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    SAISON 1970/1971  

    De 1971 à 1975 : s'aguerrir…

    Malgré la mauvaise expérience de Malaunay, j’avais décidé de récidiver et, avec un ami, maire adjoint à Bois-Guillaume, nous avons organisé un Gala d'Arts Martiaux dans sa bonne ville, le samedi 20 mars en soirée. Grâce aux relations de mon ami avec les médias, ce fut un vrai matraquage publicitaire, avec de grands articles dans la presse et annonce à la TV régionale. Je devais, selon un grand journal local, démontrer « la mystérieuse et déconcertante (encore!) efficacité de l’Aïkido du groupe Michujuki »... Malgré les prédictions pessimistes, le gymnase était comble et il fallut apporter des dizaines de chaises pour installer tout le monde. Notre Aïki, passant après le Judo et le Karaté, qui étaient présentés par d’excellents techniciens 4ème dan, tira royalement son épingle du jeu. La foule apprécia notre démonstration spectaculaire et acrobatique. La presse parla de « chef-d’œuvre de violence » ! Il est vrai que nous étions déjà loin de l'ancienne définition de l’Aïki : Donne-moi ta main que je te fasse mal ! Je m’étais attiré l'amitié de jeunes et talentueux profs de Judo et je participai à toutes leurs rencontres :

    28 / 02 : démonstration aux championnats de Normandie toutes catégorie
    14 / 03 : démonstration à la rencontre interclubs d’Elbeuf. Ce fut la démonstration dont je garde le meilleur souvenir. Un petit tatami, et le public assis autour, tout près, le rêve pour un myope. Démonstration, conférence, causerie, cours, tout à la fois, devant deux cents personnes intéressées et intéressantes.
    20 / 03 : Gala d'Arts Martiaux à Bois-Guillaume
    03 / 04 : démonstration à la rencontre interclubs de Darnétal
    04 / 04 : démonstration à la rencontre interclubs d'Évreux
    17 / 04 : démonstration à la rencontre interclubs de Saint-Étienne-du-Rouvray
    08 / 05 : démonstration à la rencontre interclubs de Karaté à Grand-Couronne
    20 / 05 : démonstration à Bois-Guillaume 20 / 06 : nouvelle démonstration à Évreux.  

    On parlait de nous, nous étions appréciés, nous étions jeunes et heureux ! Je faisais le clown sur scène avec ma petite fille de trois ans et je m'amusais comme un fou. Un jour, mal lunée, elle se sauva en hurlant et je me fis traiter de bourreau d'enfant !
    J'avais pu ouvrir une section à Bois-Guillaume grâce à Noël, un de ces jeunes champions, profs de Judo, qui avait accepté de raccourcir un de ses cours : je pouvais enseigner le lundi de vingt heures trente à vingt-deux heures et le samedi de dix-sept heures à dix-neuf heures. Les judokas installaient le tatami et nous le démontions. Noël suivit assidûment mes cours pendant deux ans et amena plusieurs de ses collègues, certains espérant peut-être des promotions très rapides...
      « La section Aïkido de l'Amicale de Malaunay organise, le samedi 12 juin à partir de quatorze heures trente et le dimanche 13 juin dans la matinée, à la salle des sports de Malaunay, un grand stage d’Aïkido Mochizuki dirigé par le maître Alain Floquet, 5ème dan, directeur technique du groupe Mochizuki à l'échelon national. Ce stage exceptionnel, gratuit, sera ouvert à tous les licenciés en Aïkido. Les judokas et karatékas intéressés par l’Aïkido sont cordialement invités à venir s'initier et seront accueillis dans la limite des places disponibles.... »
    12 juin 1971, à onze heures trente, monsieur Floquet, muni d'un plan détaillé que je lui avais fourni le samedi précédent, arriva à mon domicile au volant de sa VW coccinelle verte. Il n'est pas courant de voir un Maître 5edan jouer avec un petit chien et deux enfants en bas âge, c'est du moins ce que je croyais, moi qui, encore émerveillé de pouvoir revêtir le hakama bleu nuit, privilège des titulaires de la mythique ceinture noire, croyais que ce niveau était exceptionnel et réservé à des êtres exceptionnels et… inapprochables.  

