• Betty

     

    Betty

        Betty nous a quittés, vendredi matin. Elle m’a regardé avec ses bons yeux pleins d’interrogation puis elle a posé sa tête dans le creux de ma main et s’est endormie, tout doucement...

    Betty

      Notre amie Corinne nous avait invités à dîner, un soir de la mi-février 2002. À la fin du repas, elle m’a dit : « Attends, j’ai une surprise pour toi. » et elle m’a déposé dans les bras un amour de boule de poils noirs et roux. « Prends-la à l’essai, si elle ne te convient pas, je te la reprends ! ». Comme si c’était un meuble...
    J’ai regardé la petite peluche toute pelotonnée contre moi et je lui ai murmuré : « Je t’adopte et je te promets de toujours te protéger. »
    C’était un gros bébé craintif. Éloignée trop tôt de sa mère, elle n’avait pas encore deux mois et... il lui manquait l’essentiel de l’éducation que tout chiot bien élevé reçoit d’une mère attentionnée...

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      Une part de cette éducation fut prise en charge par Gamine, une chienne à moitié Labri des Pyrénées, que nous avait confiée Corinne quelques années auparavant. D’une vivacité exceptionnelle, championne incontestée de la réception des balles de tennis, elle était avant tout gardienne de troupeaux, elle exigeait l’ordre, il fallait que chacun soit à sa place. La première fois que nous l’avions emmenée en forêt, elle avait tenté de nous ramener une harde de chevreuils !
    Nous habitions sur un terrain de 3 hectares, au bord de la forêt, sans clôtures. Elle apprit à sa petite élève les limites de son territoire.

    Betty

      Il fallut donner un nom à notre petite « fille adoptive ». J’avais pensé à Sissi mais aurait-elle compris « assis Sissi » ou « ici Sissi » ? C’est probablement en pensant à la pétulante Betty Boop que nous avons choisi de la baptiser Betty.
    Elle avait tout à apprendre, c’était une petite boule d’agressivité. J’avais tout le temps nécessaire pour l’éduquer. J'étais souvent à côté d'elle, assis ou même à quatre pattes. Si elle me mordait, je lui mordais l’oreille. Si elle avait tendance à se rebeller, à chercher à dominer, je la roulais sur le dos et je caressais son petit ventre tout doux et rebondi. Au moment des repas, Gamine lui montrait les dents et elle n’osait pas s’approcher de sa gamelle alors je me mettais entre les deux et lui donnai ses croquettes à la main.
    Elle me suivait comme mon ombre et sut vite répondre à son nom. À la moindre alerte, elle se réfugiait entre mes jambes. Mais c’était un tout petit bébé. Quand elle me suivait jusqu’à la boîte à lettres, elle s’endormait en route et je la ramenais dans mes bras.
    Elle n’était jamais attachée et fit ses premières sorties en forêt en toute liberté. Pour lui apprendre à rester près de nous, dès qu’elle s’éloignait un peu trop, nous nous cachions derrière un arbre. Affolée, elle revenait en courant à notre recherche. Elle manifestait sa joie dès qu’elle nous avait retrouvés. Elle nous chercha d’abord à vue puis elle apprit à se servir de son odorat.

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      Elle n’avait qu’un an quand je pus commencer à l’emmener en forêt à l’aube, pour surprendre cerfs et chevreuils. Elle était tentée de se lancer dans de folles poursuites mais il suffisait que je murmure « non ! » pour qu’elle s’arrête sur place et s’asseye...
    Son vocabulaire s’étendit, notamment en ce qui concernait ses jouets favoris. Elle comprit très vite balle, ballon, bâton...
    Elle jouait auprès d’un petit tabouret en bois. Elle s’était emparée de 2 petits pots en verre. Elle les disposait sur le tabouret, les faisait tomber sur la moquette, les reposait sur le tabouret jusqu’à ce qu’elle s’asseye, satisfaite : elle les avait posés l’un sur l’autre comme un petit humain fait avec ses cubes.
    Elle s’était très bien adaptée à sa nouvelle vie et a tout de suite montré un vrai sens du confort. Coussin, oreiller, couette, tout ce qui était doux et chaud lui convenait mais, par-dessus tout, elle se choisit son emplacement favori, sous l’escalier, où je lui disposai son panier.

