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    Spécificités de l'Aïkibudo

     

     

    Il est fréquent que l’on demande quelles sont les spécificités de l’Aïkibudo par rapport à d’autres pratiques ou la différence avec d’autres arts martiaux.

    À cela il est bien difficile de répondre car cela consisterait à décrire l’Aïkibudo « en creux », en expliquant ce qu’il n’est pas ou de façon comparative, ce qui n’a pas de sens : ce qui nous intéresse, c’est ce qui est propre à l’Aïkibudo.

    Néanmoins, lorsque le néophyte regarde des pratiquants d’arts martiaux, il a tendance à considérer qu’ils font tous à peu près la même chose : les techniques « se ressemblent », on tord des poignets, on projette, on immobilise. Et de fait, nous n’inventons rien : depuis toujours, les hommes tordent des poignets, et cette torsion se fait dans la logique physiologique du poignet. Dans une cour de récréation, sans jamais ne l’avoir appris, les enfants qui chahutent font des kote gaeshi, et cette technique fondamentale existe dans de nombreuses écoles d’arts martiaux qui pratiquent les clés articulaires. De la même façon, le geste du lancer de shuriken est similaire à celui que fait tout individu qui lance un caillou, où une coupe verticale avec un sabre est à peu près identique au geste du bûcheron qui abat sa hache pour fendre du bois.

    Dans la pratique des arts martiaux, nous ne faisons généralement que (re)découvrir des gestes ancestraux et originels que notre mode de vie sédentaire nous a très souvent fait perdre.

    Par conséquent, il n’y a pas dix mille façons de faire efficacement une technique. Chaque technique s’inscrit dans la genèse de notre corps et s’est construite selon les caractéristiques biomécaniques de la physiologie humaine. De même, il n’y a qu’une et une seule façon de réaliser le bon mouvement : selon le moment, la distance, la morphologie, le placement, la dynamique de la personne avec laquelle on pratique. Tout dépend de l’instant et des qualités des protagonistes.

    Dès lors, si les techniques sont universelles et le mouvement unique, comment définir un art martial ? Ce qui en fait la spécificité, ce n’est pas dans la technique en tant que telle, mais l’esprit dans lequel elle est pratiquée. « L’esprit », cela signifie à la fois un état d’esprit, mais également une attitude corporelle à l’image de cet état d’esprit. Ainsi, dans la démarche, l’attitude, la proxémique (c'est-à-dire la façon qu’on a de gérer notre espace environnant et de s’y situer), on reconnaîtra un pratiquant de judo, de karate, de boxe ou d’aïkibudo.

    L’esprit et la forme sont intimement liés, et l’attitude reflète le degré d’avancement de l’individu dans sa pratique de l’art martial.

    En Aïkibudo, ce qui caractérise l’attitude du pratiquant, c’est un état de vigilance permanente et une disponibilité constante du corps et des sens, propices à une réaction appropriée et proportionnelle à tout événement extérieur. C’est tout le contraire d’un comportement de repli ou de renfermement ; il s’agit plutôt d’une attitude d’ouverture et d’attention à tout ce qui nous entoure. Cette vigilance, nécessaire sur le tatami, pour sa sécurité et celle des autres pratiquants, a des applications dans notre vie quotidienne : c’est la même attention qu’on aura dans nos relations à autrui, au volant d’une voiture et éventuellement, dans une situation d’agression.

    Pour ce qui est de l’esprit de l’Aïkibudo, il s’agit là encore d’un état d’attention et de disponibilité. Le but ultime de la pratique est le wa no seishin, littéralement « harmonie divine ». Ce mouvement qui consiste à projeter l’adversaire dans la dynamique qu’il a lui-même généré par son attaque, pourrait être traduit par « l’harmonie du corps et de l’esprit ». Le wa no seishin est à la fois un éducatif qui apprend au débutant le sens du mouvement, de l’esquive, de la distance. Mais après de longues années, il devient ce vers quoi chacun doit essayer de tendre. Parfois, nous réalisons le mouvement juste, qui s’est construit au bon moment et de façon adéquate par rapport à l’attaque. C’est un moment de plaisir partagé pour Uke et Tori. C’est le sens et l’esprit de l’Aïkibudo.

    Néanmoins, il serait tentant de tricher et de vouloir griller les étapes. Le wa no seishin ne peut exister que s’il est vrai, c'est-à-dire que s’il répond à une attaque franche et volontaire, et non à une attaque convenue et vide de substance. D’où la nécessité d’une pratique réaliste. Pourtant l’esprit de l’Aïkibudo n’est pas belliqueux ni agressif. Par conséquent, chaque pratiquant, lorsqu’il devient Uke, ne pratique plus l’Aïkibudo, et accepte, pour les besoins du mouvement et la progression de son partenaire, de jouer le rôle de l’agresseur. C’est pourquoi l’enseignement de l’Aïkibudo inclut l’apprentissage de techniques d’attaques franches et réalistes, mêmes si ces attaques ne sont pas « dans » l’esprit de l’Aïkibudo.

    Par conséquent, l’Aïkibudo est une rencontre entre deux ou plusieurs partenaires qui, pour les besoins du mouvement et de l’évolution mutuelle, acceptent, à tour de rôle, de jouer l’agresseur et d’offrir leur attaque, franche et réaliste, pour la progression de l’autre. Et lorsque le mouvement est terminé, on se salue et on redevient partenaires.

    À travers ce jeu de rôles, l’Aïkibudo constitue ce qu’il y a de plus cher : un espace d’échange et d’amitié.

     

    D’après A. Floquet, Besançon, février 2005

    (recueilli et mis en forme par Christophe Gobbé)

     





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