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    SAVOIR ET CONNAISSANCE

     

    L’autre jour, avant le stage de formation des juges, nous avons eu une conversation érudite sur un problème de sémantique. Nous n’étions pas nécessairement d’accord à propos de nos définitions des mots SAVOIR et CONNAISSANCE, notamment en fonction du champ lexical où nous nous placions. Daniel et moi étions tentés de rapprocher CONNAISSANCE et SAVOIR-FAIRE. Éric se plaçait dans le champ de l’humanisme. Puis le stage a commencé...

    Je suis allé m’informer auprès d’auteurs plus érudits que nous autres modestes adeptes de l’Aïkibudo. J’ai d’abord consulté le Littré et ça commençait mal puisqu’il définit :

    SAVOIR
    v. tr. avoir connaissance de. Savoir l'avenir.
    s. m.usité seulement au
    singulier. Connaissance acquise par l'étude, par l'expérience

    Chez Émile,le serpent se mord la queue !

    L’acquisition d’un savoir suppose un processus continu d’assimilation et d’organisation de connaissances. Ce qui s’oppose à une simple accumulation.

    J’aime bien cette pensée piochée au hasard de mes lectures. Je suis convaincu qu’il ne sert à rien de s’encombrer la mémoire avec des catalogues de données, il vaut mieux disposer d’un savoir bien organisé, d’une « tête bien faite » que d’une « tête bien pleine ».
    « Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire. », disait le perroquet Laverdure. « Et l’Aïkibudo dans tout ça ? », me disent les lecteurs... On se calme, j’y viens.

    Une belle soirée. Il fait doux sous un ciel bleu, limpide, alors que l’aube s’éveille sous le brouillard ou avec un léger voile de givre. Le corps est fatigué, il ne ressent pas encore la joie du soleil retrouvé.
    Pierre, arrivé le premier, répète inlassablement les katas de Iaï avec son Katana. Jaafar arrive un peu plus tard. Ils ne semblent pas en grande forme, on dirait qu’ils n’ont pas envie... On y va pour un peu de Daïto Ryu, parce que c’est au programme.
    À 19 heures, les fidèles habitués sont arrivés, le cours va pouvoir commencer. Diriger un échauffement classique ne m’inspire pas, ce soir.

    « Randori esquive ». Cet exercice sert d’échauffement actif. Commencer lentement, avec la respiration s’effectuant au rythme des attaques. O Irimi, Kime, effleurement de Uke de façon à se concentrer sur la sensation de fluidité sans négliger la préparation du Randori canalisation.

    J’observe avec intérêt Pierre et Jaafar. Je suis étonné par leur aisance : ils sont parfaitement « dedans », chacun avec son style, Jaafar plus rond, Pierre plus puissant mais tous les deux ronds et puissants. Leur évolution depuis le dernier cours est spectaculaire.

    Randori canalisation. C’est l’application logique de l’exercice précédent. O Irimi, Kime, contrôle de Uke, déséquilibre et projection en descendant le genou au sol avec une ample rotation des hanches. C’est le premier test qui permet d’estimer un niveau d’efficacité et de détecter les points faibles.

    La fatigue semble oubliée. La respiration est bien placée, personne ne semble éprouver l’essoufflement habituel. Mes deux « sujets d’étude » m’offrent un plaisir immense. Ils me rendent au centuple ce que j’ai pu leur apporter : c’est leur travail élaboré avec mes conseils et finalisé avec leur personnalité propre. Ils ont acquis un véritable savoir-faire, des compétences qui ressortent intuitivement. Et les autres élèves sont sur la bonne Voie.

    Lorsqu’une personne intériorise un savoir, elle transforme ce savoir en connaissance. Elle « construit » cette connaissance. La même connaissance construite par une autre personne ne sera pas tout à fait la même. Il n’existe donc aucune connaissance parfaite et absolue.
    La compétence est la capacité d'agir efficacement dans un type défini de situation, capacité qui s'appuie sur des connaissances, mais ne s'y réduit pas. Elle se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas...

    C’est ça ! Mes élèves s’expriment dans l’action. Notre Art se définit dans le mouvement, dans l’interprétation. Pas dans un catalogue... À quoi bon s’encombrer la mémoire d’une quantité de définitions, de règles, si on ne sait pas les utiliser au moment utile ? Nous construisons notre savoir sur un socle de bases qu’il nous faut travailler à chaque niveau, à chaque fois sur un plan plus élevé, avec un angle d’approche plus aigu. C’est nécessaire et suffisant pour s’approprier le catalogue de nouveautés du niveau abordé. Les compétences acquises grâce à la connaissance affinée des bases donne la capacité d’agir avec efficacité à ce niveau plus élevé et de restituer les techniques « au programme » sans les réciter par cœur.

    Tanto no Kata. Peut-on vraiment parler de Kata ? Je le considère comme un aide-mémoire. J’en ferai une sorte de Kata en enchaînant des techniques appropriées.