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      La petite boule a grandi, est devenue un adorable chiot, malin, sage, docile. Elle oublia vite la déplorable habitude des chiots de sauter sur les visiteurs ou de ronger chaussures, pieds de table, et autres accoudoirs de fauteuil. Elle se livra bien à quelques bêtises, elle se fit gronder et il suffit bientôt que je lui dise : « Non, non, non ! » pour qu’elle s’arrête illico. En échange, elle s’asseyait entre mes pieds et m’observait de ses yeux interrogateurs.
    Elle apprit très vite à donner la patte pour demander quelque chose, c’est assez naturel chez les chiens. Le jour où je lui appris à faire la belle, elle comprit qu’elle disposait dorénavant d’un outil puissant pour obtenir les choses qu’elle désirait, jouet ou friandise.

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      Ayant atteint sa taille d’adulte, elle délaissa son doudou, un petit ours en peluche, pour des balles de tennis. Le chiot s’est métamorphosé. Betty est devenue une athlète mince et élancée... et sachant toujours apprécier le confort d’un canapé et d’un ou deux oreillers !

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    Son museau s’était allongé et elle s’était dotée de très longs doigts dont elle se servait pour bloquer sa balle, pour tenter de la saisir ou se livrer à une sorte de jonglage au ras du sol... Elle courait en la poussant alternativement avec ses deux « mains ».
    Elle jouait souvent avec deux balles, qu’elle plaçait côte à côte et qu’elle mordillait alternativement en les rapprochant ou en les repoussant avec sa patte aux longs doigts. Un jour, elle vint me trouver, triomphante, elle avait résolu son problème : saisir 2 balles ensemble dans sa gueule !
    De la même façon, il arrivait qu’elle me prenne la main qu’elle serrait avec force tout en me regardant de ses grands yeux interrogateurs.
    Betty souriait. Quand elle nous retrouvait après trop longtemps d'absence ou quand venait nous rendre visite quelqu'un de notre famille ou de nos amis, elle montrait les dents, toute frétillante.
    Betty riait ! Elle était allongée, faisant semblant de dormir... Elle me guettait, un oeil mi-clos... Avec mes mains, je lui faisais la
    « la bébête qui monte »... elle relevait son nez, montrait les dents en sortant le bout de la langue et laissait frétiller sa queue... soudain, elle se jetait sur ma main qu'elle saisissait doucement dans sa gueule. Ensuite, quand nous avions bien joué, elle se roulait sur le dos pour que je lui caresse le ventre. Je crois bien qu'elle riait de toutes ses dents !
    Nous avons partagé 9 années d’un bonheur discret, elle s’est rendue aimable auprès de tous ceux qui la croisaient. Elle aimait s’insérer dans les groupes de promeneurs qui sursautaient en voyant ce grand chien près d’eux. La surprise passée, quelqu’un tentait de lui caresser la tête qu’elle esquivait d'un rapide Tai Sabaki. Elle n’acceptait de caresses que de son maître et de nos petits-enfants qui pouvaient la prendre par le cou et lui faire de gros câlins. Mes petites-filles eurent le droit de s’accrocher à ses oreilles, à son cou, pour se mettre debout et faire leurs premiers pas.
    Elle a réconcilié avec les chiens plus d’un adulte atteint de la phobie des canidés. Elle était l’idole des enfants qui adoraient frôler de leurs doigts timides le doux velours de ses oreilles. Elle était aussi l’amie des chats !
    Son premier ami félin fut Chat Roux, le chat de notre voisine, Monique. Quand nous descendions de la forêt, Chat Roux nous attendait, lové dans une flaque de soleil au milieu de la route. Il ronronnait à la vue de Betty qui venait lui lécher le ventre, le roulait sur le dos en le poussant avec son gros nez. Il se relevait et se faufilait entre ses pattes. Chez Monique, ils dormaient ensemble sur un coussin.
    Quand nous avons déménagé, Betty a fait la connaissance de Lucky, un jeune chat inconscient des dangers présentés par les canidés. Sa première rencontre fut heureuse puisque ce fut celle de Betty avec qui il faisait de longues promenades.
    Betty eut plus de difficultés avec Pépita, la chatte qui craignait les chiens et sortait les griffes à leur vue. Elle finit pourtant par l’apprivoiser et lui lécher le bout du nez sans la faire cracher ni griffer.