    De 1971 à 1975 : s'aguerrir…

    Cent soixante mètres carrés de tatami avaient été rassemblés dans le gymnase de Malaunay. Que la paille fut donc dure à nos reins fragiles, surtout quand nous essayâmes les chutes planantes à la mode Floquet : prenez un bon élan, faites un bond horizontal le plus haut possible au-dessus du sol en cambrant le cou, dès que vous amorcez la descente, rentrez la tête... Bien entraîné, il est facile de sauter ainsi par-dessus sept ou huit partenaires allongés côte à côte, et nous n'allions pas tarder à devenir des spécialistes de ce genre d'acrobaties.

    De 1971 à 1975 : s'aguerrir…

    Stage vigoureux, ouvert, coopératif, sous le signe de la compréhension. Malaunay, Rouen, Caudebec-en-Caux s'étaient réunis et, peut-être, trouvés. La « famille » de l’École Mochizuki se rassembla le soir autour d'un joyeux repas, puisque ce genre de repas, dans nos mémoires, est toujours joyeux, d’autant que l'anarchiste que j'étais apprit qu'il était l'ami de royalistes! Ce fut l'occasion d'une polémique d’une drôlerie irrésistible avec un fervent cégétiste. Un climat s'instaura, celui qui naît chaque fois que des hommes animés par un même idéal  s'assoient à la même table. Les cœurs s'ouvrent. Des liens ténus se tissent de l'un à l'autre, infiniment fragiles, prompts à se sublimer au premier soleil. Les feux de la Saint Jean, le soleil déjà chaud à notre coucher, une matinée sportive et courbaturée... Cadeau rituel : Guy offrit au maître une bouteille de vieux calva. Il faisait chaud. La coccinelle verte cahotait. La bouteille de vieux calva se brisa. Le précieux nectar s’évapora. Le maître arriva chez lui pompette…  

