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    C’était au printemps de 1995. Ce jour-là, au courrier*, j’ai reçu une planche contact**, une douzaine de vignettes au format 24x36, accompagnée de ce commentaire : « Pourrais-tu commenter ces photos et rédiger un texte sur Te no Michibiki pour la Lettre du Cera ? ».

    * en ces temps anciens, l’Internet n’existait pas, on correspondait en écrivant à la main, sur du papier, avec un stylo (si on voulait conserver une copie, on écrivait au crayon à bille en intercalant un papier carbone entre 2 feuilles. On mettait la lettre dans une enveloppe qu’on expédiait par la poste).

    ** en ces temps anciens, les APN n’existaient pas, nous utilisions des appareils photographiques et des films photosensibles généralement au format 24x36. Il fallait développer ces films dans une chambre noire et agrandir les photos choisies en les projetant sur un papier photosensible... Pour éviter le gaspillage et choisir les meilleurs clichés, on faisait un premier tirage dit « contact » directement au format 24x36.

    Évidemment, on devait en avoir besoin pour la semaine précédente ! J’ai malheureusement égaré cette planche. Je n’ai pu que scanner une des photos publiées sur la Lettre du Cera du 2ème semestre 1995.

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    Ces photos me soulevèrent deux très gros problèmes.
    Le premier, c’est que je suis un conteur, un poète, pas un écrivain ! Si pour moi écrire est vital, j’ai toujours redouté les rédactions, les compositions françaises dont le sujet imposé ne m’inspirait jamais !
    Je me rappelle toutefois un sujet qui m’avait valu une excellente note l’année de mes 14 ans : « Quelle est votre saison préférée ? ». Ce n’est pas le sujet en lui-même qui m’avait plu, je ne concevais pas la possibilité de préférer une saison à une autre, mais la façon que j’avais prévue de le traiter : quatre saisons, quatre phrases, quatre pages. Ce serait un premier jet, sans brouillon ni relecture. Chaque phrase commençait par « J’aime le "nom de la saison"… » et occupait une page entière. Je n’avais commis qu’une erreur d’emploi d’un pronom relatif, à la dernière page. Dommage, on ne m’a jamais rendu ce texte, ça ne se faisait pas en ces temps-là.
    Et voilà que 40 ans plus tard, not’ bon Maître m’infligeait un nouveau pensum.
    Le second problème était que la notion de Te no Michibiki n’était pas encore vraiment conceptualisée. On en parlait depuis quelques années, on le montrait au cours des stages mais on ne l’expliquait pas. Tout simplement parce que cest une sensation, un élément de l’ensemble et que nous savions nous contenter d’une explication globale.
    Je l’avais approchée et pratiquée intuitivement en 1967, au stage de Royan, où un jeune prof, 3e dan d’Aïkido du groupe Nocquet, voulait nous faire partager son goût pour ce qu’il appelait « le drapeau chinois » et que j’avais plus tard inclus dans mon programme de Wa no Seishin. Te no Michibiki y était totalement intuitif, évident, je ne voyais pas de raison de l’expliquer, je m’appliquais plutôt à le décrire, à faire imaginer une calligraphie, une lettre majuscule , un  S ou un  L, dessinée en 3 dimensions dans l’espace.

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    Ces photos datent de 1970 mais les principes qu’on y lit sont toujours d’actualité. L’action de Te no Michibiki se lit bien sur la photo de gauche où la main montre l’axe de la projection. Photo de droite, le Bō est en fait le prolongement de la main, il joue le même rôle que le bras dans la photo de gauche.
    Les mouvements pouvaient aboutir à une projection parce que l’intention était d’entraîner Seme de la même façon que la hampe du drapeau chinois entraîne la longue bande de toile et lui fait décrire une sorte de , une lemniscate, en 3 dimensions. De là à la sensation de la main guide et au Wa no Seishin, il n’y a que l’espace d’une intuition.

    Wa ( paix, harmonie) no () Seishin (精神 esprit, âme) : l’esprit d’harmonie, un mouvement harmonieux décrit avec un esprit paisible.
    C’est comme ça, en tâchant de décrire une sensation, une intuition, que j’ai rédigé le texte paru une première fois en 1995 dans la Lettre du Cera, puis mis en ligne en 2010 et enfin publié récemment dans la nouvelle Lettre du Cera.

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    Aujourd’hui, il faudrait théoriser ce concept et le rendre explicite. Parlons donc théorie. Existe-t-il une version officielle de l’écriture de Te no Michibiki en Kanji ? J’en connais deux :

    - celle que je propose en fonction de mes recherches dans mes différents dictionnaires :
    導き : de 導く(Michibiku, guider, mais Michibiku s’écrit aussi 道く...)

