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    69 ans ! Un sacré cadeau !

     

    Dimanche matin. Préparation de mes trois candidats au grade supérieur. Jaafar voit, observe et analyse. Son esprit est très analytique. Il sait décrire une sensation qu’il vient d’éprouver et expliquer le mouvement qu’il a ressenti.
    « Vois, le Maître garde les bras tendus et ainsi, il se trouve à la bonne distance, il est bien placé. »
    L’Aïkibudo est un merveilleux outil mis à notre disposition pour nous aider à nous libérer, à casser les réflexes conditionnés pour laisser place aux sensations et aux réactions adaptées.
    C’est ce que je m’efforce d’enseigner, c’est une longue Voie, ça représente plus de 40 années de mon existence.
    La quête de la liberté n’est pas exempte de pièges. On peut briser un vieux conditionnement pour se laisser prendre à un nouvel automatisme.
    J’ai eu un esprit analytique, j’ai été un observateur critique. On m’a autrefois appelé « le théoricien de l’Aïkibudo » ! L’aisance peut se laisser prendre aux rets de la facilité.
    Ma paresse naturelle m’a permis de me laisser succomber aux délices de la sensation. J’exécute un mouvement comme il vient, sans objectif particulier et la technique se place. Misère, je ne sais pas expliquer ce que j’ai fait !

    Jaafar me dit : « Maître, vous placez votre poignet comme ça, vous utilisez les doigts de telle façon et la clé est placée... », alors l’esprit critique et analytique se réveille, fait le tri dans les 40 années de souvenirs stockés dans les méandres du cerveau et retrouve l’explication, la justification de chaque étape du mouvement. Forme de base, variantes, annexes sont finalement expliquées de façon aussi rigoureuse et ordonnée qu’il me semble souhaitable de le faire. Attention à ne pas s’endormir dans le confort de la liberté !

    Bilan du cours du 12 mai 2010

    Mercredi soir, à 18 h, j’ai retrouvé Pierre et Jeannot pour une heure d’entraînement informel. Diverses techniques manuelles sont abordées dont une ébauche de stratégie vers les Wa no Seishin. Nous avons travaillé avec le Jo. Défense à mains nues contre un adversaire armé puis utilisation du Jo pour le maîtriser. Il faut l’inciter à s’emparer du Jo car tant que la pointe est dirigée vers lui, il ne bougera pas... Diverses opportunités s’offrent suivant que Tori présente le Jo en garde haute ou en garde basse. Projections, immobilisations, clés...
    Ensuite, nous abordons la recherche des mêmes sensations à mains nues. Uke saisit le bras de Tori de façon analogue à la saisie du Jo : au poignet et au niveau du coude. Tori décrit avec son bras saisi le même mouvement qu’il avait décrit avec le Jo. Irimi suivi de renversement direct, O Irimi accompagné de grandes évolutions...
    Les autres participants sont arrivés et ont commencé à s’échauffer. Mon intention, ce soir, est de donner un cours les obligeant à s’investir, à donner le maximum d’eux-mêmes en leur proposant un entraînement de type compétition. Je vais employer une nomenclature empruntée au Judo, entendre des noms différents permettra peut-être d’oublier des habitudes erronées.
    Qu’ils soient Tori ou Uke, beaucoup d’élèves partent perdants. Uke cesse d’attaquer dès qu’il entre en contact avec Tori, il chute avant de subir une action, en fait non, il ne chute pas, il se laisse tomber et s’écroule, moitié du corps tout mou, l’autre moitié absolument raide. Tori pense « qu’il n’y arrivera pas » alors, il n’entre pas, ses bras se relâchent mais comme Uke cède, il croit avoir réussi sa technique.
    Partir avec l’illusion de gagner donne un résultat tout aussi faux, avec une gesticulation aussi inutile et inesthétique qu’inefficace.
    Entrer avec un esprit de décision. Perdre ou gagner n’a aucune importance du moment que ce soit avec l’intention d’aller jusqu’au bout et d’agir avec élégance... Générosité et don de soi.
    Le cours commence par une série classique d’exercices d’esquives intérieures et extérieures.

    O Irimi sur Tsuki Chudan, par groupes de 4. J’ai introduit cet exercice dans notre belle région il y a bien... 40 ans ! Et chaque fois, j’ai l’impression que je le fais exécuter à des débutants. Toutes les inhibitions, toutes les représentations chimériques, toutes les erreurs s’expriment avec une prodigalité infinie ! Je les ai prévenus au début du cours mais ça les a fait sourire : ce soir, je vais grogner, comme au bon vieux temps !

    Travail en ligne, le plus ancien au centre. Chacun doit attaquer à son tour puis reprendre place au bout de la ligne. C’est difficile parce qu’on confond vitesse et précipitation. Tori doit se placer au centre de la file et esquiver « sur place », c’est lui qui organise l’exercice.

    Enchaînement, par groupes de 4, sur Omote Yokomen Uchi, Kubi Otoshi, forme fluide, avec roulade.
    Pourquoi les élèves sont-ils allergiques aux roulades ? Plus ils sont approximatifs au niveau technique et plus ils se livrent avec délectation aux brise-chutes ! C’est nocif pour la colonne vertébrale et ça durcit le travail du groupe.

    Uki Otoshi. Uke tente de saisir Tori au niveau des coudes. Tori entre Irimi en le repoussant et le saisit au revers et au coude. Sur réaction de Uke qui revient vers l’avant, Tori recule en posant le genou au sol et projette Uke avec une grande action des bras (sensation de tourner un grand volant).
    Une variante est possible, Tori reste debout en effectuant sa projection. Les 2 acteurs doivent agir avec détermination, la chute est nettement plus rude, la roulade n’est pas possible.