    4/18 juillet 1971

    C'est tout naturellement que du stage d'Houlgate à celui de Malaunay, en passant par les après-midi à l'ASPP, nous nous sommes retrouvés à Beauvallon, dans le golfe de Saint-Tropez. Le village de vacances de Beauvallon était une sorte de précurseur du Club Méditerranée. Des paillotes disséminées dans une pinède. La monnaie courante constituée de perles à assembler en colliers ou en bracelets que l'on achetait au Drugstore, toute utilisation de monnaie courante étant prohibée. Cette méthode permet d'arrondir tous les tarifs et de dépenser beaucoup plus sans s'en rendre compte. Une zone de bruit à proximité du dancing, bar, lieu de rencontres.
    Une zone dite familiale, où devrait régner le silence, c'est là que j'avais réservé pour une semaine avec ma jeune femme, c’était notre voyage de noces, cinq ans et demi après notre mariage. Nos deux enfants et Pollux, le petit cocker, étaient confiés à mes parents.
    Nous sommes partis vers 14 h, direction Chartres, Orléans, Nevers, Saint Étienne, Arras (pas dans le Pas-de-Calais!), Aix-en-Provence.  Nous roulons tout doucement, le jour se lève, c'est féerique. L'étroite route sinueuse traverse le massif de l'Esterel, les derniers kilomètres sont parcourus au ralenti, pour arriver juste à l'heure de l'ouverture. Nous avons pris possession de notre paillote, très rustique : les matelas étaient posés sur des planches, mais il y avait quand même l'éclairage électrique...
    Geste symbolique, je rasai ma barbe, une nouvelle ère venait de commencer. C'était devant les lavabos, alors que j'enlevais les derniers poils de mon menton, que je rencontrai mon maître qui venait se brosser les dents. Nous prîmes notre petit déjeuner ensemble, décidâmes qu'il n'était pas plus mal de prendre tous nos repas en famille, puisque c'étaient des tables de six, Alain Floquet, sa femme et ses trois enfants, ma femme et moi-même.
    La coutume du Club du Golfe Bleu exigeait que nous changions de place à tous les repas. Il fut décidé que nous ne respecterions pas ce règlement. Et puis restait à établir notre emploi du temps. Voici ce qui fut décidé :   8h/9h Aïki 9h/10h petit déjeuner 10h/11h (plus souvent 11h30) Aïki 13h45 déjeuner 18h30/19h30 (plus souvent 20h15) Kendo 20h45 dîner   Le reste du temps était libre, c'est-à-dire bronzage et jeux d'eau divers, le plus souvent plongée en apnée... À ce rythme-là, il n'y a pas à s'inquiéter, on retrouve la ligne, même si les repas étaient pantagruéliques et si les robinets ne se contentaient pas de produire de l'eau : deux robinets fournissaient un remarquable rosé, frais à souhait, propre à éviter les ambiances moroses !
    Je passai la première semaine sur le tatami en compagnie d'un petit bonhomme velu comme un gorille et sombre comme une nuit sans lune, et qui allait devenir un de mes amis les plus chers, le Tarbais Edmond Royo, dit Monmon, avec qui je devais tracer un long et profond sillon dans le monde des Arts Martiaux.
    J'eus le plaisir de rencontrer pour la première fois Claude Jalbert, président du groupe Mochizuki, propriétaire d'une villa et d'un Chris-craft à Saint-Tropez. Alain Floquet nous présenta. Je fus convié à la découverte de la baie par la mer et je visitai le tout neuf Port-Grimaud.
    Je découvris dans le Kendo un sport passionnant et épuisant. J'étais convaincu qu'il fallait l'enseigner en Normandie. Notre style d’Aïki intéressa beaucoup les judokas, la plupart de très haut niveau, Mounier qui brillait sur tous les tatamis d’Europe, Guichard qui allait devenir directeur technique de la FFJDA, Henri Courtine qui fit une apparition, les poids lourds Brondani et Richkoff, j'en oublie, et des meilleurs, et tout ce beau monde était entraîné par le superbe Peter Hermann, géant blond et bronzé au sourire de play-boy. Nous avions un public assidu de ces beaux athlètes, mais aucun ne se décida à monter sur le tatami.
    Dans le petit groupe de stagiaires, un Hollandais, Teunis Tromp, 5ème dan de Judo et de Karaté, nous époustoufla par ses facultés d'assimilation : il atteignit le niveau de 1er kyu en deux semaines ! Alain Floquet s'inquiétait quotidiennement de savoir si ce stage m'apportait quelque chose. Il semblait pressé de m'enfoncer le plus possible de connaissances dans la tête, c'est pourquoi Monmon et moi étions parés pour le 3ème dan à la fin de la semaine.
    Fin de la première période. Monmon rentre à Tarbes. Je suis inscrit pour une semaine seulement, je dois aussi repartir. L'idée de ce départ sembla chagriner les Floquet. Alain insista pour que je reste, il pouvait intervenir auprès de la direction pour m'obtenir une autre semaine... Mais un jeune instituteur ne disposait pas de fonds illimités et si je restais, je n'avais plus les moyens de suivre le stage! Alain m'offrit généreusement ses cours, et je restai.
    Si du 5 au 10 juillet, ce fut un travail extrêmement sérieux en compagnie de Monmon et de Teunis Tromp, le 6 juillet vit l'arrivée de Jacques et Bernard,  très bons pratiquants mais perturbateurs et irrévérencieux.
    Et cette semaine-là, les attractions n'allaient pas manquer. Mercredi 14 juillet, à vingt-deux heures, incendie dans la pinède. C'est l'affolement général. J'organisai un déménagement de la zone « familiale », j'emmenai à l’abri, sur la plage, toute une colonie d'enfants et de nourrissons que je chargeai dans ma voiture après en avoir éjecté une bande de barbus affolés. Pendant ce temps, notre bon maître et Bernard allaient participer à la lutte contre les flammes.
    Jeudi 15 juillet, à quatorze heures, nouvel incendie vite maîtrisé. J'emmenai ma femme visiter Juan-Les-Pins en compagnie de Jacques et Bernard. Nous étions accoudés à un muret qui surplombait la plage, et nous contemplions les jolies demoiselles qui faisaient bronzette deux ou trois mètres en dessous.
    C'est alors que Jacques nous montra son humour plein de finesse. Bernard était assis sur le muret, il le balança en bas, sur les minettes. La plaisanterie fut appréciée à sa juste valeur. Ensuite, le plaisantin s'en alla téléphoner à sa dulcinée restée à Paris. Puis, planant de joie d'avoir entendu la voix de sa belle, il offrit un collier de corail à ma belle.
    18 h : Gala d'Arts Martiaux au village de vacances... Le maître est en pleine forme et, au cours de la démonstration de Ken Jutsu, il assomme proprement Bernard. 22 h : Jacques est malade d'amour et reprend le train pour Paris. Le 18 juillet, nous reprenions à notre tour la route du nord.
    Une anecdote : Alain Floquet n'ayant pas rapporté assez d'argent au Village du Golfe Bleu, dorénavant, son stage n'y aurait plus lieu...  