    - celle que propose Raymond Chauret, professeur à l’Académie d’Arts Martiaux de l’Outaouais :
    引き : de 引く(Hiku ou Biku, tirer)

    Êtes-vous mieux éclairés ? La recherche des Kanji est passionnante. Une langue sert à décrire leur perception du monde par ceux qui l’utilisent. L’écriture utilisée, analytique ou symbolique, structure cette perception.
    Notre perception du monde de l’Aïkibudo peut-elle être déterminée par l’utilisation de tel ou tel Kanji pour écrire Te no Michibiki ? J’en doute en ce qui nous concerne, nous autres Occidentaux, utilisateurs d’une langue très fluide transcrite à l’aide d’un alphabet phonétique, bien que, en fait, je pense aussi que tout ça a bel et bien un intérêt dans la compréhension de l’approche intellectuelle de notre Art. Connaître les clés qui constituent le Kanji et racontent une histoire à propos de l’idée présentée par... l’idéogramme peut être enrichissant.
    Mais avant tout, il importe de pratiquer et de répéter jusqu’à l’épuisement pour comprendre et percevoir le fond de l’Art.
    Notre Art se construit sur le concept de mouvement qui s’initie lui-même avec le concept d’entrée / esquive / canalisation où l’utilisation de la main guide devient une évidence.
    Il ne reste plus qu’à pratiquer encore et encore pour comprendre ce qu’on a réussi à faire avec un partenaire souple et fluide mais surtout pas complaisant. Mais ceci est encore une autre histoire.
    Quand et comment aborder Te no Michibiki ? Je crois qu’il apparaît comme une évidence dès le premier cours, dès la première technique élémentaire abordée. Je pense évidemment au Te Hodoki sur Jyunte Dori.
    Imaginons le tout jeune débutant saisi en Jyunte Dori par un robuste partenaire, peut-être lui aussi tout jeune débutant. La saisie est solide, Seme est costaud, Tori ne parvient pas à se dégager. « Tu ne peux pas amener la montagne à toi mais tu peux aller à la montagne ! », lui dit le professeur. Tori courbe alors son poignet et tend l’index, il fait tourner son bassin de sorte que son index indique le centre, il pivote en sens inverse, jambes fléchies, en unifiant l’ensemble bassin, bras, épaules et il peut entraîner Seme et se dégager en se relevant. Les fondements de notre Art s’y trouvent : la verticalité, le travail dans l’axe, la mobilité du bassin, l’unification du haut du corps du bassin aux épaules, la flexion sur les jambes, et Te no Michibiki y devient évident, n’est-ce pas ?
    Passons à ces exercices que nous avons classés dans les éducatifs, Nigiri Kaeshi, Oshi Kaeshi, et que nous ne pratiquons peut-être qu’épisodiquement parce qu’ils semblent fastidieux mais qui impliquent eux aussi Te no Michibiki comme une évidence.
    « Vous parlez beaucoup d’évidence, vous vous répétez, Sensei André, ce n’est pas très scientifique ni peut-être très pédagogique, ne pensez-vous pas ? ».
    J’avoue, je ne suis pas un scientifique, je suis un poète, un contemplatif, un rêveur. Je suis passionné par toutes sortes de sciences, de la biologie à la physique quantique et l’astrophysique dans la mesure où elles me font rêver. J’ai besoin d’accompagner mes démonstrations d’anecdotes, d’entrer dans des digressions.
    Je ne suis pas, malgré ma réputation, un bon pédagogue parce qu’enseigner un programme m’ennuie. Par contre j’aime partager mes rêves, mes sensations et faire découvrir les subtilités de notre Art à ceux qui savent « voler les techniques »…. Voler la technique ? Qu’es aquò ? C’est percevoir le fond de la technique, ce qui n’est pas expliqué mais ressenti. Les auditifs écoutent attentivement les explications et sauront les restituer mot à mot. Les visuels enregistrent l’image du mouvement et sauront la reproduire fidèlement. Les visuels myopes vont percevoir le fond, les sensations et sauront les reproduire fidèlement mais peut-être sous une forme différente et avec un discours différent.
    Il en est ainsi de Te no Michibiki pratiqué, expliqué, démontré depuis des décennies mais pourtant encore apparemment voilé d’ésotérisme.
    Si Te no Michibiki peut paraître une évidence sur les saisies, cela ne le semble guère sur les atémis et leurs corollaires avec armes. Serait-il confiné au Chika Ma ?
    Nous sommes censés pratiquer, du 6e Kyu au 9e dan, un exercice de base, Le Kihon Nage Waza. Kihon (基本) signifie base, fondements, principes, rudiment, éléments. Nage (投げ), c’est lancement, projection. Waza () se traduit par art, technique. Kihon Nage Waza peut donc se traduire par « principes de l’art de projeter ».
    Dans notre Art, la technique apparaît à l’issue d’un mouvement, lui-même né d’une entrée/esquive/canalisation, elle-même rendue possible par la main qui guide avec précision le contrôle de l’attaque.
    Un petit croquis valant mieux qu’un long discours, voici quelques illustrations de toute la partie technique et théorique dont je n’ai pas parlé.

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    Entrée sur Tsuki Jodan par not’ bon Sensei

     

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

     

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

     

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    Entrée sur Shomen Uchi ou Ura Yokomen Uchi : sur une attaque descendante, la main entre de façon ascendante, on voit l’entrée, la main guide au contact de l’épaule de Seme, la rotation du bassin qui crée la canalisation.

