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75 balais : tout ça pour ça...
Je n’aurais jamais imaginé, il y a un an, combien ces trois quarts de siècle seraient lourds à porter. J'imagine la carrière d'un haltérophile… au début, il travaille avec des charges légères, il se fortifie, devient de plus en plus fort, augmente progressivement la charge jusqu’à ce quelques grammes en trop le fassent s’effondrer.
J’ai pensé que ça faisait bien d’écrire que la charge de tout ce que je n’ai pas réalisé dans ma vie est infiniment plus lourde à supporter que le poids de toutes mes actions passées. Littérature ?
À 75 balais, un humain, c’est un vieux. Dans mon miroir, je vois un visage de vieux mais je ne me reconnais pas. Je me déplace dans un corps de vieux, usé, inconfortable, douloureux mais ce n’est pas le mien. Mes pensées sont jeunes, j’ai des projets de jeune homme, des rêves de jeune homme, qu’est-ce que je fais dans cette vieille carcasse ?
Quand j'ai reformaté mon cher PC pour le passer à Windows 10, je lui ai restitué sa mémoire, toute sa mémoire. Il est devenu plus rapide, il dispose de plus d'espace libre, il est plus beau (?) et prêt à assurer encore de nombreuses années de bons et loyaux services.
Quand une voiture a déjà parcouru des milliers et des milliers de kilomètres, que des pièces importantes sont usées et risquent de casser, on la remplace par un véhicule plus rapide, plus souple, plus confortable, plus performant, moins polluant. Notre corps n’est après tout qu’un véhicule, alors pourquoi ne pourrait-on pas en changer ?
Lobsang Rampa, soi-disant lama tibétain de son état, prétendait avoir transmigré dans le corps d’un écrivain britannique par le truchement duquel il aurait rédigé son abondante production littéraire… Évidemment, ça nous paraît peu vraisemblable, d’autant qu’il s’agissait d’un corps d’occasion. Tant qu’à faire, choisissons un corps neuf !En fait, pour quoi faire ? A-t-on vraiment un passé ? Quoi de plus virtuel que nos souvenirs ? Que sont nos souvenirs ? Des substances chimiques disséminées dans les cellules de notre cerveau et qui produisent un flux électrique quand on les stimule… Les cellules se répliquent avant de se détruire. Chaque copie provoque une perte d’informations. Les informations manquantes sont remplacées par des éléments pris dans une sorte de bibliothèque d’archétypes où le rêve prend le pas sur la réalité et qui deviennent la nouvelle vérité…
J'ai rédigé mes mémoires... 180 pages de souvenirs, d'anecdotes illustrées de photos. Pendant des années, j'avais noté scrupuleusement ce qui se passait sur le Tatami et dans le petit monde de l'Aïkibudo. Quand j'ai disposé de mon premier ordinateur (un Atari), j'ai collé ces notes bout à bout en les organisant par saisons. C'était assez indigeste et j'ai accompli un très, très long travail de réécriture. J'ai amélioré, enjolivé, romancé peut-être car, au fil de la relecture des notes, les souvenirs jaillissaient... Littérature ?
La physique quantique nous fait envisager sérieusement un « univers multivers », c’est-à-dire constitué d’une infinité d’univers parallèles où se dérouleraient tous les « possibles », c’est-à-dire toutes les variantes des moments présents, où nous réussirions là alors que nous échouons ici. Ce n’est presque plus de la science fiction !Tout ce que j’ai fait, c’est comme si je ne l’avais jamais fait. Qu’en reste-t-il ? Tout ce que j’ai donné, enseigné, qui s’en souvient ? Tous ces amis que j’ai eus, que sont-ils devenus ? Qu’importe ce que j’ai donné si je n’ai plus rien à partager ? Qu’importe ce que j’ai été si je ne suis plus rien ?
Je n’ai plus guère de contacts humains : qui me fait encore signe pour me dire que j’existe toujours ? Tout ça pour tant de solitude. Quelle dérision, une vie consacrée au partage et rien en retour.
En fait, que reste-t-il quand on a tout donné ? Au mieux, des reproches pour ce qu’on n’a pas donné, pour ce qui n’a pas été compris. Au pire, du mépris pour la vieille pelure desséchée. En général, l’oubli : qui se rappelle la peau de la dernière orange qu’il a pressée ? Je m'efface. Je deviens transparent...
Je suis entré en solitude il y a 75 ans en naissant à une époque où on ne faisait presque plus d'enfants, une époque désertée par l'amitié, l'amour, la tendresse et gangrénée par la terreur. Adulte, je me suis enfermé dans une utopie, croyant concilier développement personnel et partage. Il semblerait que chez les humains ça ne fonctionne pas toujours comme ça.On se calme, tout ça n'est que littérature. 75 balais, ça se fête ! C'est encore trop tôt pour se prendre au sérieux !
« Je suis un homme d’expérience, j’ai 75 ans, dit l'homme - De quoi parles-tu, de ces 75 années qui ne sont plus, de ces 75 années que tu as perdues ?, lui répond le sage. »
Cause toujours, j'ai encore en projet un gros stage à animer pour fêter mes 80 balais...Casse-têtes Ils m'ont tapé sur la tête
Je ne me rappelle plus pourquoi
Ni même si ça m'a fait ma
Parce que j'en suis mort
Qu'est-ce que j'étais, déjà ?
Travailleur immigré, philosophe,
Résistant caché, dissident notoire
Ou bien animal à fourrure ?
Je m'appelais comment, déjà ?
José, Abdel, Argentino,
Arabica, Jan Patocka
Ou bien alors bébé phoque ?
Ils m'ont tapé sur la tête
Je ne me rappelle plus pourquoi
Ni même si ça m'a fait mal
Parce que j'en suis mort
M'a-t-on assommé pour mes idées
Ou pour faire de moi un manteau,
Pour de l'argent ou la couleur de ma peau ?
J'ai un bout d'os dans la mémoireQuand leurs pieds chaussés m'ont cerné
Étais-je allongé dans des draps
Ou bien couché sur la banquise
Ou est-ce que je sortais d'un café ?
Je suis mort dans la rue de l'Ouest
Sur la glace du Nord ou chez les flics de l'Est
Ou dans la Pampa des casquettes
A coups de triques noires
Est-ce que je rêve de vengeance,
De têtes policières éclatées,
De tête de chasseurs sanglantes,
De têtes de racistes en purée ?
Ou bien est-ce que je vois des têtes
Émerveillées d'elles-mêmes
Émerveillées de leur dedans
Et se découvrant nouveau monde ?
Je suis mort, répondez pour moi !
Je m'appelais Jan Patočka
Argentin et bébé phoque arabe
Maintenant... Ça me revient !Georges Bernier (Gébé)
6e dan 2F3A 19917e dan FIAB 2011
2e dan FKSR 1986
A.照り絵 / 七段 教士
Oublie tes peines et pense à aimer
あなたの悩みを忘れて、愛について考える
Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru