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    Avant les vacances, j’ai souhaité vous proposer un sujet de réflexion, j’allais dire de philosophie mais je préfère rester modeste. Alors que vous allez participer nombreux aux stages d’été, vivre et pratiquer l’harmonie, rêver, peut-être, d’un monde meilleur, j’ai eu envie d’évoquer le monde ordinaire, avec ses contradiction, ses merveilles et ses médiocrités...

     

    On pourrait parler d’un petit paradis. Dès qu’on descend de voiture, on est happé par le panorama dont on ne se lasse jamais, en toute saison, à toute heure du jour...

    J’ai découvert cette vallée il y a une quinzaine d’années. J’avais appris qu’un élevage de bisons d’Amérique venait de s’y installer. J’ai profité d’un moment de liberté, par un samedi matin très ensoleillé, pour aller repérer les lieux. J’ai été saisi par l’harmonie du paysage. J’ai découvert un petit village ravissant, Saint Hellier. Presque Saint Tellier, ça se prononce de la même façon ! J’avais envié ceux qui avaient la chance de vivre dans un si bel endroit.

    J’ignorais que j’allais y habiter moi-même quelques années plus tard et que j’allais même bénéficier du plus magnifique, du plus magique panorama de la région.

    Misanthrope ?

    Nous avons emménagé au hameau de La Fresnaye à la mi-octobre 1998. Le temps était superbe, nous éprouvions une formidable sensation de paix, de liberté. La propriété est située en lisière de la forêt. Chevreuils et cerfs, faisans et lapins ne se privent pas de venir s’y ébattre, picorer ou brouter. Rêve d’ornithologue tant la variété et la proximité de passereaux, rapaces, pics et corvidés vient animer ce haut lieu de sérénité. Rêve de botaniste avec ses 6 ou 8 variétés d’orchidées, ses parfums d’origan et de ciboulette sauvage qui flottent sur la pelouse calcicole. Rêve d’entomologiste avec ses innombrables variétés de papillons, ses lucanes cerfs-volants, ses aeschnes, ses demoiselles et ses multiples merveilles volantes. Rêve d’erpétologiste avec ses lézards gris, ses orvets, ses vipères et ses diverses variétés de couleuvres.  Nous étions joyeux, pleins de projets, redevenus adolescents !

    En contrebas, une ancienne ballastière a été aménagée en zone d’étangs de pêche où ont élu domicile grèbes et colverts, foulques et poules d’eau, hérons cendrés et aigrettes blanches, cormorans et mouettes. Elle est utilisée par les membres d’une société de pêche privée qui les autorise à pêcher toute l’année. Des gens paisibles qui viennent passer un week-end au bord de l’eau, bénéficier d’une journée de soleil, échapper au stress ordinaire...

    Régulièrement, nous allions rendre visite aux familles de rats musqués qui vivaient sur les rives d’un ruisseau situé derrière les étangs. Nous prenions plaisir à observer ces petits cousins des myocastors se prélasser au soleil, en famille, sur des plages aménagées par leurs soins aux endroits où les rives du ruisseau se sont effondrées sous le poids des bœufs qui viennent s’abreuver. Les petits jouaient pendant que les parents faisaient la sieste, grignotaient quelque racine succulente ou allaient récolter les plantes qui constituaient leurs réserves ou servaient à tapisser leur terrier.

    Misanthrope ?

    Ce fut un petit paradis jusqu’à... la première battue du lundi. Imaginez une vingtaine d’énergumènes vociférant derrière une meute de chiens hurlant, aux colliers armés de clochettes, faisant un vacarme de tous les diables pour rabattre les animaux effrayés vers les « flingueurs » qui les tirent comme les pipes à la foire. Et ça tire dans toutes les directions, sur tout ce qui bouge. Et vingt matamores pas vraiment à jeun et excités par le bruit et l’odeur de la poudre, c’est inutile de tenter de leur expliquer qu’ils n’ont pas le droit de tirer en direction de votre maison. J’ai découvert plus tard leur point faible : ils redoutent d’être photographiés... par des inconnus.

     

     

    Autre surprise, le mercredi suivant, un autre vacarme, celui d’une meute de chiens courants accompagnés d’un tintamarre de cors de chasse, car c’est jour de chasse à courre qui sera bissé le samedi. Jour de gloire de petits bourgeois déguisés en aristocrates. Ce ne sont pas eux les pires car il y a la horde des viandards. Quarante, cinquante véhicules chargés de toute la famille, du petit dernier à la grand-mère édentée, se livrent à un affreux jeu de piste : grâce au téléphone portable, suivre les cavaliers pour assister en fin de course à la mise à mort du cerf, égorgé à la lance pendant que les chiens s’acharnent sur ses pattes et son ventre. Comme ce sont de bons parents, ils laissent la petite fille ou le petit garçon filmer l’événement. Auparavant, au mépris de toute sécurité, de toute prudence, ils auront foncé sur les routes et dans les chemins forestiers, ignorant le code de la route, négligeant stops et priorités car il ne s’agit pas d’être en retard pour la finale sanguinolente...

     

    Misanthrope ?