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    Depuis que Betty était entrée dans ma vie, chaque jour, je la caressais, je la massais, je la palpais, je la papouillais. Rien ne m’échappait, les tiques en été, les petits bobos toute l’année. Toute petite, je lui faisais une toilette intime quotidienne, toilette qu’elle ne savait pas assumer et sans laquelle elle aurait risqué une infection.
    Au début de l’année 2010, j’ai senti comme des granules autour d’une mamelle. Le jour de la vaccination, début mars, j’ai questionné le vétérinaire qui me dit simplement que c’était à surveiller.
    Fin mai, eut lieu notre stage national à Caudebec en Caux. Ma petite maison eut l’honneur d’accueillir not’ bon Maître Alain Floquet et mon vieil ami Alain Roinel : les trois plus anciens membres de l’Aïkibudo avaient enfin l’occasion de partager un long week end « en famille ».  Betty partagea à son habitude les moments familiaux...
    Le lendemain de cette grande fête, j’aperçus un écoulement épais à une mamelle de Betty. Le vétérinaire nous dit qu’il fallait l’opérer d’urgence : ablation de toute la chaîne mammaire !  Ce qui fut fait le 1er juin.
    Betty subit une violente allergie au pansement adhésif. Sa longue plaie fut exposée à l’air libre, nécessitant une surveillance de chaque instant et de nombreux soins quotidiens. Nous avons voulu lui éviter le supplice de la collerette et ma femme passa des nuits à côté d’elle pour veiller à ce qu’elle ne se lèche pas.
    Son état se dégrada brutalement au bout d’une semaine. Nous venions de recevoir le résultat des analyses : une saloperie de cancer, niveau 3 sur une échelle de 4... Pronostic très sombre. Elle ne survivrait qu’avec un traitement palliatif.
    En attendant, il fallut la mettre sous perfusion toute une nuit à la clinique. Le vétérinaire qui l’avait opérée la trouvait si brave, si docile qu’il lui épargna la collerette.
    Les fils furent enlevés au bout d’une dizaine de jours.  Betty connut des hauts et des bas. Très vite, elle refusa de s’alimenter. Cette fois-là, c’est une jeune femme, Caroline, qui nous reçut. Elle ausculta Betty avec attention, s’étonna de sa docilité, de sa gentillesse, prépara un cocktail à injecter et nous dit de revenir la voir aussi souvent que nous le souhaitions.
    Le soir même, Betty nous réclamait à manger et dévorait tout ce que nous pouvions lui donner. Nous sommes allés de nouveau consulter Caroline dont le visage s’illumina quand elle apprit la bonne nouvelle. Elle était tombée pile sur le bon dosage de la substance qui allait aider Betty à mener une vie aussi paisible que possible.
    J’ignorais que les chiens stressés se lèchent les pattes. Ce n’est qu’une semaine après une prise de sang que je m’aperçus que Betty avait quasiment usé l’épiderme de la petite zone tondue. Il fallait appliquer une pommade et protéger  avec un pansement.  Betty était sage mais une nuit, elle arracha tout.  Pour éviter qu’elle n’aggrave sa blessure, je décidai de lui faire porter une collerette la nuit.
    Cette collerette est un véritable supplice. Betty ne comprenait pas pourquoi je la punissais et me contemplait de ses bons yeux tristes. Alors, avant de me coucher, je lui donnais plein de ces croquettes dont elle raffolait.
    Pour limiter au maximum la durée de cette torture, je me couchais vers minuit et je me levais vers 5 h 30. Il fallut attendre plus d’une semaine avant que le processus de guérison soit suffisamment avancé pour que je puisse la laisser passer les nuits tranquille.
    Nous allions à la consultation au moins une fois par semaine. Betty entrait dans le hall, montait sur la bascule, attendait que je lise son poids puis me suivait quand j’allais m’asseoir et se couchait à mes pieds en tremblant. Caroline nous appelait. Je me levais, Betty se dirigeait vers la sortie. Je lui disais : « Non, là-bas. ». Elle me suivait, tête baissée.
    Caroline lui disait : « Viens, ma fifille... ».  Betty me regardait de ses yeux interrogateurs. « Tu ne viendras pas sans ton papa ! » lui disait Caroline.
    Betty montait sur la table d’auscultation, s’asseyait, tendait la patte pour qu’on vérifie sa blessure. Caroline la cajolait un peu puis l’auscultait. Elle m’avoua qu’elle se méfiait beaucoup des bergers allemands qui mordent facilement au visage. Elle leur pose une muselière avant de les ausculter. Mais elle avait une confiance totale en Betty.
    Betty finit par refuser de monter sur la table. Caroline l’ausculta par terre, s’accroupissant à côté d’elle. Puis elle cherchait quelle friandise elle pouvait lui offrir. Quand nous repartions, Betty prenait sa laisse dans sa gueule et la secouait comme le fait un chiot. Elle la mettait par terre, la pliait soigneusement, la prenait dans sa gueule et se dirigeait très fière vers la sortie.
