• Les discrets

     

    L'amour le plus discret Laisse par quelque marque échapper son secret. (Jean Racine)

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    En 1950, un jeune homme de 15 ans, Alain Gallais, découvrit un livre écrit par M. Feldenkrais : « La défense du faible contre l’agresseur ». Après l’avoir lu, il décida de se donner les moyens d’apprendre le Judo.

    En 1967, il créa le club de Judo de Caudebec-en-Caux. Hélas, deux ans plus tard, le professeur était victime d’un accident de la route. Après quelques mois de fonctionnement au ralenti, Henri-Claude Lindenmann, un jeune colosse un peu bourru, fut recruté. Le nouveau professeur était par ailleurs 1er Kyu d’Aïkido Yoseikan et entreprit d’initier ses élèves à cet Art Martial encore peu connu.

    C’est ainsi qu’un petit groupe vint se perfectionner à Rouen, à l’École de Judo Jean Lemaître où, riche d’un 1er dan tout neuf, je venais d’être chargé des cours du 3e au 1er kyu. Nous avons fait connaissance. Sans plus. Il deviendrait plus tard un de mes meilleurs amis mais à l'époque, je ne me liais pas facilement.

    Alain Gallais ouvrit officiellement la section d’Aïkido Yoseikan à Caudebec-en-Caux en 1970. Nous avions appris à nous connaître et tissé des liens d’amitié. J’ai commencé à venir de temps en temps avec quelques élèves lui apporter mon aide technique. De son premier initiateur, il n'avait pas acquis un style particulièrement souple mais ses attaques étaient remarquables de sincérité.

    Le 23 janvier 1973, il reçut le 1er dan au CREPS d’Houlgate, à l’issue d’un stage dirigé par le jeune Maître Alain Floquet.

    À cette époque, nous dépendions de la FFJDA. Pour obtenir notre indépendance, il nous fallut arracher la direction de l’Aïkido au sein de la Ligue. En Juin 1973, se tenaient les Assises de la Ligue de Normandie. C'était, cette année-là, l'élection officielle du représentant de l'UNA. Un candidat avait le soutien du président de la Ligue. Personne ne doutait de sa réélection. Mais j’avais dans ma poche la candidature d’Alain Gallais.

    Les représentants de l’autre groupe, le CAT, et le candidat officiel, qui détenait les pouvoirs d’un 3e groupe, l’ACFA, ricanaient quelque peu, deux contre un, pas la peine de voter, non ? Hélas pour eux, j'avais dans une autre poche le décompte officiel des voix, au vu des licences de l'année civile 1972. En fonction du barème, je disposais de six voix, le CAT comptait deux voix et les pouvoirs de l’ACFA représentaient trois voix. Six contre cinq. Pas la peine de voter, non ?

    Le candidat officiel s'en fut. Le président de la Ligue n'était pas très content. Moi, j'avais fait le ménage devant ma porte.

    Alain prit la présidence et il allait, pendant de nombreuses années, jouer un rôle fondamental dans la construction de la région, mettant ses compétences administratives au service de la technique. Grâce à lui, je pus me consacrer entièrement à la formation des futurs cadres et contribuer à l’élaboration de ce qui allait devenir l’Aïkibudo.

    En 1976, nous avons quitté l’UNA pour rejoindre la FFAD qui cèderait la place à la CFAMT qui allait devenir FFAMT puis FFAK. Alain avait gardé la double appartenance pour se tenir au courant de la politique suivie par ceux qui étaient devenus nos adversaires. Au début de l'année 1979, il eut maille à partir avec l'UNA, ne supporta plus d'avoir à gérer les affaires de l'Aïkido « officiel », rendit son tablier avec éclat, créa la région 10 de la FFAK le 28 mai et en prit la présidence.

    Il laissa la place en 1981 à un jeune Yudansha qui croyait très fort aux valeurs fédérales, à l’œcuménisme des disciplines « sœurs »... En fait, ce dernier démissionna en 1984, se refusant à céder à toutes les exigences de la discipline « sœur » et... converti aux valeurs d’École ! Il provoqua une assemblée générale le 2 juin. Étaient là les représentants des six clubs de l’Aïkibudo et de quatre clubs d’Aïkido. J'étais présent en tant qu'observateur. Les gens de l’Aïkido, étaient bien ennuyés. C'était commode quand ceux de l’Aïkibudo faisaient tout le travail ! Ça marchait si bien ! Pourquoi changer ? La candidature d’une dame, qui accompagnait le groupe Aïkido mais  ne pratiquait pas, fut sollicitée.

    Comme d'habitude, nous n'avions pas préparé notre réunion. Au dernier moment, Alain Gallais voulut bien se porter candidat à la présidence, auquel cas un de nos Yudansha acceptait de s’occuper de la trésorerie... Ça marche ? Non, il faut voter, et pour qu'il y ait vote, autant qu'il y ait deux candidats, la dame et Alain Gallais. Et on vote à bulletin secret.

    Dépouillement. Surprise. La dame, six voix. Gallais, quatre voix ! Avec la majorité, on perd la présidence ! Que s'est-il passé ?