    Shomen Uchi -> Irimi Mae Tobu Nage
    Points clés : entrer le bras droit entre le bras de Uke et sa nuque, repousser Uke vers l’arrière puis le ramener vers l’avant en crochetant sa tête, genou droit au sol

    Shomen Uchi -> Irimi Mae Tobu Nage -> Omote Yokomen Uchi -> O Irimi Tenbin Nage
    Notions annexes : immobilisation. Tenbin, c’est le fléau de la balance ou le balancier posé sur l’épaule pour transporter 2 seaux ou 2 paquets. Cette définition rappelle la technique originelle qui est abordée pour conduire vers l’immobilisation.

    Shomen Uchi -> Irimi Mae Tobu Nage -> Omote Yokomen Uchi -> O Irimi Tenbin Nage -> Ura Yokomen Uchi -> Irimi Ura Ude Nage (variante : Robuse)
    Points clés : utiliser l’impulsion donnée par la poussée du pied gauche pour entrer, contrôles analogues à Robuse, forte poussée en entrant la jambe gauche (déséquilibre latéral)

    Shomen Uchi -> Irimi Mae Tobu Nage -> Omote Yokomen Uchi -> O Irimi Tenbin Nage -> Ura Yokomen Uchi-> Irimi Ura Ude Nage -> Tsuki Chudan -> Nagashi pied avant Ude Kake Mae Hiki Otoshi (variante : Ushiro Hiki Otoshi)
    Points clés : esquive Nagashi (sur place, « sans bouger les pieds »), le bras droit entre et vrille, paume vers l’arrière en remontant dans l’axe du corps et au dessus de la tête, le corps de Uke se trouve déjà projeté vers l’avant du fait du déséquilibre créé par cette action mécanique, puis pivote pour projeter, la jambe avant bien en ligne sur l’avant parallèlement à l’axe de projection. Le genou intérieur se pose au sol.

    Dans un premier temps, le travail s’effectue avec un seul partenaire. Ensuite, face à 4 partenaires attaquant successivement dans l’ordre du Kata.  Rythme lent tout d’abord, recherche de la fluidité, puis accélération du rythme.

    Tambo no Kata. En fait, le Tambo va être utilisé en défense contre le Tanto.

    Tsuki Chudan : Tambo tenu de la main droite, en « Sakate », entrée extérieure, contrôle du poignet avec le Tambo par l’intérieur, reprise du Tambo par la main libre, pouce en bas, Kote Gaeshi
    Tsuki Chudan : Tambo tenu de la main gauche, en « Sakate », entrée intérieure, contrôle du poignet avec le Tambo par l’extérieur, reprise du Tambo par la main libre, pouce en bas, Kote Kudaki
    Omote Yoko Men Uchi : Tambo tenu de la main droite, en « Sakate », entrée intérieure, contrôle du poignet avec le Tambo par l’extérieur, reprise du Tambo par la main libre, pouce vers l’extérieur, Shiho Nage
    Omote Yoko Men Uchi : Tambo tenu en matraque de la main droite, entrée intérieure, fouetté dans le pli du coude, retour derrière la nuque de Uke, reprise de l’extrémité du Tambo avec la main libre, Mae Tobu Nage
    Ura Yokomen Uchi : Tambo tenu en matraque de la main droite, entrée extérieure, fouetté sur le coude, glisser le long de la gorge de Uke, reprise de l’extrémité du Tambo avec la main libre, étranglement comme Ude Jime

    Etc...

    Randori : défense avec le Tambo contre les attaques Tsuki Chudan, Omote Yokomen Uchi et Ura Yokomen Uchi

    Savoir n'est pas connaître. Celui qui « sait » fait fonctionner la partie intellectuelle de son être. Il peut en rester là toute sa vie et transmettre un savoir construit sur des convictions rigides et figées dans l'espace et le temps.
    La Connaissance demande, à celui qui s'y intéresse, de l'intégrer à la totalité de son être et de l'éprouver par sa capacité à la redonner, enrichie de son évolution et de son illimitation. C’est ce qui fait intervenir la notion d’expérience nécessaire à l’accomplissement de l’être humain. A la mesure des choix qu’il fait, de la compréhension qu’il en retient de lui-même et des autres, l’homme apprend à s’épanouir et à se dilater à l’univers tout entier qu’il unifie à son être. Cette démarche, alors, fait de la connaissance le facteur primordial de l'évolution de l’humanité. C'est celle qui nourrit non seulement notre intellect mais aussi notre âme et notre cœur, celle qui nous élève.

    « Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire. Et l’Aïkibudo dans tout ça ? ». Pardonnez-moi si je vous ai ennuyé avec toutes ces citations. Mille excuses à leurs auteurs dont je n’ai pas noté le nom... En fait, je les ai choisies en pensant au petit monde de notre bel Art Martial. Je dédie la dernière à not’ bon Maître.

    Bilan du cours du 21 avril 2010

    « Merci ! », m’a dit Jaafar. « C’était passionnant ! », m’a dit Pierre. Ou l’inverse. Ou les deux. Merci de m’avoir donné l’impression de vous être utile.

    Bilan du cours du 21 avril 2010

     Il faut toujours semer derrière soi un prétexte pour revenir, quand on part. (Alessandro Baricco)

     

     

     






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