    Bilan du cours du 12 mai 2010

     

    Yoko Otoshi. Même attaque, même riposte. Sur le temps de réaction, Tori glisse son pied droit vers l’extérieur et lance sa jambe tendue devant Uke qu’il entraîne avec le même mouvement de « volant » vertical que précédemment. L’axe de la projection est perpendiculaire à la jambe de Tori.

    Bilan du cours du 12 mai 2010

    Sumi Gaeshi. Même attaque, même riposte. Sur le temps de réaction, Tori glisse son pied droit entre les jambes de Uke et lance sa jambe tendue devant lui. Il l’entraîne en plaçant le pied droit sous le pli du genou arrière qu’il entraîne dans l’axe de la chute pour accentuer le déséquilibre, les bras l’entraînant avec le même mouvement de « volant » vertical.

    Bilan du cours du 12 mai 2010

    Application en Uchi Komi : Tori entre 9 fois Yoko Otoshi,  Uke le retient et chute à la 10e entrée.

    Koshi Nage, formes variantes. Entrée directe ou O Irimi.

    Uke attaque en Ryote Dori.
    Ryote Dori Koshi Nage : forme de base.

    Uke tente une poussée ou une saisie à hauteur des épaules. Tori le contrôle en Ryo Sode Dori.
    Ryo Sode Dori Koshi Nage en passant le coude sous les bras de Uke.

    Application en Uchi Komi : Tori entre 9 fois et projette Uke à la 10e entrée.

    Uke attaque en Ryote Dori.
    Ryote Dori Koshi Nage, projection avec la « hanche flottée » : l’exécution est plus rapide et aérienne. Uke est « enroulé » horizontalement autour de la ceinture de Tori.

    Tsuki Chudan Kote Gaeshi Koshi Nage : entrée de Kote Gaeshi. Uke se tasse pour refuser la projection. Tori enchaîne la forme Neji Kote Gaeshi en tendant le bras de Uke, entre et projette en enroulant le bras de Uke autour de sa hanche.

    Omote Yokomen Uchi Shiho Koshi Nage : Tori entre Shiho Nage. Quand Uke est fixé, il entre et projette en « hanche flottée ».

    Uchi Komi. Geiko. Randori. Les élèves sont à la limite de l’épuisement. Il faut rechercher le plaisir de se donner à fond, de dépasser ce qu’on croit ses limites. Des jeunes gens de 40 ans et moins ne doivent pas être impressionnés par les performances physiques d’un vieux monsieur presque septuagénaire.
    Mais le vieux monsieur se croit sensé et les cours se suivent et se ressemblent. Soit un grand sec maladroit sur lequel son partenaire ne parvient pas à placer Kote Gaeshi Koshi Nage. Soit un professeur chevronné qui n’oublie jamais de donner des conseils de prudence aux jeunes enseignants : ne jamais jouer le rôle de Uke pendant un cours, éviter les maladroits et les brutaux en démonstration...
    On arrive à la fin du cours, tout le monde est fatigué et le professeur veut aider un grand sec maladroit en lui faisant sentir la technique. Tsuki Chudan. Esquive. Kote Gaeshi. Entrée du Koshi... le grand sec se bloque, se cramponne au sol en pliant son bras pour résister à la tension. Le vieux professeur continue son mouvement et sent le coude du grand sec lui enfoncer les côtes au niveau du sternum... plus de voix pendant quelques secondes, il est en colère, contre le grand sec qui n’y est pas pour grand-chose si ce n’est d’être très maladroit, et surtout contre lui-même qui commet sans arrêt les mêmes imprudences comme s’il n’avait rien appris pendant ces décennies d’enseignement.
    Le diagnostic est redoutable : fracture du cartilage. Un minimum de 6 semaines d’immobilisation. Clôture de la saison. En guise de cadeau d’anniversaire !

    Plus nous nous sentons libres parce qu’on nous dit que nous sommes libres, plus nous acceptons de faire ce qu’on nous demande. (citation lue dans S&V JUNIOR et dont j’ai oublié l’auteur)

    Peut-être faut-il être manipulateur pour obtenir de ses élèves adultes qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Si on dit quotidiennement aux petits élèves d’une classe primaire qu’ils sont mignons, qu’ils travaillent bien, que c’est la meilleure classe qu’on ait connue, ils sont heureux de venir en classe, le niveau s’élève et certains parviennent même à un niveau d’études a priori hors de leur portée.

    Ne sois pas plus sage que nécessaire, tu deviendrais stupide. (L’Ecclésiaste)

    Pardonnez-moi, amis lecteurs, j’étais maussade en rédigeant ces lignes. Mais est-il possible de narrer un moment de vie qui se déroule comme une tragédie classique avec hauteur et sérénité ? Des personnages aux traits grossis, des éclairages contrastés, des faits amplifiés pour donner le beau rôle au héros. De discrètes ouvertures pour offrir une chance d’absolution aux méchants. Le décor est planté. L’intrigue se noue, le suspens s’épaissit... blessure du héros, il faut bien finir l’histoire et faire pleurer dans les chaumières !
    En fait, ce soir-là, personne n’a démérité. Les élèves sont toujours aussi attentifs aux démonstrations et aux corrections, soucieux de progresser et d’effectuer le mouvement le plus précis. Le niveau a juste été élevé d’un cran à l’intention des candidats... Les plus jeunes se sont efforcés de suivre le rythme en fonction de leurs compétences.

    Ce temps hivernal qui n’en finit pas est source de fatigue, donc d’incidents, tout simplement.  

    Bilan du cours du 12 mai 2010
    et on a bien sué !

     

     





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