps médical. « Condamné au mouvement ! », m’avait dit jadis Sensei Roinel. « Condamné au mouvement ! », m’a dit ma (toute jeunette et toute mignonne) kiné.

 

La mélancolie, c'est un désespoir qui n’a pas les moyens. (Léo Ferré)

Quand j’ai adopté Lara il y a un peu plus de 2 ans, je lui ai dit : « Je te promets de m’occuper de toi aussi longtemps que tu vivras ! ». A priori, il faudrait que je tienne encore une dizaine d’années pendant lesquelles je devrai être en mesure d’effectuer matin et soir une heure de marche et de lancer de balle.

Je me suis promis de guider mes jeunes et talentueux élèves vers leur plus haut niveau, je dois donc pouvoir assurer des cours et démontrer mes mouvements pendant encore quelques années. En serrant les dents si nécessaire.

 

 

Il faut chasser la bêtise parce qu'elle rend bête ceux qui la rencontrent. (Bertolt Brecht)

Je ne suis pas adepte du principe selon lequel il faut souffrir pour réussir. Mais quand on ne peut pas faire autrement...

 

 

L’histoire nous enseigne que, au fond, nous sommes les mêmes, autrefois comme aujourd’hui. Même si nos vêtements ou nos modes de vie ont changé, nos pensées et nos actes ne sont pas très différents. L’être humain, finalement, n’est qu’un simple véhicule, ou un vecteur, pour les gènes. Nous sommes leurs montures tout au long de leur voyage, de génération en génération, exactement comme des chevaux que l’on remplace lorsqu’ils vont mourir. Et les gènes n’ont aucune notion de ce qui est bien ou de ce qui est mal. Ni la moindre idée de ce que nous éprouvons. Ils ignorent si nous sommes heureux ou malheureux. Nous ne sommes pour eux qu’un moyen. Leur priorité, c’est d’obtenir pour eux-mêmes le meilleur rendement. (Haruki Murakami - 1q84)

Ça rend optimiste, finalement.

 

 

Les hommes naissent égaux, dès le lendemain, ils ne le sont plus. (Jules Renard)

 

Encore que...

Monmon a 80 balais ! Il reste un bon bout de chemin à parcourir avant de le rattraper.

  A.照り絵 / 七段 教士 FIAB

À dimanche prochain, à Lembrun !