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Entrée sur Tsuki Jodan : l’attaque est horizontale, la main entre horizontalement. L’attaque est pénétrante et le contrôle se fait à l’articulation du bras et de l’épaule. La canalisation amorcée par la rotation du bassin est amplifiée dans le O Irimi.

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Tori crée l’ouverture et choisit d’attendre l’attaque (Machi no Sen) : il esquive en Shinogi, sa main guidant l’énergie de Seme au-dessus de son épaule. La rotation du bassin crée et accentue la canalisation.

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Bilan du cours du 28 juin 2017

    Tori crée l’ouverture en levant sa garde, incitant Seme à attaquer Tsuki Chudan. Il canalise en entrant, une main guidant le poing de Seme, l’autre venant saisir son poignet pendant le 2ème temps de O Irimi.

    Te no Michibiki exprime une intention en montrant le chemin à suivre, une détermination en créant le déséquilibre à partir duquel la canalisation va construire le mouvement, une volonté, un esprit de décision en suivant ce mouvement jusqu’à son issue où va apparaître la technique que vous aurez choisie ou pas.
    Dans une sensation de Sen no Sen, où, en créant une ouverture, j’entre avant que l’adversaire ait déclenché son attaque, je prends totalement l’initiative et je peux choisir la technique que je veux porter.
    Le plus souvent, en Tai no Sen ou en Go no Sen, je dois m’insérer dans l’attaque de l’adversaire pour l’entraîner plus loin qu’il ne l’envisageait de façon à créer le déséquilibre à partir duquel... Je m’adapte à une situation que je n’ai pas créée.
    Le mouvement prend naissance dès le moment où ma main entre en contact avec le bras de l’adversaire et où Te no Michibiki activé par le placement du bassin va guider le mouvement.
    Te no Michibiki se caractérise par la direction donnée par la main et surtout par la tonicité de cette main. Toute l’énergie concentrée dans l’abdomen est transmise par la main guide. Un Wa no Seishin, tel que celui présenté plus haut sur une photo datant de 1970, n’est pas une simple chorégraphie mais une explosion d’énergie.
    Quand je suis entré en 6ème, j’étais un petit garçon de 10 ans, blondinet, timide et myope. Les récréations avaient lieu dans une grande cour, en même temps que les « fin d’étude » de l’école primaire. Je devais représenter une proie facile pour de grands crétins de 13 ans qui avaient réussi à m’encercler sous un préau, à l’abri du regard des adultes. Je me suis jeté au sol et j’ai fait la toupie en assénant des coups de mes souliers ferrés (on mettait des fers au bout des semelles et aux talons pour en retarder l’usure) sur leurs tibias. Le tintamarre avait attiré l’attention des grands de 3ème qui étaient venus à ma rescousse.
    En ces temps anciens, nous écrivions avec un porte-plume ou un stylo plume, avec des pleins et des déliés. Au Cours Complémentaire, il n’y avait plus d’encrier comme à l’école primaire, chacun devait avoir sa petite bouteille d’encre violette.

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    À propos de Te no Michibiki, histoires, anecdotes, théorie et pratique (un peu)

    Un peu d’encre séchait sur les pas de vis et le bouchon collait au flacon, ce qui provoquait des désagréments le matin, quand les filles ne parvenaient pas à ôter ce maudit bouchon. Après avoir fait appel aux costauds qui avaient renoncé, elles finissaient par me confier cette tâche que j’accomplissais sans mal quand les autres avaient déjà mâché l’ouvrage.
    En fait, j’appliquais toute ma paume au cul du flacon et au-dessus du bouchon, je contractais mes abdominaux et j’opérais une rotation en sens inverse de mon bassin et de mes épaules. Miracle, j’étais le héros éphémère de ces demoiselles.
    « Et l’Aïkibudo, dans tout ça, Sensei André ? – N’est-ce pas évident ? J’effectuais un Te Hodoki sur un double Jyunte Dori... ou sur Ryote Dori, si vous préférez, les 2 mains guides conduisant vers le centre l’énergie transmise à partir du bassin. Il n’y a rien de mystérieux ni d’ésotérique dans la pratique de notre Art mais, pour paraphraser not’ bon Sensei, l’utilisation des lois naturelles de la biomécanique. N’est-ce pas évident ? »

    Quand je démontre un mouvement, un de mes Seme, particulièrement physique, exprime toujours son étonnement devant la puissance de ma poigne que ne justifient pas mes épaules étroites et mes maigres avant-bras.
    C’est que je serre avec toute la force transmise par mon abdomen, la paume de mes mains assurant intégralement la saisie. Intention, détermination, esprit de décision, que ce soit pour éloigner un groupe d’écoliers vindicatifs, desserrer un bouchon récalcitrant, canaliser une agression.
    Y voyez-vous plus clair ?

     

    Histoire d'un Hakama qui fut blanc 

    7e dan FIAB 2011
    2e dan FKSR 1986

    A.照り絵 / 七段 教士 

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    Oublie tes peines et pense à aimer

    あなたの悩みを忘れて、愛について考える 

    Anata no nayami o wasurete, ai ni tsuite kangaeru

    mort-de-rire

     

     






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