    J’avais appris à Betty à ne pas lécher. C’était parfois difficile et, pour me manifester sa joie de me revoir ou pour m’exprimer son affection, elle donnait de petits coups de langue dans l’air. Depuis quelques mois, quand elle semblait trop fatiguée ou trop stressée, je la massais, je lui détendais les épaules, le dos, les hanches, je lui caressais le ventre, le palpais. Alors, elle s’étirait en grognant de bonheur et remuait la queue et me regardait, les yeux pleins d’amour. Il y a quelques jours, elle a relevé la tête, m’a léché délicatement le bout du nez puis s’est reposée en soupirant.
    La nature est injuste. La belle, la gentille Betty fut frappée d’un mal foudroyant au cours du mois de décembre. Le jour du stage de Vanves, elle se mit à « pisser » du pus. Ma femme, restée seule, ne savait que faire. Quand je suis rentré assez tard, le soir, nous avons conduit Betty aux urgences. Le vétérinaire de service lui installa maladroitement une perfusion et entreprit de la conduire au chenil. Je fus obligé de l’accompagner car Betty ne l’aurait pas suivi. J’ai dû enfermer Betty moi-même dans une cage, avec une collerette qu’elle accrochait aux barreaux de sa cage en tentant de sortir. Je suis parti honteux de la laisser seule, de lui laisser croire que je l’abandonnais et pas certain de la revoir vivante.
    Elle subit l’ablation de l’utérus le lundi matin. Je la récupérai le soir à 18 h. L’opération était parfaite. Comme elle était allergique aux adhésifs, la plaie, parfaitement cousue, était exposée à l’air libre. J’eus de nombreux soins quotidiens à lui donner, délicates applications de pommade, caresses rassurantes, administration d’antibiotiques, d’antalgiques.
    Je n’ai pas voulu lui faire subir de nouveau le supplice de la collerette. J’ai dormi à côté d’elle, sur le canapé du séjour, jusqu’à ce que la cicatrisation soit parfaite et que les fils soient ôtés.
    Nous avons vécu une alternance de rémissions et de rechutes. Puis elle cessa de s’alimenter, rejeta ses médicaments. Elle était fiévreuse. J’écrasais les comprimés dans du lait et je les lui faisais absorber à l’aide d’une seringue.
    Elle retrouva le goût de vivre à l’approche des congés de Noël et passa quelques jours paisibles en compagnie de nos petits-enfants qui l’adorent.
    Son état s’est de nouveau dégradé. Elle me regardait dans les yeux, elle accrochait ma main avec sa patte. Je la calmais, la rassurais en la massant, en caressant son pauvre ventre tout couturé de cicatrices. Elle s’apaisait, se détendait, s’endormait parfois.
    Dorénavant, je ne l’emmenai plus que dans de courtes promenades, elle décidait elle-même du point où il fallait faire demi-tour en venant prendre dans sa gueule mon bâton qu’elle ramenait à la maison. Puis mardi, elle refusa de sortir. Et jeudi, elle ne voulut plus se lever.
    Nous avons appelé le cabinet, demandant si Caroline pouvait effectuer une consultation à notre domicile. C’était son jour de repos, elle ne serait prévenue que le lendemain matin. Elle viendrait à la première heure...
    Caroline rêva de Betty dans la nuit de jeudi à vendredi. En arrivant au cabinet, le vendredi matin, elle fut très inquiète de lire notre nom sur les demandes de visite à domicile.
    C’est elle qui a aidé Betty à quitter notre monde, avec une infinie douceur, avec beaucoup d’amour. Quand Betty, tout à fait détendue, enfin apaisée, toujours aussi jolie, a cessé de respirer, nous avions tous les trois des larmes plein les yeux.
    Je n’aurais jamais cru que ce fût aussi dur. On croit qu’à force de prendre les coups de la vie, le cuir finit par se tanner. En fait, c’est la carapace qui se fissure.
    Chacun de mes toutous fut aimable et aimé. Pollux, le petit cocker, Hugo, le bon labrador, la vive et aimante Gamine, la tendre et discrète Betty, chacun à chaque fois encore plus gentil, plus communicatif, plus « intelligent » que le précédent, une séparation à chaque fois plus douloureuse. Une séparation plus déchirante que celle qu’on éprouve après la perte d’un être humain...
    Chacun a partagé une part plus ou moins longue de ma vie, tous ont contribué à me permettre de devenir ce que je suis et j’ai de la peine parce que je les ai perdus et que j’en suis diminué.
    Chacun a sans aucun doute discrètement influencé ma façon de vivre notre Art, de le transmettre, de le faire apprécier.
    Une page vient de se tourner. Je ne parviens pas à parler de Betty sans que ma gorge se serre et que mes yeux s’inondent, alors j’écris son histoire parce qu’il serait injuste que sa jolie image, sa belle personnalité tombent dans l’oubli.

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