72 balais : paraître ou être

身体髪膚これを父母に受く 

Mardi dernier, j’ai eu ma minute de narcissisme aigu…

École du dos aux Thermes d’Allevard les Bains, une activité proposée dans le cadre de la cure de rhumatologie. Le cours est animé par Paul, un kiné mal voyant. Il situe et reconnaît ses stagiaires à la voix.

Nous nous présentons. Il me demande mon nom, mon âge. « 72 ans. - Vraiment, à votre voix, je ne m’en serais pas douté… » Et j’entends des murmures féminins : « C’est vrai, il ne les paraît vraiment pas ! ».

Seconde de narcissisme absolu !

鵜の真似する烏 

Je me sens obligé d’avouer que j’enseigne l’Aïkibudo, j’ai d’ailleurs déjà fait mon coming out en portant mon T-shirt du Cera… Là, Paul ne doute plus un instant de ma condition physique irréprochable, de ma souplesse, de ma connaissance de l’anatomie et de la physiologie, de l’art de respirer… Je suis l’objet de regards intéressés… Je devrais être au zénith du narcissisme !

En fait, nous sommes tous là parce que nous sommes déglingués des hanches, des genoux, des lombaires, des cervicales. Bref, nous sommes un groupe de petits vieux plus ou moins en vrac et qui cherchent à atténuer leurs misères. Comme dit Paul, à partir de 25, 30 ans, le corps commence à vieillir, à s’user. Plus ou moins vite car il n’y a pas d’égalité dans ce domaine, quelle que soit notre hygiène de vie. L’homme est égaux mais on est parfois moins égaux que d'autres !

天知る、地知る、我知る、子知る 

 J’avoue. Je suis en cure thermale à Allevard les Bains, en Isère, tout près de la Savoie. Trois semaines à me faire chouchouter par de charmantes personnes aux mains prévenantes. Bains bouillonnants, massages aux huiles essentielles sous un filet d’eau tiède, applications de boue volcanique, sauna japonais, musicothérapie, massothérapie…. Quand les antalgiques, les anti-inflammatoires, la cortisone ne font aucun effet, on en revient aux soins millénaires qui étaient la célébrité de la Gaule, c’est du moins ce que j’avais appris en lisant « Le bouclier arverne ».

Il ne manque que le soleil, aussi rare qu’en Normandie. Et je ne pourrai pas participer au stage intensif pendant lequel je serai encore à Allevard.

いたちの最後っ屁 

Être. Paraître. Vaine marque de futilité ? Peut-être pas. J’ai toujours veillé avec soin à mon apparence avant de monter sur le tatami…. Un Keikogi blanc impeccablement repassé mettant en valeur un léger hâle en début de saison, un Hakama aux plis soigneusement ajustés : une marque de respect envers mes élèves. Quand paraître bien est une façon de bien être.

 

Je me rappelle… Le 2 ou 3 avril 1984, à Blois, le premier grand passage du BEES organisé conjointement par la 2F3A et la FFAB. Environ 150 candidats dont 25 pour l’Aïkibudo. Deux très grandes salles où se tenaient plusieurs jury de 3 assesseurs. J’étais seul juré Aïkibudo dans ma salle. Voici quelques impressions que j’avais notées :

« Le rythme était infernal. De huit heures à midi, épreuves. De quatorze à dix-neuf heures, épreuves. De vingt-et-une heures à minuit, corrections, réunions diverses ! 

Et commencèrent les ennuyeuses épreuves techniques ou pédagogiques. Premier Principe, Deuxième Principe, Troisième Principe, etc. etc. Des pratiquants sans garde, des Bokken tenus comme des godemichés.  

Des questions absurdes du style : « technique contre un adversaire muni d'un bâton, sur coup direct au ventre, détournement du bâton vers le sol et contrôle avec le pied », ou « les deux adversaires étant munis d'un sabre de bois, sur coup vertical descendant, entrée directe et saisie du sabre pour projection de l'adversaire par expansion de l'énergie potentielle intérieure » !!!  

Charabia ! Stupidités ! Défilé de techniques absurdes mal faites par de mauvais pratiquants mal fagotés. 

Enfin, deux candidats en Aïkibudo. Julien Frèrejean et Paul-Patrick Harmant, deux grands garçons athlétiques, superbes. Keikogi blanc bien repassé, Hakama aux plis impeccables. Quelle allure ! 

Les autres ont entendu parler de l’Aïkibudo et ne savent pas ce que c'est. On leur a dit que c'était un mauvais Aïkido très statique et très brutal.

Nous commençons par les Te Hodoki. « On l'avait bien dit, c'est statique et brutal ! ». 

Puis les éducatifs. Quelques Wa no Seishin superbement enlevés. Les deux gaillards ont une stabilité à toute épreuve, des postures impeccables et chutent comme des gazelles. Et quelle concentration ! Le regard, la garde, l'équilibre. Tout y est, du travail de DTIR. 

Et puis les épreuves techniques. Nettes, esthétiques, martiales. Les immobilisations de Paul-Patrick sont des chefs-d’œuvre. Les Tai Sabaki de Julien sont félins. 

Les autres ne rient plus. Mes voisins font la grimace. L'autre jury, derrière moi, a cessé de travailler et tout le monde est captivé par le spectacle. Alors, je demande des Sutemi. Julien s'apprête à dire : « Mais, ce n'est pas au programme... », Paul-Patrick, plus détendu, a compris. Il faut leur en mettre plein la vue. Et c'est l'apothéose. 

Les autres sont époustouflés ! C'est donc ça, l’Aïkibudo ! Quel niveau ! Et ce n'est pas fini. Il y a les épreuves d'armes. Quelques traditionnelles techniques contre Tanto. Un petit tour de Bo no Kata pour la décontraction.

Et puis les épreuves de Bokken. Je demande le Ken no Kata pour l'échauffement. Mon voisin de droite me dit : « Ils ne savent pas tenir un Bokken, ces types-là ! ». Fort bien. J'interromps l'épreuve. 

« Monsieur Harmant, s'il vous plaît. 

- Oui, monsieur ? (Paul-Patrick est très respectueux) 

- Monsieur S…, ici présent, veut vous tester au Bokken, il estime que vous le tenez mal. Acceptez-vous l'épreuve ? 

- Certainement, monsieur. » 

S.. fulmina et se dégonfla. Je leur fis exécuter Itsutsu no Tachi pour la gloire. Qu'ils étaient beaux ! Il y eut des applaudissements. »

Être ou paraître ?

A.照り絵