    Juillet 1972

    J’ai réussi à organiser un stage à Dieppe. Je devais diriger la première semaine et Alain Floquet la seconde. Nous avions prévu un cours de Kendo mais nous n'avions pour tout matériel que nos Shinais. À la dernière réunion de bureau, le comité directeur de la section de Judo de l'USCB, à la demande de son président, m'accorda une subvention de mille deux cents francs, ce qui me permettait de faire l'acquisition de deux armures de Kendo !
    Le 15 juillet au matin, j'allai poser une petite caravane, qu'un aimable voisin m'avait prêtée, au camping Saint-Nicolas, sur les hauteurs de Dieppe. Le 15 juillet à midi, je pris la route de Nanterre, où se trouvaient les magasins de La maison du Judoka, qui pratiquait alors les prix les plus bas.
    Le 15 juillet à dix-huit heures, j'étais à l'entrée de Dieppe, de retour avec mes deux armures toutes neuves. Il me fallut une heure et demie pour traverser la ville, tant le flot des vacanciers était dense. J'allais donc être responsable d'une semaine de stage d’Aïki et de Kendo. Parmi les stagiaires, j'attendais Teunis Tromp et un groupe de Hollandais. Au camping, une petite tente attira mon regard : elle était ornée d'un drapeau blanc avec un soleil rouge. C'était le repaire de monsieur De Jong, un grand buveur de bière qui réinsérait des pré-délinquants dans la vie active en leur faisant pratiquer les Arts Martiaux.

    De 1971 à 1975 : s'aguerrir…

    Geste symbolique : je rasai ma moustache et ma barbichette que j’avais laissé repousser après Beauvallon. J'avais l'air d'un galopin. Quand je commençai mon premier cours devant une vingtaine de stagiaires de Belgique et de Hollande, du Nord, et de Normandie, l'un d'eux ne put s'empêcher de dire : « Mais, que vous êtes jeune, monsieur Tellier ! ». Nous pratiquions le Kendo le matin et l’Aïki l'après-midi. Le maître du Centre marin, qui nous hébergeait, employait l'été de solides maîtres nageurs issus du CREPS d'Houlgate. L'un d'eux était aussi un judoka déjà expérimenté et voulut s'initier au Kendo. Je l'invitai volontiers à participer à un cours. Mais, au bout d'une centaine de Suburi (frappes dans le vide), il en eut assez et, conscient de sa condition physique exceptionnelle, voulut « tirer une petite bourre ». 

    De 1971 à 1975 : s'aguerrir…

    Soit. Je le revêtis d'une armure et lui proposai comme premier adversaire le doux Jean-Marc. Jean-Marc est doux mais n'aime pas les fiers-à-bras. Il lui colla une sévère correction, je vis le grand gaillard s'agenouiller et demander pardon. Il renonça définitivement au Kendo !
    Mon ami Alain (pas le Maître !) était inscrit au stage. De son premier initiateur en Aïkido, une sorte de colosse bourru, il n'avait pas acquis un style particulièrement fluide, et ses attaques étaient remarquables de « sincérité ». Je le savais bon chuteur, mais je fus pris d'inquiétude, ce jour-là, quand je le vis faire le moulin à vent entre les robustes pattes de Teunis Tromp. Et Alain attaquait en poussant des Kiai suraigus, et Teunis l’alpaguait et le jetait comme un sac de vieux chiffons. Et Alain rebondissait comme une balle de mousse et repartait à l'attaque... Craignant l'accident, j'arrêtai les frais d'un « YAME » énergique.
    Je pris Teunis à part :   « Vous y êtes allés un peu fort, je croyais que vous alliez le casser !  - Maître, vous m'avez dit vous-même que la riposte doit toujours être proportionnelle à l'attaque, non? - Oui, bien sûr !… » Que pouvais-je donc ajouter ?  
    Notre deuxième semaine fut dirigée par Alain Floquet. Il m'initia à la plongée sous-marine. Dans la Manche, c'est plutôt osé, car on n'y voit pas dans un rayon de deux mètres. Le moniteur, me sentant à l’aise, me fit pourtant descendre à vingt mètres de profondeur en suivant un câble de bouée. En remontant, j'eus la surprise de me mettre à saigner du nez. Il paraît qu'un baptême doit se faire à moins de dix mètres...
    Le rythme impulsé au Kendo allait être bien différent de celui que j'avais donné la première semaine. Le thème était « condition physique avant tout ». Et combat, et combat et encore combat! Le style était simple : vous prenez un partenaire, vous le placez devant vous et vous le frappez sur la tête jusqu'à ce qu'il soit à moitié enfoncé dans le sol ! Et Bing ! Sur ma tête. Et Bing ! Sur sa tête. Et Pan ! Sur mon bras, et Pan ! Sur son bras. Deux teigneux, l’un, très fort, voulant montrer sa supériorité, l’autre, opiniâtre et dur à l’ouvrage, ne voulant pas céder. À un moment, Alain s'arrête, me désigne le sommet de son crâne et me dit : « Tu sais, je n'aime pas quand on me tape là, ça fait mal ! ». Alors, je lui montre le sommet de mon crâne et lui dis : « Tu sais, je n'aime pas quand on tape là, ça fait mal ! »... Et nous avons recommencé à nous taper dessus et à casser des Shinais. Mais qu'il était fort, le bougre !
    Les Floquet étaient installés dans une jolie gentilhommière. Les stagiaires étaient logés au Foyer du Jeune Travailleur ou au camping. Nous prenions nos repas de midi à la cantine de la SNCF. Le directeur du Centre de thalassothérapie et de la piscine était un ancien de l'ASPP et sa ceinture noire, datée de 1961, avait été signée par Jim Alcheik, le fondateur de l’École Yoseikan en France ! Personnage rayonnant, il connaissait tout le monde et semblait tout pouvoir ! Une vraie rage de vivre. Il m'avait pris en affection et voulait à tout prix que je devienne plus que je n'étais. Mais je n'étais pas pressé. Ce stage fut éprouvant, je n'avais pas encore la stature suffisante pour assumer ce type de responsabilités et je me demandais souvent si quelques-uns des stagiaires n'en savaient pas plus que moi.  

    Juillet 1973

    Je dirigeai le deuxième stage de Dieppe du 2 au 13. Puis je pris la route de Royan pour retrouver mon ami Royo. Nous avions décidé de faire un stage avec Hiroo Mochizuki du 15 au 28 juillet, car Alain Floquet n'avait rien organisé cette année-là. Peut-être devait-il aller au Japon ? Je ne me rappelle plus. Ce furent deux semaines de pluie quasi incessante. Ce furent aussi deux semaines consacrées aux coups de poing et de pied. J'en gardai une tendinite pernicieuse au niveau des adducteurs et le dégoût définitif du Yoseikan Budo en gestation... Un stagiaire dit même avec humour : « J'aurais dû faire un stage de Karaté avec Valéra, j'aurais peut-être fait un peu d’Aïki ! ». Dommage, j'avais tant apprécié Hiroo en 1969.  

    Août 1974

    Je partis avec Edmond Royo suivre le stage d'Alain Floquet à Saint-Raphaël. Nous logions dans une sorte de village de vacances où nous apportions notre caravane ou notre tente, mais où un service de restauration préparait les repas. Les cours avaient lieu dans un très joli centre sur les hauteurs de Saint-Raphaël. Jacques Normand, de retour d'un séjour de cinq ans au Japon, affichait un masque impénétrable et donnait des cours de Kyudo : tir au Makiwara à un mètre, puis à trois mètres. C'est ainsi que l'honorable monsieur De Jong, qui sortait des douches, reçut une flèche dans la fesse et fut très mécontent. Connaissez-vous la plage de Saint-Raphaël ? Mes deux petits jouaient dans le sable et en sortaient des dizaines de mégots! Les bains de mer leur laissèrent conjonctivite et sinusite. Je hais Saint-Raphaël !  

    Juillet 1975

    Alain Floquet avait projeté un voyage au Japon. Or, à la même date devait se tenir le stage de Saint-Raphaël. J’ai donc eu la surprise, au mois de mai, de recevoir une circulaire du Cera annonçant que le stage aurait lieu sous ma direction. Et c'est ainsi que je reçus une douzaine d'inscriptions de Hollande, dont celle de Jaap Hoogendam, futur fondateur du Cera hollandais.
    Je partis avec ma femme par le chemin des écoliers. Rouen, Évreux, Dreux, Chartres, Orléans. Nuit calme au bord de la Loire à Nevers. Moulins, Clermont-Ferrand, Le Puy. Là, un moment d'inattention, je manque de griller la priorité à un jeune homme en 2 CV. Au premier feu rouge, je lui présentai toutes mes excuses. Feu vert. Démarrage. Une descente. J'accélère. Une DS démarre sous mon nez. Me coupe la route. Je freine pile. La 2 CV arrive derrière, le chauffeur n'a rien vu et m'emboutit. Un cri! Ma femme vient de subir le coup du lapin... Ses lunettes de soleil ont été projetées dans le coffre arrière de notre R6! Hôpital, sacs de sable pour maintenir la nuque. Des heures d'attente. Pendant ce temps, je devais m'occuper de la voiture. L'aile arrière était enfoncée jusqu'au réservoir. Le cache-feu arrière droit était en miettes.
    C'était un samedi ! Nous étions jeunes et beaux. Et sympathiques. Les gendarmes étaient très serviables. Ils nous trouvèrent une place au camping du Puy. Ils me conduisirent au bureau local de mon assurance, la MAIF. Coup de chance, il y avait une permanence. La jeune fille, charmante, me recommanda un carrossier, tout près. Les gendarmes m'avaient dit qu'ils me laisseraient rouler comme ça mais que leurs collègues d'à côté m'arrêteraient inévitablement. J'arrivai chez le carrossier. Un homme aimable, qui s'apitoya sur ma bonne mine. En principe, il ne travaillait pas le samedi après-midi, mais je devais commencer mes cours à Fréjus le lundi matin! Alors, il redressa la pauvre aile froissée et se mit en quête d'un cache-feu d'occasion. Il le trouva. Le posa. Redressa de la tôle, car ça s'ajustait mal. Refusa de me faire payer, me souhaita bonne route et bonne santé à ma femme. La pauvre ! Elle était restée plusieurs heures sur sa table, la tête maintenue par les sacs de sable ! Puis quelqu'un s'est aperçu qu'elle était là. On lui a fait passer une radio. Il n'y avait rien de visible. « Pouvez partir ! Bon vent ! »
    Le lendemain à l'aube, nous sommes partis pour Fréjus où nous arrivâmes en début d'après-midi. Nous avions un emplacement réservé pour camper dans la cour d'un lycée. En fin d'après-midi, nous sommes allés rendre à Marcel, le responsable des stages. De retour au camping, mauvaise surprise, des fâcheux s'étaient installés près de notre tente et, probablement durs d'oreille, faisaient hurler leur autoradio. Fort aimablement, je les priai d'arrêter la musique. Le propriétaire, fort de son état de karatéka, le prit plutôt mal, s'en fut chercher son Nunchaku (fléau utilisé autrefois pour battre le riz et aujourd’hui pour jouer les casseurs) et entreprit de m'impressionner avec force moulinets. Je m'en fus chercher ma « canne », décrivis force moulinets et montrai que j'avais plus d'allonge que mon vis-à-vis. Celui-ci rangea son fléau et éteignit sa radio.
    Les karatékas se montrèrent odieux, saccageant les lits, les armoires et les lavabos du lycée! Marcel, très versé en publicité, m'avait promu 5ème dan dans la presse régionale, et cela me valut beaucoup de respect de la part des pratiquants des autres disciplines. On vint même chercher le « maître d’Aïki » chaque fois qu'il y avait un blessé car, de toute évidence, j'étais censé savoir réparer, guérir, et tout, et tout! Mais je me contentai d'ôter les migraines, ma spécialité. Ce fut un stage de rêve. J'inscrivis tous mes chers Bataves au Cera, ce qui fit que, dès la rentrée suivante, le Cera hollandais était mieux structuré que le Cera français

    De 1971 à 1975 : s'aguerrir…Marcel et son fils étaient des compagnons particulièrement plaisants. Les Hollandais et les quelques Français, des stagiaires très agréables. J'allais vraiment prendre goût à l'animation de stages. Peu avant notre séparation, les Hollandais me prièrent de venir leur rendre visite à Den Haag, dès que je le pourrais. Je leur promis que je ferais tout ce qui était possible pour aller dans leur lointain pays. Une longue amitié commençait à se tisser. Et ceci est une autre histoire…  

     

       





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