     

    Quand sonne enfin la clôture de la période de chasse, nous éprouvons un immense soulagement quoique la chasse à courre bénéficie du privilège de voir sa période prolongée d’un mois pendant lequel la horde devient de plus en plus agressive, arrogante, menaçante avec les riverains. Il y a un quota à respecter sous peine de sanctions financières et les cerfs ont parfois le culot d’être plus malins que les chiens et de parvenir à les égarer.

    Il est assez drôle de savoir que le promeneur ordinaire n’a pas le droit de sortir des chemins pour ne pas stresser la faune ni blesser la végétation. Malheur à vous si votre chien est en liberté ! Mais les battues, les chasses à courre, les courses poursuites dans les chemins forestiers ne sont pas considérées comme de sources de nuisance, ne saccagent pas la végétation et ne stressent pas la faune sauvage...

    Heureusement, le mois de mars s’achève avec la fin de ces sinistres activités légales que certains ont souhaité voir prolonger sous des prétextes de liberté : le droit de chasse serait un héritage de la Révolution française.

    Dernièrement, là-haut, depuis mon magnifique point de vue, j’ai aperçu à plusieurs reprises le vol majestueux de deux grands oiseaux blancs. Un couple de cygnes a choisi un des étangs comme villégiature. Jour après jour, je les observe observer les humains, les apprivoiser, leur donner confiance. Et les humains semblent peu à peu s’adapter, les cygnes se promènent entre les tentes, disent un petit bonjour pour faire tomber les dernières réticences, les dernières craintes.

    Enfin, ils ont dû penser que les conditions étaient assez favorables pour penser à fonder une famille. Ils ont bâti leur nid sur une berge, la femelle y a déposé ses œufs et je les vois, l’un couvant, l’autre allant se dégourdir les pattes et s’alimenter avant de remplacer son conjoint.

     

     

    Un petit paradis, n’est-ce pas ? Le soir, quand j’emmène ma chienne Betty en promenade, nous allons rendre visite aux rats musqués. Nous essayons de les surprendre. Mais d’année en année ils ont semblé plus rares... Je rencontre souvent un vieux monsieur dont la maison est bâtie au bord de la rivière. Il ne se déplace, péniblement, qu’avec des béquilles. Nous échangeons quelques mots au passage.

    Un soir, j’ai vu plusieurs rats, inertes et trempés, étalés sur sa pelouse et il semblait très satisfait. Il les sortait d’une cage en grillage, immergée, avec des pommes à l’intérieur. Les petits castors, attirés par l’odeur des fruits, pénètrent dans la nasse, ne peuvent plus sortir et meurent, noyés. C’est légal, ce modèle de piège est déposé et autorisé... Plus tard, je lui ai demandé pourquoi on massacrait ainsi ces charmants animaux. « Ils font du mal ! », m’a-t-il répondu. Je croyais que quand il ne nous reste plus que très peu de temps à vivre, on devenait assez lucide pour apprécier, aimer, respecter la vie, la liberté... Et bien non, ce vieux-là, comme tant d’autres, a encore l’instinct de mort, il n’a rien compris à la vie.

    Tout comme cet individu bizarre, albinos, sans âge bien défini, qui attrape les taupes et les accroche aux fils de fer barbelés : « C’est pour effrayer les autres ! »

    Et des pêcheurs ont fini par détruire les œufs des cygnes. Ils les trouvent gênants. Eux, ils n’aiment que les poissons d’élevage qui se laissent attraper bêtement, sans lutter, sans défendre chèrement leur vie. Quant au couple de cygnes, il nage désespérément autour des étangs, se demandant ce qui a pu arriver à sa couvée.

    On aurait pu croire que c’est un petit paradis. Ça donne à croire que l’être humain est profondément mauvais. Et comme dit le titre d’un ouvrage du grand humaniste, Yves Paccalet : « L'Humanité disparaîtra, bon débarras ! »*. Vous avez dit misanthrope ?

     

    Misanthrope ?
      Et l’Aïkibudo dans tout ça ?
    Je voudrais ne pas être pressé mais le temps qui m’est encore imparti
    sur notre belle planète bleue m’est chichement compté
    alors qu’il me reste tant à apprendre de mes frères humains
    et tant à leur donner...

    *

    « L’homme a en lui le goût de détruire. Et ce n’est pas le prêchi-prêcha des bien-pensants qui mettra fin à cette malédiction, que nous portons dans nos gènes... La saloperie humaine est la même partout. Fort de ce constat, je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que d’injurier l’humanité, de dénoncer son absurdité et sa cruauté... »

     

     

    Misanthrope ?

      L’homme a en lui le goût de détruire ? La preuve !

     

    Et les cygnes dans tout ça ?

    Ils sont toujours là.

    Je les vois, tous les matins, de là-haut.

    Ils tentent toujours de sympathiser avec les pêcheurs.

    Certains leur donnent des friandises, à la main.

    D’autres, ils semblent les éviter.

    Ils ne savent pas que l’homme peut être une sale bête !

    Ou alors, ils ont confiance, ils espèrent que tout ça va s’arranger,

    que l’humanité va évoluer...

    Et l’Aïkibudo, dans tout ça ?
    À votre avis ?

     

     

     

     






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