    Tout simplement, un de nos électeurs dormait, alors il avait voté pour l’Aïkido puisque, avant la réunion, on avait dit qu'on le laisserait se dépatouiller avec ses problèmes. Une autre représentante  n'avait rien compris et avait voté pour l’Aïkido, puisque c'est ce qui avait été décidé au départ...

    L’Aïkido prenait la présidence de la Ligue. Quinze années de travail venaient d'être balayées par deux crétins. J’allais devoir batailler pendant plusieurs années pour arracher notre indépendance administrative et financière et... même technique, quoique ce dernier problème ait été vite réglé localement, mais ceci est une autre histoire !

    Quand j’eus enfin arraché une indépendance totale, Alain voulut bien encore une fois se charger de la responsabilité des tâches administratives pendant quelques années où il m’assista avec une fidélité sans faille.

    Il ne faudrait pas résumer le rôle d’Alain à celui d’un simple tâcheron administratif. De nombreux Yudansha ont été formés par ses soins. Traditionnellement, quand un professeur considérait que ses élèves avaient atteint le niveau de 1er Kyu, il me les recommandait pour le « cours du samedi » où j’accueillais tous les Yudansha de la région pour un travail de perfectionnement technique sur les sensations, le mouvement, et les 1er kyu pour les amener au niveau du Shodan.

    Un des derniers disciples qu’il me confia, dans le courant des années 90, me parut avoir de belles dispositions. Il est aujourd’hui titulaire du 5e dan et a été coopté l’an dernier dans le groupe des Kodansha...

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    Il faut être discret quand on parle de son bonheur, et l'avouer comme si l'on se confessait d'un vol. (Jules Renard)

    J’aurais dû parler du stage national qui s’est déroulé le 29 mai. Vous raconter comment Alain Floquet et Alain Roinel sont arrivés chez moi le vendredi soir : c’était la première fois que les trois plus anciens « piliers » de l’Aïkibudo se retrouvaient ensemble, en famille.

    J’aurais dû rédiger le compte-rendu des cours, comme d’habitude. Vous dire qu’ils étaient excellents, comme d’habitude. Que le Maître a insisté sur les sensations développées dans l’exécution du mouvement et précisé que la technique n’est que le point final qui se pose à la fin du mouvement. Comme d’habitude. Qu’il ne l’a pas dit tout à fait comme ça et que je le paraphrase, comme d’habitude. Que nous avons trempé les kimonos et que tout le monde avait un sourire jusqu’aux oreilles à la fin du stage, comme d’habitude.

    Les pratiquants de l’Île de France s’étaient mobilisés en nombre pour nous rejoindre à ce stage qui marquait le 40e anniversaire du club d’Aïkibudo de Caudebec-en-Caux. Heureusement car peu de Normands se sont présentés au rendez-vous annuel avec le Maître.

    Ce samedi, nous avons honoré Alain Gallais pour ses 40 ans de pratique de l’Aïkibudo et les éminents services rendus à sa cause et à son développement. Dans son allocution, Alain Gallais a dit que sans moi, il n’y aurait pas eu d’Aïkibudo en Haute-Normandie. C’est peut-être vrai, c’est probablement vrai mais je dois ajouter que sans Alain Gallais, je n’aurais jamais pu construire cette région qui a été magnifique. C’est lui qui a démêlé toutes les tracasseries administratives, qui a suivi les innombrables démarches, traité un fatras de courrier pour aider les clubs à se développer et la région à devenir autonome.

    Tous les pratiquants de la région lui sont redevables. Sans lui, aucun Yudansha, du plus modeste au plus haut gradé, n’éprouverait le plaisir discret et incommensurable de porter le hakama...

    Où étaient-ils, tous ceux qui ont bénéficié de ses services ? J’étais très peiné par l’absence de la plupart des Yudansha dont certains se rengorgent d’un grade élevé. Leur grade tant convoité, ils l’ont récolté sur une magnifique construction, œuvre pour une grande part d’Alain Gallais.

     

    L’ambition prend aux petites âmes plus facilement qu’aux grandes, comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières qu’aux palais. (Nicolas de Chamfort)

    Toute la Normandie se devait d’être présente ce soir-là pour l’honorer et le fêter. J’ai de la peine pour ceux qui, ayant obtenu le hochet tant convoité, car un grade qui ne sert qu’à flatter l’ego n’est qu’un hochet dérisoire, n’ont pas jugé utile de se déplacer pour participer à un stage national organisé à leur porte et dire au revoir à un ami.

     

    On passe souvent de l’amour à l’ambition, mais on ne revient guère de l’ambition à l’amour. (François de La Rochefoucauld)

    Maître Alain Floquet lui a remis le diplôme d’Honneur de l’Aïkibudo signé par André Tellier, membre fondateur du Cera, Alain Roinel, DTN adjoint au fondateur et Alain Floquet, fondateur de l’Aïkibudo.

      Gallais-diplome-v.jpg Tous ceux qui l’aiment et qui lui sont reconnaissants pour son engagement, son dévouement et sa gentillesse étaient là pour l’applaudir chaleureusement.

     

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    La sincérité est de verre ; la discrétion est de diamant. (André Maurois)

     

     

     

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